Zero dark thirty, de Kathryn Bigelow

Allez, on en termine avec cette série de critiques de films, après « Django Unchained » et « Argo », due à l’arrivée à échéance d’une carte de cinéma. Et pour cette troisième séance, on va causer de « Zero dark thirty » de Kathryn Bigelow, le fameux film relatant la traque de Ben Laden durant dix ans.

On est donc ici dans la même mouvance que dans le film « Argo » (des films relatant des faits réels), mais le traitement est ici assez différent. La différence fondamentale se situe au niveau des personnages : « Argo » se passait dans un intervalle de temps assez restreint, et s’appuyait sur des personnages « forts » (dans le sens importants pour le film en lui-même, et sur lesquels s’appuie le scénario). Pas de ça ici : le film se déroule sur dix ans, utilise un traitement très factuel des choses, très froid en fait, et les personnages n’ont que peu d’importance. Ce qui importe ce sont les faits, point barre. D’où la froideur citée ci-dessus. Ce qui n’en fait pas un mauvais film pour autant, loin de là, mais il est difficile d’avoir un avis tranché.

Car il y a de très bonnes choses. L’introduction tout d’abord, qui évite l’écueil du spectaculaire « facile » des images des attentats du 11 septembre 2001, pour proposer à la place des conversations téléphoniques des victimes prisonnières du World Trade Center peu avant son effondrement. Le tout sur fond noir, c’est sobre, mais surtout très efficace. On peut aussi citer la volonté de la réalisatrice de ne pas sacraliser le rôle des américains : la torture utilisée par la CIA y est montrée sans détour. L’une des polémiques suscitée par le film à ce sujet (il a été accusée de faire l’apologie de la torture) n’a pour moi pas lieu d’être : la torture a été utilisée à l’époque par les Américains, et a permis d’obtenir des renseignements conduisant à Ben Laden. C’est un fait. Faut-il y voir une quelconque apologie ? Je ne crois pas. D’autant que les tortionnaires US apparaissent totalement inhumains. Et d’ailleurs l’arrêt de la torture suite à la décision d’Obama n’a aucunement gênée la suite de l’enquête.

Le film souffre également de défauts : profusion de noms obscurs pour qui n’a pas suivi l’actualité à la loupe, film qui s’étire trop en longueur (2h30) sans que le spectateur puisse se raccrocher aux personnages assez vides, hormis peut être Maya, l’agent joué par Jessica Chastain. Mais elle n’exprime qu’assez peu ses sentiments, sauf à la toute fin où on voit enfin tout ce qu’elle a gardé en elle toutes ces années.

Et même si le manque de tension se fait cruellement ressentir durant une bonne partie, il faut malgré tout avouer que le tout dernier acte (la prise d’assaut du complexe de Ben Laden) est en revanche parfaitement réalisé. Toujours sur un mode réaliste (le bruit des tirs au fusil d’assaut est saisissant !), on a là un modèle du genre. Et même si le changement de style avec cette longue scène peut surprendre, on a l’impression que tout le film a été pensé pour aboutir à elle. Là encore, rien n’est épargné au spectateur : cet assaut a certes conduit à la mort d’un féroce terroriste, mais à quel prix ? Cette attaque ressemble tellement plus à une vaste tuerie qu’à autre chose. Mais compte-tenu des évènements, pouvait-il en être autrement ? La question est posée, Kathryn Bigelow n’y répond pas, laissant le soin au spectateur de mener sa réflexion.

Difficile donc de se faire un avis définitif sur « Zero dark thirty » tant le parti-pris d’exposer des faits rend le film froid, clinique, tout en laissant le spectateur maître de l’interprétation qu’il doit en faire. Sans doute également un peu trop sage sur le plan formel (exceptée la superbe scène de l’assaut, exemplaire sur le plan de la réalisation), il n’en reste pas moins un film très intelligent. A chacun de se faire son propre avis…

  
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