Glissement vers le bleu, de Robert Silverberg et Alvaro Zinos-Amaro

Posted on 5 octobre 2015
Quand je vois Robert Silverberg, je fonce. Enfin pas toujours (sinon je serais pauvre tant l’auteur a été prolifique), mais quand même, Robert Silverberg c’est un gage de qualité, non ? Et donc ce « glissement vers le bleu », à l’étrange gestation et co-écrit avec un auteur espagnol (Alvaro Zinos-Amaro) et paru en 2012 en VO, ça donne quoi ?

 

Quatrième de couverture :

Hey-ho ! Hey-ho ! Écoutez la terrible chanson de la Fin des Temps !
777e année du 888e cycle de la 1111e Circonvolution du Neuvième Mandala.
L’univers se refroidit et glisse vers le bleu. Dans l’immensité de l’espace, l’antique berceau de l’Humanité file vers son funeste destin et les Terriens, seuls dans les milliers de galaxies à vivre éternellement, doivent s’habituer à l’idée de leur disparition prochaine.
Mais il est dit qu’un Roi sans Royaume pourrait bien changer le sort de l’univers. Et si c’était Hanosz Prime, qui vient justement d’abandonner ses titres et sa planète pour venir à la rencontre des légendaires seigneurs de la Terre, et trouver la réponse à cette obsédante question : Comment réagit un immortel face à l’imminence de sa mort ?

 

La Fin de Toutes Choses à quatre mains

Glissement vers le bleu - Silverberg - Zinos-Amaro - couvertureAvant d’aller plus loin, revenons brièvement sur la genèse de ce roman (Silverberg y revient plus en profondeur dans l’avant-propos). L’origine de « Glissement vers le bleu » se situe en 1987, date à laquelle Robert Silverberg se met à plancher sur une série de romans sur la fin de l’univers, dans un futur très lointain. Problème, l’auteur s’embourbe et ne parvient pas à mener son histoire correctement. Il laisse ce projet à l’abandon. 25 ans plus tard, en 2012 donc, Mike Resnick vient le voir pour lui demander de participer à une nouvelle collection dans laquelle les ouvrages devront mettre deux auteurs à l’honneur, l’un reconnu et l’autre étant son « protégé ». Mais Silverberg est arrivé à une époque de sa vie où le besoin d’écrire ne se fait plus sentir.

Je redis à Mike ce qu’il sait déjà : je n’ai nullement l’intention d’écrire une novella pour « The Stellar Guild », ni pour quiconque, d’ailleurs. Après presque soixante ans de carrière, je n’ai envie que de me la couler douce. Je ne me suis pas, pour autant, mis définitivement à la retraite, mais simplement, écrire des livres ou des nouvelles ne m’intéresse plus et je serais bien incapable de prédire quand l’envie me reprendra.

Mais l’envie de travailler avec Alvaro Zinos-Amaro lui fera déterrer cette novella jamais terminée (mais qu’il avait déjà réussi à transformer en courte nouvelle sous le titre « Hanosz Prime s’en va sur Terre », parue en 2006 en VO). A la charge du jeune auteur espagnol (devenu quelque temps auparavant un ami du grand Robert suite à une riche correspondance) de finir le travail, Silverberg se contentant d’un petit polissage pour rendre son récit présentable en l’état. « Glissement vers le bleu » se trouve donc être une l’association de deux novellas, l’une que Silverberg n’est jamais parvenu à terminer et qu’il a paresseusement ressortie à l’occasion du lancement d’une nouvelle collection, ce qui lui a permis de ne pas avoir à reprendre la plume, et l’autre d’un auteur espagnol inconnu qui a la lourde charge de se débrouiller pour finir ce que l’immense auteur américain a commencé.

Et le résultat s’en ressent quelque peu. Tout d’abord, côté Silverberg, le récit part un peu dans tous les sens, et on comprend bien que le romancier s’est trouvé piégé dans un récit qu’il ne sait lui-même pas où emmener. Alors bien sûr il s’agit de Silverberg, l’homme sait écrire, et jamais le texte ne se fait ennuyeux quand bien même l’intrigue est réduite à peau de chagrin. Le récit avance lentement certes, mais le rythme n’en pâtit pas, dynamisé qu’il est par un narrateur omniscient qui ne cesse de faire des apartés et autres longues digressions, toutes écrites entre parenthèses, sur un ton souvent drôle. Bref, le lecteur s’amuse, l’auteur aussi sans doute même s’il ne sait pas où il va et que l’intrigue se fait minimaliste.

Puis vient le tour de Alvaro Zinos-Amaro. Qui parvient dans un premier temps à étonnamment bien reprendre le style de Silverberg, jouant lui aussi avec quelques digressions (toutefois moins nombreuses) sur un ton légèrement humoristique et, et c’est là son ajout principal, à donner du corps au récit. Il densifie en effet l’intrigue (parfois malheureusement en utilisant quelques raccourcis un peu trop faciles), reprend les fils laissés à l’abandon par Silverberg pour parvenir à nouer un récit qui tient la route. Ceci dit, le texte de Silverbob partait sur un ton sentant fort l’hommage à la SF de l’âge d’or, et l’auteur espagnol (dont la formation est basée sur les sciences) perd un peu cela de vue en y ajoutant quelques théories purement scientifiques qui détonnent un peu dans un texte qui (comme toujours chez le grand romancier américain) cache bien ses ficelles scientifiques.

Et quand bien même l’intrigue s’épaissit un peu, le roman ne peut s’appuyer sur elle seule, elle qui n’apporte pas les différents niveaux de lecture qu’on est en droit d’attendre d’un récit initié par Robert Silverberg. Ils sont loin les romans du type « Les profondeurs de la terre » ou « L’oreille interne ». De même, alors qu’on est bien dans une histoire de fin du monde, le lecteur a bien du mal à se sentir impliqué dans ce qui tend vers une une issue dramatique, la faute à un univers pas assez développé et qui paraît particulièrement vide.

Bref, ce « Glissement vers le bleu » n’a finalement que la « simple » prétention de divertir le temps de la lecture, ce qu’il fait plus par le style que par son histoire. A ce titre, je me suis plus amusé à lire la partie Silverberg que la partie Zinos-Amaro. Mais il entre aussi complètement dans la zone des romans « vite lus, vite oubliés ».

 

  
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