Heptagone, de Georges Panchard

Posted on 30 avril 2012

Après ma lecture enthousiaste de « Forteresse » du même auteur, place à son second livre : « Heptagone », sorte d’extension de l’univers mise en place dans son premier roman. Georges Panchard a-t-il réussi la passe de deux ?

 

Quatrième de couverture :

Sept personnages, comme les sept côtés d’un heptagone. Sept destins dont les trajectoires dessinent les contours d’un avenir sombre et violent : le nôtre.

Haruki Miyagawa, enfant rêveur de prolétaires japonais, qui ne peut faire le deuil du grand Japon des samouraïs et des shoguns, deviendra super-ninja, tueur quasiment invincible, au terme d’une terrifiante initiation.

Adrian Clayborne, ancien responsable de la sécurité d’une mégacorporation, cherche à se construire un avenir neuf, mais le passé semble le poursuivre.

Gianna Caprara, policière italienne, traverse le terrible affrontement des religions et des civilisations qui déchire l’Europe.

Sherylin Leighton, qui a vécu la montée du totalitarisme intégriste dans l’Union des États Bibliques Américains (UABS), fuira en Grande-Bretagne. Mais le régime biblique est-il le vrai motif de son exil ?

Jack Barstow, après avoir vécu la guerre civile contre les conquérants islamistes, embrassera la carrière de dissipateur, plus discrète et moins dangereuse. Vraiment ?

John Fuller dirige les services de sécurité de l’UABS. Craint de tous les opposants au régime théocratique, l’homme, pourtant, n’est peut-être pas que le bras armé d’un régime démentiel.

Quant à Lyndon Mitchell, modeste citoyen américain, il sera, comme tant d’autres, emporté par l’ouragan de l’Histoire.

La structure hachée de ce thriller, un 1984 du XXIe siècle, lui confère une efficacité redoutable. Il introduit au précédent roman de l’auteur, « Forteresse », mais peut se lire indépendamment.

 

Sept personnages, sept histoires, un heptagone

Première constatation : ce n’est pas un roman. On est en effet ici plus proche d’un recueil de nouvelles, chacune d’entre elles s’attachant à un personnage en particulier, déjà rencontré dans « Forteresse ». On en apprendra donc un peu plus sur chacun d’eux, soit avant soit après les évènements du roman sus-nommé. L’auteur reprend également la technique narrative qu’il a déjà utilisée, en l’occurrence le récit non chronologique avec des flashbacks permettant d’éclaircir les faits développés dans le récit.

La quatrième de couverture indique que « Heptagone » introduit « Forteresse » ou peut se lire indépendamment. Je ne suis d’accord ni avec l’un ni avec l’autre, je trouve en effet que ce livre prend toute sa quintessence après la lecture de « Forteresse ». En effet « Heptagone » revient sur certains des évènements importants se passant dans celui-ci, tout en dévoilant le destin de certains personnages et l’issue de l’intrigue… Donc soyons clair : lisez-le après « Forteresse », voilà c’est dit ! Sachez enfin que certains menus spoilers (mais spoilers quand même…) peuvent se cacher dans cette chronique, puisque je reviens sur des personnages-clés…

Le premier récit se concentre donc sur le passé de Haruki Miyagawa, avant qu’il ne devienne un mortel ninja. Un récit court et nostalgique, qui dévoile également un peu plus clairement comment sont « créés » ces fameux ninjas, ainsi que sur les dirigeants « virtuels » de Eien, cette société mafieuse rêvant de rétablir les valeurs et l’aura du Japon féodal. Une bonne entrée au matière.

Vient ensuite Adrian Clayborne, et le récit sur l’après « Forteresse ». Pas forcément le plus palpitant, peut être même un brin anecdotique. Mais sans doute cela est-il dû à la vie même de Clayborne qui peut paraître un peu morne après les évènements chaotiques de l’autre roman. Mais l’écriture de Panchard et l’univers qu’il a créé rendent la lecture toujours agréable.

La nouvelle concernant Gianna Caprara est sans doute la plus intéressante de toutes. Revenant sur un élément obscur de « Forteresse », elle permet également de mieux comprendre les tenants et les aboutissants de la guerre civile européenne. Passionnant de bout en bout, aussi bien sur le « décor » (la guerre civile donc, démontrant avec brio que les fascistes extrémistes ne sont pas seulement dans le camp musulman, et que musulman peut aussi rimer avec démocrate) que sur l’histoire personnelle de Caprara, qui réserve quelques jolis twists inattendus. Excellent !

Sherylin Leighton s’est quant à elle réfugiée en Angleterre après le triomphe des chrétiens fondamentalistes aux USA. La vie d’une exilée politique parmi d’autres ressortissants, luttant à leur manière contre la christianisation forcenée de leur pays. Encore une fois très éclairant sur la situation politique américaine imaginée par Panchard.

Jack Barstow, au seuil de la mort, se souvient… Il se souvient du pan anglais de la guerre civile européenne, et de comment il est passé de petit génie fauché de l’informatique (au service des rebelles européens) à dissipateur plein aux as. Cela fait un peu doublon avec le récit de Caprara sur la guerre civile, même si le point de vue n’est pas le même, mais cela reste intéressant.

John Fuller est le bras droit de Thomas Beveridge, le président de l’Union des Etats Bibliques Américains. Ce récit revient sur le point qui, pour moi, reste un des plus inconcevables du monde imaginé par l’auteur : l’arrivée au pouvoir des chrétiens fondamentalistes. Et je dois bien avouer qu’après sa lecture, je ne suis toujours pas convaincu : la transition me parait toujours très obscure, trop facile et trop rapide. Peut-être que je ne connais pas suffisamment la constitution américaine, ni l’influence biblique aux USA pour croire à un tel repli du gouvernement d’un pays démocratique sur un modèle aussi religieusement extrême, toujours est-il que, malgré mon incrédulité, j’ai pris beaucoup de plaisir à la lecture de la genèse d’un tel gouvernement. A travers les yeux d’un Fuller tour à tour enthousiaste, nostalgique, parfois désabusé, en colère, on suit, à partir de l’adolescence des protagonistes, les évènements qui ont conduit au choix de la petite ville de Montgomery comme capitale (je ne dévoilerai rien, mais c’est particulièrement savoureux !), en passant par l’avènement de l’examen « Bible & Faith » déterminant la connaissance religieuse et l’adhésion aux valeurs prônées par le gouvernement. Encore une critique acerbe et bien menée des extrémistes religieux.

Enfin, avec Lyndon Mitchell, on découvre ces nouveaux USA à travers les yeux d’un citoyen lambda. Et ce récit qui aurait pu (dû ?) apporter un éclairage important sur les transformations à la tête de l’état américain, du point de vue du citoyen ordinaire, ne m’a pas vraiment convaincu, ni permis de mieux comprendre ces transformations. Sans doute le point faible de cet « Heptagone ».

Au final, je ne peux que recommander aux lecteurs de « Forteresse » de se plonger dans « Heptagone ». Ceux qui ont été convaincu par le premier roman de l’auteur suisse seront heureux d’en découvrir un peu plus sur le passé ou le devenir des personnages, mais aussi (et surtout !) d’approfondir la situation politique et sociale de cet univers à travers le prisme de ces personnages venant d’horizons divers permettant d’avoir une vision distanciée. Et j’en viens même à souhaiter que Georges Panchard se penche à nouveau sur cet univers dans l’avenir. Passionnant !

 

Voir également chez les copains : Gromovar, AnudarXapurTigger Lilly et Lhisbei.

  
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