Les profondeurs de la terre, de Robert Silverberg

Je me suis aperçu qu’en cas de panne de lecture ou de manque de motivation, il existe un remède qui fonctionne plutôt bien (en tout cas pour moi) : un roman de Robert Silverberg. On dit souvent que pour palier à une panne de lecture, il faut un roman simple, léger, pas prise de tête. Bien sûr, on ne peut pas dire que les romans de Silverberg entrent dans cette catégorie (bien qu’ils ne soient pas complexes au sens strict du terme, mais offrent tellement de pistes de réflexion), mais s’il y a une chose que l’auteur maîtrise à la perfection, c’est le sens de la narration. Il n’a en effet pas son pareil pour offrir des lectures toujours très fluides. Et à chaque fois il parvient à m’embarquer dans son univers. Ce fut encore le cas ici.

 

Quatrième de couverture :

Lorsqu’elle était encore une colonie, la planète Belzagor portait le nom de Terre de Holman.
Mais les hommes lui ont accordé l’indépendance.
Et les nildoror et les sulidoror se la partagent. Les nildoror ressemblent à des éléphants. Ils sont intelligents ; sensibles et tolérants. Les sulidoror sont des bipèdes proches des humains.
Edmund Gundersen, qui était l’administrateur de Belzagor, revient pour retrouver son passé.
Et pour participer dans le Pays des Brumes, à la cérémonie de la Renaissance, qui peut lui révéler la vie sur Belzagor.

Par cette communion, il espère laver ses fautes, ainsi que toutes celles commises par les colonisateurs terriens,

Ce qui l’attend dans l’expiation bouleversera à jamais les règles de l’humanité et celles de la Vie…

 

Colonialisme et rédemption

Les profondeurs de la terre  - SilverbergTout le roman est centré sur Edmund Gundersen, l’ancien administrateur de la planète dorénavant appelée Belzagor, nom qu’elle porte depuis la décolonisation et le départ de l’espèce humaine. Huit ans après, Gundersen revient, mû par la curiosité d’en apprendre enfin plus sur un monde et ses habitants qu’il ne connait pour ainsi dire que très peu, alors qu’il était à l’époque chargé du bon déroulement des opérations prévues par son employeur. Mais peut-être qu’au fond, la simple curiosité n’est pas le seul ressort de son retour.

« Les profondeurs de la terre » , publié pour la première fois en 1970 (1973 en France), est souvent présenté comme un hommage au récit « Au coeur des ténèbres » de Joseph Conrad. Je n’ai pas lu ce roman, mais il m’est en revanche plus facile de faire le lien avec le film « Apocalypse Now », l’une de ses « adaptations » (et non pas transposition directe) les plus connues. Gundersen s’enfonce en effet dans une nature de plus en plus sauvage, en rencontrant certaines de ses anciennes connaissances, toutes profondément transformées par le temps passé sur Belzagor. Le voyage du personnage principal est tout autant physique que psychologique tant la quête de Gundersen se révèle être une véritable quête intérieure à mesure qu’il prend conscience que l’humanité n’a jamais pris la peine de comprendre les autochtones, les nildoror et les sulidoror, les forçant à travailler sans les considérer autrement que comme de vulgaires animaux.

Bien évidemment, et le lecteur le découvre en même temps que Gundersen, ils sont bien plus que ça, et l’on comprend que l’avancée d’une civilisation ne se mesure pas nécessairement à son évolution technologique, les traces culturelles qu’elle peut laisser derrière elle ou tout simplement à son apparence (les sulidoror sont de grands bipèdes à fourrures avec un groin de tapir et une queue tandis que les nildoror ressemble à des éléphants avec trois paires de défense). « Les profondeurs de la terre » se présente ainsi comme un vibrant plaidoyer anti-colonialiste et anti-raciste. Le parallèle avec la colonisation africaine est évidemment très fort, renvoyant là aussi à l’oeuvre de Joseph Conrad. Au fur et à mesure du voyage de Gundersen vers « l’ultime vérité » que certains ont déjà tenté d’approcher (à l’image du fascinant personnage de Kurtz, autre référence au récit de Conrad), l’ancien administrateur, porté par une volonté nouvelle, ira donc chercher la rédemption là où elle se cache : au cœur du plus grand secret des habitants de la planète.

« Les profondeurs de la terre » n’est clairement pas un récit d’action. Plutôt introspectif, psychologique, il porte une part de mysticisme sauvage à mesure que l’on s’enfonce dans la jungle. La science du récit de Silverberg fait à nouveau merveille et il est bien difficile de ne pas se laisser emporter au bout du mystère. Un mystère qui ne surprendra toutefois pas les lecteurs de SF, mais les thématiques du récit et la plume simple mais subtile de l’auteur emportent l’adhésion. Ce n’est peut-être pas le meilleur récit de l’auteur que j’ai lu, mais dans la veine humaniste de Silverberg, il reste extrêmement agréable.

 

Lire aussi les avis de Oman, Alvin, Matoo, Jean-Claude Péchoutou, Eklektik.

 

  
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