Morwenna, de Jo Walton

Posted on 18 avril 2014

Cela fait déjà quelque temps que Gilles Dumay, directeur de la collection Lunes d’Encre chez Denoël, avait annoncé ce roman. Auréolé de prix prestigieux, il était très attendu par la communauté des lecteurs de l’imaginaire, notamment parce qu’il s’adresse presque directement à eux.

 

Quatrième de couverture :
Morwenna Phelps, qui préfère qu’on l’appelle Mori, est placée par son père dans l’école privée d’Arlinghust, où elle se remet du terrible accident qui l’a laissée handicapée et l’a privé à jamais de sa sœur jumelle, Morganna. Loin de son pays de Galles natal, Mori pourrait dépérir, mais elle découvre le pouvoir des livres de science-fiction. DelanyZelazny, Le Guin et Silverberg peuplent ses journées, la passionnent. Un jour, elle reçoit par la poste une photo qui la bouleverse, où sa silhouette a été brûlée. Que peut faire une adolescente de seize ans quand son pire ennemi, potentiellement mortel, est une sorcière, sa propre mère qui plus est ? Elle peut chercher dans les livres le courage de combattre.

Ode à la différence, journal intime d’une adolescente qui parle aux fées, « Morwenna » est aussi une plongée inquiétante dans le folklore gallois. Ce roman touchant et bouleversant a été récompensé par les deux plus grands prix littéraires de la science-fiction, le prix Hugo et le prix Nebula. Il a en outre reçu le British Fantasy Award.

Née au pays de Galles, Jo Walton vit depuis 2002 au Canada avec son mari et son fils. Elle est l’auteure d’une dizaine de romans remarqués. Bien que son roman « Tooth and Claw », inédit en français, ait reçu le World Fantasy Award en 2004, il lui a fallu attendre la parution de « Morwenna » pour rencontrer le succès qu’elle méritait.

 

Hommage à la SF et passage à l’âge adulte

COUV_morwenna.inddEn disant cela, on a un peu résumé tout le roman, mais comme chacun sait, l’important c’est le chemin parcouru et la manière dont on l’a parcouru. Et c’est là tout l’intérêt du récit qui met en scène en scène Morwenna, une jeune fille de quinze ans de la fin des années 70 qui à perdu sa sœur jumelle quelques mois plus tôt dans un accident qui l’a laissée elle-même handicapée. Depuis, elle s’est enfuit de chez sa mère, qu’elle pense être une sorcière, et a été recueillie par son père qu’elle n’avait jusqu’ici jamais connu, puis placée dans une école privée plutôt stricte.

En se renseignant un peu, on découvre qu’il y a bien sûr une forte partie autobiographique dans ce roman, puisque l’auteure, Jo Walton a elle-même vécu une situation un peu similaire : problèmes physiques, école privée, etc… Née en 1964, elle avait d’ailleurs 15 ans en 1979, époque du roman.

Reste à savoir si elle croyait aux fées. Car pour Morwenna cela ne fait aucun doute. Elle les voit, ces fées qui habitent les lieux perdus, qu’ils soient vierges de toute civilisation ou bien reconquis après leur abandon par les hommes, tels les ruines d’une usine désaffectée. De même, Mori use de la magie, ce pouvoir qui permet d’influer sur les événements mais qui peut facilement être pris pour un simple concours de circonstance.

Et l’intrigue, me direz-vous ? Il n’y en a pas vraiment au sens strict du terme, on suit la vie d’adolescente de Mori sur quelques mois en 79-80, entre adaptation à sa nouvelle vie, petits tracas quotidiens, découverte de nouveaux amis, premières affres de la vie sentimentale, et plongée dans sa passion : la littérature de science-fiction, qui lui permet de s’évader, d’oublier cette école où elle s’ennuie et de de s’enrichir intellectuellement. C’était une gageure de citer autant d’œuvres de SF au sein du roman, et pourtant Jo Walton s’en est sortie haut la main ! Les références sont nombreuses et parleront directement au cœur des amateurs (j’étais excité comme Morwenna lors de sa première réunion au sein du cercle de lecture SF, de même j’ai adoré la voir utiliser la litanie contre la peur dans les situations difficiles), on y trouve des avis parfois bien tranchés, mais ces passages s’inscrivent toujours harmonieusement au sein du récit, sans jamais plomber la narration. Et on sent une réelle affection pour ces œuvres : au sortir du roman, difficile de ne pas avoir envie de lire du Delany, du Zelazny ou du Le Guin

Ainsi c’est un roman qui peut potentiellement plaire à un large public, car il y a vraiment de nombreux points d’identification sur lesquels il est possible de s’appuyer : découverte de la littérature, fréquentation de bibliothèques, appartenance à un cercle de lecture SF pour les éléments les plus « typés », mais aussi (et surtout) toute la période de l’adolescence que tout le monde a vécu, entre rêveries adolescentes et passage à l’âge adulte.

Jo Walton est parvenue à écrire un roman simple mais tendre et touchant. Son écriture, empreinte d’une certain naïveté assumée puisque le roman se présente comme un journal intime, n’y est pas pour rien. On plonge dans la vie de Morwenna, et on se laisse porter par les bons côtés, on souffre avec elle pour les mauvais. Le vie est ainsi faite et la jeune fille va devoir l’apprendre, tout en tentant de faire le deuil de sa sœur, que ce soit par l’intermédiaire de la magie ou non.

Hommage très appuyé aux amateurs de science-fiction et de fantasy mais qui a l’énorme avantage de ne pas s’adresser qu’à eux, témoignage sur l’importance des bibliothèques et des librairies dans la construction d’une identité culturelle, roman de fantasy à la lisière du réalisme (ou peut-être est-ce l’inverse…), empruntant autant à Robert Holdstock qu’à Lord Dunsany, « Morwenna » est incontestablement une sortie marquante. Et c’est aussi une belle déclaration d’amour envers les livres :

Si vous aimez suffisamment les livres, les livres vous aimeront en retour.

Je suis bien souvent d’un naturel plutôt bon public, m’enthousiasmant parfois un peu rapidement. Pour autant, je manie le terme « chef d’oeuvre » avec parcimonie. J’ai pourtant vraiment le sentiment qu’ici on n’en est pas bien loin.

 

Lire aussi l’avis de Gromovar.

 

Chronique écrite dans le cadre du challenge « SFFF au féminin » de Tigger Lilly.

SFFF_au_feminin

 

  
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