La route de la conquête, de Lionel Davoust

Enfin ! Depuis « La volonté du Dragon », j’avais hâte de revenir dans le monde d’Évanégyre, le monde créé par Lionel Davoust. Malheureusement, les nouvelles se déroulant dans cet univers avaient la FÂCHEUSE tendance à se disperser dans diverses anthologies ou revues. Mais les éditions Critic ont fait les choses bien en les réunissant dans ce recueil, recueil « augmenté » par deux récits inédits. Et le résultat est à la hauteur de mes espérances !

 

Quatrième de couverture :

On la surnomme la Faucheuse. Débarquée trente ans plus tôt dans le sud, la généralissime Stannir Korvosa assimile méthodiquement nations et tribus au sein de l’Empire d’Asreth, par la force si nécessaire. Rien ne semble résister à l’avancée de cette stratège froide et détachée, épaulée par des machines de guerre magiques.

Parvenue à l’ultime étape de sa route, elle est confrontée à un nouveau continent – un océan de verdure où vivent des nomades qui ne comprennent pas les notions de frontières ou de souveraineté. Elle doit pourtant affirmer l’autorité impériale car, dans le sous-sol de la steppe, se trouvent des ressources indispensables pour Asreth. Mais après une vie de conquête, Korvosa pourrait bien rencontrer la plus grande magie qui soit… et affronter un adversaire inédit : le pacifisme.

 

Un univers prend forme

La route de la conquête - Davoust« La volonté du Dragon » nous offrait à découvrir un monde prometteur à travers un roman subtil et très réussi, mais depuis sa parution, j’étais en manque. Car je n’avais pas remis les pieds en Évanégyre alors que je sentais que cet univers hors du commun avait beaucoup de choses à offrir. « La route de la conquête » ici présent, composé d’un court roman inédit et de cinq nouvelles (dont une inédite) le prouve.

Le court roman qui ouvre le recueil et lui donne son nom nous fait retrouver un personnage féminin entrevu dans « La volonté du Dragon », Stannir Korvosa. Devenue généralissime, elle arrive au bout de sa campagne de conquêtes au nom de l’Empire d’Asreth. Il ne reste plus qu’a assimiler le peuple des Umsaïs (et accessoirement exploiter la dranaclase, élément nécessaire à la technologie de l’Empire que les premiers diplomates ont décelé dans le sous-sol) pour en finir avec le Grand Sud. Mais comment expliquer à un peuple en symbiose avec son environnement le concept d’assimilation, de frontières, lui qui n’a entendu parler de l’Empire d’Asreth qu’à travers de rares échanges commerciaux avec les peuplades voisines ? Tout en finesse, Lionel Davoust pose à Korvosa (et par extension au lecteur) un joli cas de conscience, entre pacifisme, obligations militaires et destin d’un Empire. La résolution du roman est bien trouvée, et trouve un écho intéressant avec les récits situés bien plus tard chronologiquement (j’y reviendrai).

« Au-delà des murs » et « Bataille pour un souvenir » s’intéressent au même conflit, entre Asreth et les Hiéraliens, le premier du point de vue d’un soldat d’Asreth qui a perdu la mémoire alors qu’il semble à l’origine d’un carnage terrible, le deuxième du point de l’un des fascinants guerriers du Hiéral, les guerriers-mémoire. « Au-delà des murs » laisse planer le mystère quant à ce qui est arrivé au soldat de l’Empire d’Asreth, alors que lui-même se demande s’il n’est pas manipulé, syndrôme classique des soldats de retour de la guerre. Un récit subtil et joliment tourné.

« Bataille pour un souvenir » est un texte absolument superbe, grâce à ce génial concept sur lequel il repose : les guerriers-mémoire, ces guerriers redoutables qui, pour déchaîner leur force, « brûlent » leurs souvenirs. Avec un telle trouvaille, Lionel Davoust ne se prive pas de nous offrir, à travers un récit de bataille, quelques scènes courtes mais déchirantes. Comment rester insensible devant ce guerrier obligé d’oublier ses souvenirs les plus précieux pour tenter de vaincre dans un combat perdu d’avance ? Ou bien devant cet autre qui, entre deux batailles, profite intensément de la vie pour avoir des « réserves de souvenirs » pour le combat suivant ? Avec en plus un joli twist final, ce texte sur ces guerriers prêts à tout perdre, jusqu’à leur identité même, pour gagner est mon favori du recueil. Somptueux !

