Völsunga saga

Posted on 16 avril 2015
Que l’on se rassure, je n’ai nullement l’intention de faire un article pour chaque saga lue, auquel cas ce ne serait pas d’un mois viking dont il serait question, mais plutôt d’une année…

 

Sagas légendaires islandaisesPour autant, il me paraît intéressant de revenir sur cette « Völsunga saga », car d’une part elle permet ici de bien faire la distinction entre les sagas dites « islandaises » (comme « La saga d’Eiríkr le Rouge » ou « La saga de Gísli Súrsson ») se rapportant à l’histoire de certains grands personnages islandais et les sagas dites « légendaires », reprenant le matériau des mythes et légendes bien antérieurs, et d’autre part elle touche à un mythe bien connu : celui de Siegfried, qui s’appelle ici Sigurd. Siegfried, le personnage bien connu du grand poème « La chanson des Nibelungen », popularisé notamment par le cycle d’opéras « L’anneau du Nibelung » de Richard Wagner (et à nouveau à l’honneur récemment avec « La légende de Sigurd et Gudrún » par J.R.R. Tolkien).

Cette « Völsunga saga » est donc une oeuvre en prose (au contraire de « La chanson des Nibelungen » qui, dans sa langue d’origine, est un poème avec rimes, vers, strophes, etc…, aspect qui disparaît un peu dans sa traduction française) qui, toute saga qu’elle est, ne s’intéresse pas seulement à Sigurd, mais aussi à son ascendance ainsi qu’à sa descendance. Il y est donc question d’Odin (puisque Sigurd n’est rien de moins que son arrière-arrière-arrière petit-fils), et d’un certain nombre de grands personnages mythiques voire mythologiques, avant d’en arriver à ce grand héros bien connu.

Grand héros par la force, l’habileté, le courage bien sûr, mais pas seulement. Ce sont même les moindres de ses qualités (après tout, il n’abat le dragon Fáfnir qu’en se cachant dans un trou, le prenant donc par surprise) puisqu’il n’atteint son statut de grand héros que par son respect jusqu’au-boutiste de la parole donnée. Un homme qu’un honneur tout scandinave guide avant tout. Et son histoire est donc une tragédie, dans laquelle se croise sorcellerie, métamorphoses, trahisons, inceste, magie, interventions divines (Odin n’est jamais bien loin…). Des ingrédients classiques, mais n’oublions pas qu’on parle ici d’une oeuvre vraisemblablement rédigée au XIIIème siècle et basée sur des éléments plus anciens tels que « L’Edda poétique » (rassemblant des poèmes écrits entre les VIIIème et XIIIème siècles). On y trouve aussi nombre de thèmes réutilisés dans des oeuvres ultérieures (et non des moindres) tels un anneau, un trésor maudit, une épée reforgée (et au départ plantée par Odin dans un arbre, et que seul Sigmundr, le père de Sigurd, pourra retirer. Ça ne vous rappelle pas un autre mythe bien connu, avec une épée dans une pierre ?), etc…

On touche là du doigt un élément important de ce récit mythique : les sources sont multiples (entre cette « Volsunga Saga », « L’Edda de Snorri », « L’Edda poétique », la version germanique avec « La chanson des Nibelungen », « La geste des danois », etc…), parfois contradictoires sur certains points, et il est bien délicat d’en tirer un récit « véridique » venant d’une oeuvre originale, d’autant que la part historique du récit reste bien difficile à déterminer… En tout cas, il s’agit bien là d’un récit fondamental, puisque nombre d’autres personnages de sagas se réclameront de l’héritage de Sigurd, ou bien y seront liés d’une manière ou d’une autre (tel un certain Ragnar Lodbrok…).

Sur le plan du style, pas de surprise non plus, le ton reste celui des sagas, avec une généalogie importante, et toujours ce ton détaché, laconique, qui fait qu’il faut rester concentré pour ne pas rater les éléments importants du récit. Il y a beaucoup de choses non-dites explicitement, et il faut parfois décoder pour comprendre certaines allusions sibyllines, ou certaines actions ou réactions des personnages qui peuvent sembler étranges (je ne fais pas de critique du récit ici, juste une constatation, je ne prétends pas critiquer un récit mythologique qui n’est pas un roman. A ce titre, les personnages n’ont pas de psychologie approfondie, ils sont là pour jouer un rôle bien défini à l’avance qui dicte leurs actions). C’est sans doute le résultat du mode de pensée différent du peuple nordique de l’époque qui peut dérouter : il y est fortement question de destin, avec divinations, prédictions, etc. Mais il ne faut pas voir cela à travers le prisme de notre éducation et de nos valeurs judéo-chrétiennes : accomplir son destin, quel qu’il soit, et l’accepter pleinement, l’assumer, c’est ça être un héros.  Ce n’est pas se révolter contre un destin de toute façon inéluctable, c’est au contraire en être l’artisan conscient.

Un autre élément intéressant se trouve être les quelques citations de poèmes insérés ici ou là dans le récit, l’occasion de découvrir certains aspects étonnants de cette fameuse poésie scaldique typiquement scandinave (essentiellement islandaise d’ailleurs) (et qui ne garde toute sa richesse stylistique que dans sa langue d’origine), comme les « heiti » (synonymes) et les « kenning » (périphrases). Ces derniers sont assez fascinants, comme « la flamme du fleuve » pour « l’or », « l’arbre du thing des cuirasses » pour « le guerrier » (un thing est un rassemblement, le rassemblement des cuirasses est donc la bataille, et l’arbre des batailles est bien le guerrier !), ou bien encore « la rosée de l’âtre » pour « la suie ».

Je t’apporte de la bière
arbre du thing des cuirasses,
mêlée de force
et de puissant renom,
elle est pleine de charmes
et de vertus,
de bonnes incantations
et de runes de joie.

Heureusement, les notes de bas de pages, très nombreuses, sont là pour aider le lecteur (j’ai lu cette saga dans le volumineux recueil « Sagas légendaires islandaises » des éditions Anacharsis, avec des textes traduits et présentés par Régis Boyer, avec la participation de Jean Renaud).

La « Völsunga saga » est donc un nouveau pas dans ma découverte de la culture scandinave qui, décidément, recèle bien des merveilles.

 

  
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