Trois oboles pour Charon, de Franck Ferric

Dernière parution en date des éditions Lunes d’Encre, « Trois oboles pour Charon » fut l’occasion pour moi de découvrir un auteur que je ne connaissais pas, Franck Ferric. L’occasion de voir qu’il est incontestablement un auteur à suivre de près, lui qui possède une plume qui ne laisse pas indifférent.

 

Quatrième de couverture :

Pour avoir offensé les dieux et refusé d’endurer sa simple vie de mortel, Sisyphe est condamné à perpétuellement subir ce qu’il a cherché à fuir : l’absurdité de l’existence et les vicissitudes de l’Humanité. Rendu amnésique par les mauvais tours de Charon — le Passeur des Enfers qui lui refuse le repos — , Sisyphe traverse les âges du monde, auquel il ne comprend rien, fuyant la guerre qui finit toujours par le rattraper, tandis que les dieux s’effacent du ciel et que le sens même de sa malédiction disparaît avec eux.

Dans une ambiance proche du premier « Highlander » de Russell Mulcahy, « Trois oboles pour Charon » nous fait traverser l’Histoire, des racines mythologiques de l’Europe jusqu’à la fin du monde, en compagnie du seul mortel qui ait jamais dupé les dieux.

 

Le corps se souvient

Trois oboles pour Charon - FerricJe ne trahis rien en disant que ce roman est une réappropriation à la sauce Franck Ferric du mythe grec de Sisyphe, cet homme condamné par les dieux pour avoir tenter de les duper à la pénitence éternelle, pénitence consistant à pousser en rocher en haut d’une montagne puis à recommencer une fois celui-ci retombé, puisque la quatrième de couverture y fait explicitement référence.

Mais dans « Trois oboles pour Charon », sa pénitence est toute autre puisqu’il est condamné à vivre pour l’éternité. Ou plutôt à revivre pour l’éternité puisqu’il n’est pas immortel, mais ne pouvant payer sa dette à Charon, le nocher des Enfers, et donc franchir le Styx et connaître la paix des morts, il doit sans cesse repartir dans le monde des vivants.

Ainsi, le roman peut presque être vécu comme une succession de nouvelles à mesure que Sisyphe traverse les époques, d’autant qu’au début du récit, il a perdu la mémoire (alors que son corps, à travers ses nombreuses cicatrices et autres tatouages, se souvient de ses nombreuses vies passées), ne sachant donc ni qui il est, ni d’où il vient, ni pourquoi il vient étrangement de sortir de terre… Des récits entrecoupés de passionnants interludes sur les rives du Styx, où le personnage est confronté à Charon, qui vit lui aussi la condamnation de Sisyphe comme une punition, mais pour une toute autre raison. Ainsi, des légions romaines de Varus à la campagne napoléonienne d’Egypte en passant par la conquête de la Germanie par Charlemagne ou bien même un lointain futur, Franck Ferric démontre qu’il est à l’aise dans tous les styles de récits, et il le démontre même de manière éclatante !

Car en effet, l’auteur vient sans contestation possible entrer dans le top des auteurs de l’imaginaire français à la plus belle plume ! Que ce soit sur du récit historique, maritime, contemporain ou bien futuriste, toujours l’écriture de Ferric sait se faire belle, pour magnifier ces époques que Sisyphe traverse en étant sans cesse confronté aux guerres engendrées par l’espèce humaine. Richesse de vocabulaire, de style, grande érudition historique, tout y passe pour le plus grand bonheur du lecteur qui vient de trouver ici l’égal d’une Justine Niogret.

Quête personnelle, recherche d’une raison de vivre, ou bien quête de vengeance envers ceux qui l’ont condamné, le roman nous offre un Sisyphe réellement fascinant et qui trouve un contrepoint tout aussi intéressant en la personne de Charon, bien plus complexe qu’on ne pouvait l’attendre du Passeur des Enfers. Confronté à un monde changeant mais qui pourtant ne cesse d’être confronté à la guerre, un monde dans lequel les dieux antiques semblent avoir disparus (une réflexion qui rapproche le roman du « American Gods » de Neil Gaiman), Sisyphe tente de tracer sa route, loin de toute considération matérielle, quand bien même il pourra parfois s’attacher à certaines personnes qui croiseront sa route.

La structure du récit, découlant de ces résurrections successives, pourrait sans doute lasser sur le long terme, mais la variété des récits (Franck Ferric prouve ici qu’il est sans doute un excellent nouvelliste) additionnée à cette plume renversante ne peuvent qu’emporter les suffrages. Plongez vous aussi à la découverte du destin de Sisyphe, vous y découvrirez un mythe joliment revisité, et un auteur qui n’a sans doute pas fini de faire parler de lui.

 

Lire aussi les avis de Gromovar, Philémont, Ertemel, Emily Vaquié, Aaliz, Lire ou mourir, Blackwolf, Julien.

Critique rédigée dans le cadre du challenge « Francofou, le retour » de Doris.

challenge-francofou

 

  
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