Forteresse des étoiles, de C.J. Cherryh

Posted on 15 juillet 2014
Carolyn Janice Cherryh (Cherry pour son vrai nom, mais son premier ÉDITEUR trouvait son patronyme trop romantique pour ecrire de la science-fiction) est une auteure qui m’intéresse depuis longtemps. boudée en france, elle est tombé depuis bien longtemps dans l’anonymat le plus total, elle qui a pourtant obtenu un prix Locus et trois prix Hugo (dont un pour le roman dont il est question ici), excusez du peu ! Mon passage dans une fête du livre près de chez moi m’a permis de repartir avec sous le bras cinq romans de la dame.

 

Quatrième de couverture :

Tout a commencé par un flot de réfugiés déportés sur Pell, déjà surpeuplée, et parqués sur les docks de quarantaine. Après, ce fut le chaos…

Pell, petite planète dont les habitants, couverts d’une fourrure douce et brune, vous regardent d’un air étonné en écarquillant leurs yeux innocents. Pell, dernière base de ravitaillement avant l’au-delà, ultime bastion de l’Empire terrien, frontière entre l’ancien et le nouveau monde…

Dans le terrible conflit que la Terre Mère livre à ses lointaines colonies stellaires, Pell a toujours tenu à sa neutralité. Face aux excès des uns et aux ambitions des autres, elle est bien décidée à conserver son indépendance. Mais cette fois, la guerre menace de s’étendre d’un bout à l’autre de l’univers. Prise entre deux feux, Pell sera-t-elle anéantie ?

 

Babylon 5 en version roman

Forteresse des étoiles - CherryhCette assertion peut surprendre, mais déjà dès la quatrième de couverture, on peut déceler quelques éléments de ressemblance, éléments qui deviennent de plus en plus frappant au fil de la lecture de ce roman épais et très très dense (petite police d’écriture, petites interlignes, etc… Sachez donc que c’est certes un livre de poche de 550 pages, mais ça reste un GROS pavé !).

Tentons de replacer quelque peu le contexte (je dis bien tentons, car l’auteure a créé un univers complexe, politiquement et socialement crédible). L’humanité a donc fini par conquérir les étoiles. Et à construire des stations spatiales, toujours plus distantes mais toujours dépendantes de la Terre, seule planète apte à fournir les matières premières essentielles à leur survie. Jusqu’à ce qu’on découvre la planète Pell, qui abrite une vie extraterrestre. Une planète éloignée de la Terre, autour de laquelle les hommes construisirent rapidement une station, puis d’autres, un peu plus éloignées encore, construites sans l’aval de la planète-mère de l’humanité. L’économie terrienne en fut radicalement bouleversée, puisque les dernières stations construites, ainsi que celles plus proche de Pell que de la Terre, se tournèrent rapidement vers cette nouvelle planète pour leurs importations.

Devant ce bouleversement, encore renforcé par la découverte d’une autre planète habitable, Cyteen, l’Earth Company, propriétaire légitime des multiples stations terriennes, décida d’imposer une taxe sur les marchandises. Certaines stations refusèrent cette taxe, notamment celles situées entre Pell et Cyteen, considérant que la Compagnie ne les a pas aidés lors de leur construction. Les vaisseaux d’exploration terriens furent armés, non plus pour se défendre en cas de mauvaise rencontre dans l’espace inconnu, mais pour faire respecter la loi et le paiement de la taxe. Et ce fut l’escalade. Les commerçants récalcitrants s’armèrent également. Une guerre qui n’en fut pas vraiment une : les accrochages furent rares, les rebelles s’éloignant vers les stations les plus reculées, ces dernières bénéficiant de la proximité de Cyteen pour survivre sans besoin de la Terre. Ainsi, une nouvelle « géographie spatiale » fut créée : d’un côté, la Terre et ses stations, de l’autre Cyteen et ses stations. Et au milieu : Pell.

Puis la technologie évolua. Les voyages interstellaires devinrent plus rapides, les stations coopérèrent plus étroitement du fait de cette nouvelle « proximité ». Du côté des rebelles, on s’organisa : l’Union était née. Sans tabou, elle mit au point des techniques génétiques lui permettant de se multiplier démographiquement en un temps record. L’Union avait un credo : croissance et colonisation. Les rebelles étaient passés du stade de révoltés à un mouvement cohérent, organisé, puissant, fort. Et dur : les dissidents furent éliminés, la propagande fut généralisée, les officiers jugés trop « mous » furent remplacés par des pantins soumis à l’idéologie de l’Union.

Devant une situation qui lui échappait, l’Earth Company abandonna la taxe, et décida d’investir ses fonds dans la construction d’une immense flotte de vaisseaux militaires surpuissants. Malgré cela, les vaisseaux terriens, inférieurs en nombre, ne purent mettre fin à la guerre. Sur Terre, éloignés du champ de bataille, menés par des politiciens incapables de saisir ce qui se passait réellement sur le terrain, les citoyens demandèrent la fin du conflit, le retour des militaires, et qu’on laisse l’Union crever de faim. Bien évidemment, l’Union était en pleine possession de ses moyens. La Terre se referma sur elle-même, interdit l’émigration. Une quinzaine de vaisseaux terriens, la Flotte de Mazian (du nom du capitaine du vaisseau « L’Europe ») continuèrent malgré tout le combat, fidèles à la Terre bien que cette dernière les ait abandonnés. Ainsi, au début du roman, l’Union détient un vaste espace entre Pell et Cyteen, et même au delà. La Flotte continue de mener son action, détenant quelques stations pour son propre compte. La Terre et le système solaire ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, encore à peine situés sur les routes commerciales. Et au milieu, Pell et sa station, tentant farouchement de rester indépendantes, pour continuer à commercer avec les deux bords et les marchands indépendants qui franchissent les frontières bien que cela soit découragé par l’Union, qui ainsi tente subtilement de faire le blocus de la Compagnie.

