Nous allons tous très bien, merci, de Daryl Gregory

Posted on 12 octobre 2015
La venue aux prochanes Utopiales de Daryl Gregory m’a poussé à m’intéresser à ce court roman/novella tout juste paru aux éditions du Bélial. Déjà remarqué en France avec le roman « L’éducation de Stony mayhall » (qui sommeille sur ma PAL…), l’auteur semble faire son petit bout de chemin, soutenu par un bon bouche à oreille et un éditeur qui croit en lui. Mais 150 pages pour s’intéresser à cinq personnages victimes de traumatismes physiques et psychologiques, est-ce suffisant ?

 

Quatrième de couverture :

Il y a d’abord Harrison, qui, adolescent, a échappé à une telle horreur qu’on en a fait un héros de romans. Et puis Stan, sauvé des griffes d’une abomination familiale l’ayant pour partie dévoré vif. Barbara, bien sûr, qui a croisé le chemin du plus infâme des tueurs en série et semble convaincue que ce dernier a gravé sur ses os les motifs d’un secret indicible. La jeune et belle Greta, aussi, qui a fui les mystères d’une révélation eschatologique et pense conserver sur son corps scarifié la clé desdits mystères. Et puis il y a Martin, Martin qui jamais n’enlève ses énormes lunettes noires… Tous participent à un groupe de parole animé par le Dr Jan Sayer. Tous feront face à l’abomination, affronteront le monstre qui sommeille en eux… et découvriront que le monstre en question n’est pas toujours celui qu’on croit…

 

Thérapie de groupe post-films d’horreur

Nous allons tous très bien, merci - Gregory - couvertureQue se passe-t-il une fois que le générique de fin des films d’horreur défile devant nos yeux ? C’est en substance le sujet de ce court roman (moins de 200 pages) de Daryl Gregory. Cinq personnes victimes de traumatismes graves se retrouve dans une thérapie de groupe, sous l’impulsion du docteur Jan Sayer. Cinq personnes qui ne sont pas des héros, qui ne sont pas nécessairement sortis « vainqueurs » de ce qui a provoqué leurs traumatismes, mais cinq victimes qui souhaiteraient tourner la page, passer à autre chose mais qui en sont incapables.

Daryl Gregory joue habilement avec ses personnages, ne faisant découvrir au lecteur ce qui leur est arrivé que par bribes, gardant de nombreuses zones d’ombre. Mais ce n’est pas le sujet du roman, qui s’intéresse à l’après et qui, en donnant la parole à chacun d’eux, construit un canevas plus global, et qui pourrait bien amener ces personnages torturés à se confronter à nouveau à l’indicible (et ce mot, très lovecraftien, n’est pas là par hasard puisque l’auteur y fait expressément référence, à travers la ville de Dunnsmouth par exemple), eux qui tentent pourtant d’oublier.

Usant d’une construction très habile (chaque chapitre débute sur une narration faisant usage du « nous », avant que la focalisation se fasse sur un personnage en particulier, puis au fil du roman les chapitres s’intéressent à plusieurs personnages à la fois, renforçant la notion de groupe et rappelant la thérapie qui parvient à, semble-t-il, fonctionner), l’auteur nous fait vivre de l’intérieur cette thérapie, avec les blessures de chacun, les hostilités, les incompréhensions, les dialogues, les silences. Nul doute qu’il a dû être bien conseillé sur ce sujet, car tout cela sonne vrai, au-delà des faits qui, eux, tombent incontestablement dans le domaine du fantastique horrifique.

Et si les traumatismes de ces cinq personnages ont bien du mal à disparaître, c’est sans doute parce que ceux-ci sont dans le vrai. Ils sont de rares « privilégiés », ceux qui ont vu la vérité, ceux qui savent que l’Autre Côté existe, et qu’il n’attend qu’une petite ouverture pour déferler sur le monde. Ironiquement, ce sont eux qui ont les yeux ouverts et qui sont contraints de mener une thérapie, alors que la société les considère comme fous. Mais qui sont les fous ? Qui sont les aveugles ? Sans doute pas ceux auxquels on pense… Un joli renversement des rôles mené par Daryl Gregory qui signe là un roman court et nerveux, bien mené (c’est une belle réussite sur le plan de la construction) et qui sait ménager ses effets pour mieux surprendre le lecteur. Pari réussi donc (et agrémenté d’une intéressante interview en fin d’ouvrage, à ne lire qu’après en avoir terminé avec le roman !), et on a hâte de découvrir d’autres récits de Daryl Gregory (et moi j’ai tout intérêt à me mettre à lire « Stony Mayhall »…).

 

Lire aussi les avis de GromovarBlackwolf, Cornwall, Efelle.

 

  
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