« La fin de l’histoire » met également en opposition Asreth avec un peuple étonnant résidant dans la forêt d’Isendra. Là encore, tout l’intérêt du texte réside dans la découverte du mode de pensée de ce peuple, en opposition bien sûr avec celui d’Asreth. La fin est tout à fait réussie.

« Le guerrier au bord de la glace » se situe environ 600 ans après « La volonté du Dragon » et « La route de la conquête » et lorgne carrément du côté de la SF avec ses combats de méchas. Il est réjouissant de voir un univers vivant, qui se développe technologiquement au fil des récits, là où trop d’univers de fantasy semblent figés sur cet aspect. La fin est là encore réussie, et très ouverte.

Enfin, « Quelques grammes d’oubli sur la neige » renoue avec la fantasy dans ce lointain futur, non daté (alors qu’une chronologie est disponible en fin de volume). Un récit dans lequel la soif de pouvoir semble mener un histoire d’amour impossible au désastre. J’ai l’impression de me répéter mais c’est encore une fois particulièrement sensible et bien écrit, avec une fin là aussi en tout point réussie. Ces deux derniers textes et ce qu’ils impliquent quant à la destinée de l’Empire d’Asreth font écho, eut égard à une certaine prophétie qui dicte la conduite du-dit Empire, au choix final de Stannir Korvosa dans le premier récit, preuve que l’auteur a pleinement réfléchi à la construction de son univers.

Parfait ce recueil ? Allez, j’y vois bien un petit bémol ! Disons que tous les textes proposés sont centrés sur Asreth et sa volonté d’unification, la seule distinction résidant dans les opposants. Mais les récits et les personnages restent heureusement suffisamment différents pour éviter la redite. Certes, le projet d’Asreth est la pierre angulaire de l’univers, mais pourquoi pas imaginer des récits qui sortent de cet élément pour développer autre chose ? Gageons que Lionel Davoust y a pensé, lui qui n’hésite pas à dire qu’il reste encore énormément de choses à découvrir sur le monde d’Évanégyre (la Grande Guerre par exemple, ou bien des éléments totalement secondaires pourquoi pas mais qui développeraient encore plus l’univers ?)

Au final, Lionel Davoust nous sert donc un recueil particulièrement réussi, avec un court roman proposant un personnage approfondi, une culture étonnante, et des dilemmes moraux bien développés, et des nouvelles développant l’univers de belle manière, aussi bien du point de vue « ethnologique » que du point de vue historique (flirtant ouvertement avec la SF pour un des textes) sans oublier de proposer des idées fantastiques (les guerriers-mémoire, je ne m’en remets pas, je veux les revoir !) et des scènes touchantes et émouvantes. L’auteur a également réussi le tour de force d’éviter le manichéisme : non Asreth n’est pas le mal absolu, sa volonté d’unification ne passe pas forcément par la guerre, et assimilation ne veut pas dire extinction. Une jolie subtilité qui met le lecteur mal à l’aise car ne sachant pas forcément comment se situer face à cet Empire qui semble vouloir le bien de tout le monde quitte à utiliser les armes, pour protéger la planète d’un mal que l’on ignore (en tout cas pour le moment). Bref, j’ai adoré, tout simplement. La suite (qui sera, tout comme ce volume, tout à fait lisible sans avoir lu les précédents) est déjà prévue avec un roman en 2015 et j’ai déjà hâte d’y être.

 

Lire aussi les avis de Kissifrott, Blackwolf, Xapur, Hervé, Unwalkers, Nicolas Winter, Dionysos, Efelle, Les Mandragores, Cédric Jeanneret, Vil Faquin.

 

Critique rédigée dans le cadre du challenge « Francofou, le retour » de Doris.

challenge-francofou

 

  
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