Contexte complexe et crédible donc. Et je ne vous ai ici résumé que les… dix premières pages du roman ! En effet, C.J. Cherryh a pris le parti d’expliquer le contexte au lecteur dès le début, de manière très posée, mais aussi très détachée, comme si on avait devant les yeux un livre d’histoire (ou un background de jeu de rôles pour les plus joueurs). Cela peut surprendre, voire déranger, ça n’en est pas moins nécessaire pour appréhender le suite de l’ouvrage et comprendre la situation politique qui va se jouer.

Car tout commence quand la station de Pell, déjà surpeuplée, va voir débarquer avec le vaisseau « Le Norvège » (dirigé par le capitaine Signy Mallory, une femme redoutable) de la Flotte de Mazian, un immense flot de réfugiés suite à une attaque de l’Union sur une station spatiale. Un fait qui n’est pas anodin, et qui va peu à peu prendre de l’ampleur alors que la situation ne va cesser de se dégrader. C.J. Cherryh va donc mettre en scène de nombreux protagonistes, qui ont tous un but, un projet, et différents moyens d’y arriver.

Et entre l’Union qui continue ses conquêtes, la Flotte de Mazian qui tente de poursuivre ses anciens idéaux et submerge la station avec les réfugiés, la Compagnie qui tente elle aussi de jouer son va-tout dans cette guerre, quitte à définitivement trahir la Flotte, la famille Konstantin, dirigeants de la station de Pell, qui souhaitent coûte que coûte garder leur neutralité dans ce conflit qui les dépasse, Jon Lukas, un homme d’affaire qui à des vues sur la station et déteste les Konstantin qui ont toujours eu tous les honneurs alors que sa famille est injustement oubliée malgré son implication dans la construction et l’essor commercial de la station, les réfugiés sur la station de plus en plus mécontents de leur situation, entassés qu’ils sont dans des lieux insalubres et sans possibilité d’en sortir, et les commerçants qui souhaitent rester en dehors du conflit mais sont soumis à une intense pression aussi bien de la part de l’Union que de la part de la Compagnie, vous imaginez bien qu’on ne peut pas qualifier l’intrigue de simpliste !

D’autant que la romancière a le bon goût de brouiller les pistes, et entre complots et trahisons, personne n’est tout blanc ou tout noir. Les nombreux protagonistes ont tous leur part d’ombre, et le roman réserve ainsi son lot de surprises alors qu’on aurait pu craindre une simple opposition entre une Union (soviétique ?^^) maléfique et une généreuse Flotte qui tente de sauver les derniers débris de l’ancien empire terrien. Mais il n’en est rien, la Flotte est tout aussi radicale alors que la Compagnie joue son jeu avec des conséquences qui peuvent s’avérer désastreuses pour beaucoup. Et donc, pour en revenir à « Babylon 5 », on se retrouve avec une station spatiale prise entre de multiples feux, tentant de tirer son épingle du jeu tout en gardant son indépendance, alors que la situation se dégrade de plus en plus autour d’elle, ça ne vous rappelle rien (d’autant que le titre original du roman est « Downbelow station », le terme de « downbelow désignant le lieu où se retrouvent les pauvres, immigrés clandestins, trafiquants en tous genres et criminels dans la station Babylon 5…) ?

Avec tout ça, on pourrait s’attendre à un roman marquant. Et il l’est d’une certaine manière, par le world-building imaginé par Cherryh et la situation politique intéressante. Mais j’avoue avoir eu du mal avec l’écriture de l’auteure, trop distante, trop froide, presque « utilitaire », s’éloignant trop des personnages pour qu’on se soucie de leur sort. C’est un gros reproche, car ne permettant pas un investissement total du lecteur. Pourtant, ce n’est pas l’action qui prédomine dans le récit, bien au contraire, les scènes d’action se font même plutôt rares (ne vous attendez pas à des scènes de combat spatial, vous seriez déçu, l’auteure n’hésitant pas à user d’ellipses temporelles). Mais il n’y a pas eu d’attachement aux protagonistes. D’où un pavé qui m’a pris beaucoup de temps à lire.

Malgré cela, il faut saluer la qualité de la construction du roman, très maîtrisée. Comme je le disais en introduction, un prix Hugo est venu récompensé ce roman en 1982 (prix qu’elle a d’ailleurs de nouveau obtenu en 1989 pour le roman « Cyteen » situé dans le même univers), un prix mérité malgré tout, tant ce genre d’intrigues politiques et militaires est finalement assez rare à ce niveau de complexité et d’ampleur, surtout délivré dans un seul et unique roman. C.J. Cherryh ne s’est malgré tout pas privée de densifier son univers avec nombre d’autres œuvres qui peuvent toutes se lire indépendamment. Et malgré les reproches faits à ce « Forteresse des étoiles », j’avoue avoir une vraie envie d’en découvrir plus sur l’Union, sur les commerçants, sur la Flotte, aussi bien dans le passé que dans l’avenir. Il y a vraiment de la place pour quelque chose de gigantesque.

 

Lire aussi les avis de Isil, gbo1999, JainaXF.

 

Critique écrite dans le cadre des challenges « Summer Star Wars, épisode II »  de Lhisbei et « SFFF au féminin » de Tigger Lilly.

Summer Star Wars, épisode II  SFFF_au_feminin

 

  
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