Légationville, de China Miéville

China Miéville a des idées. On le sait, ses romans reposent souvent sur des univers très particuliers ou bien carrément sur des idées folles, tel « the city & the city » et ses deux villes embriquées l’un dans l’autre. Pour autant, ce dernier roman ne m’avait pas pleinement convaincu, la faute à une intrigue pas tout à fait à la hauteur de l’idée de base. En sera-t-il de même ici, alors que ce « Légationville » a été plébiscité à sa sortie (nominations aux Prix Hugo, Nebula, Arthur C. Clarke en 2012, vainqueur du Prix Locus la même année) ?

 

Quatrième de couverture :

Sur Ariéka, planète à l’air irrespirable aux confins du monde connu, Légationville est un comptoir commercial et une enclave humaine alimentée en oxygène. Ici, les Ariékans, appelés les Hôtes, et les Humains cohabitent en paix.
Pourtant, la communication entre eux est délicate : les Ariékans, bien que parlant par deux bouches, ne connaissent qu’un niveau de langage ; le mensonge leur est inconcevable et toute forme de métaphore, inintelligible.
Seuls les Légats, paire de clones humains élevés et appareillés en symbiose, peuvent échanger avec les Hôtes. Et un Légat improbable vient d’arriver en ville, chargé d’imposer les nouveaux plans du Brémen.

Par tous les moyens.

 

Du langage et de la perception qu’il implique

Légationville - Miéville - couvertureUne fois n’est pas coutume, je vais revenir un peu plus longuement que d’habitude sur les spécificités de l’univers développé dans ce roman par China Miéville. Le roman se déroule donc sur la planète Arieka, située aux confins de l’univers connu. La Légationville qui donne son nom au roman n’est en fait rien d’autre qu’un comptoir qui permet aux humains de commercer avec les autochtones. Sauf que ces autochtones sont d’un genre très particulier puisque munis de deux bouches, ils parlent avec deux voix en simultané. De plus leur langage ne se basant que sur des faits ou des choses existantes ou ayant existé, les Hôtes (tel que les humains les appellent) sont donc incapables de conceptualisation (à moins de passer par un processus étonnant de comparaison… vivante !) ou de mensonge. Pire, le langage humain ne leur est pas seulement incompréhensible, il n’existe tout simplement pas (puisque parlé avec une seule voix) ! Une caste d’humains, les Légats, a donc été créée dans le but de communiquer avec les Hôtes. Deux clones, élevés ensemble depuis leur plus jeune âge, parlant avec leur deux voix synchronisées, de manière à être compris par les habitants d’Arieka. Deux clones qui ne font donc aux yeux des Hôtes qu’une seule et même personne. L’arrivée à Légationville d’un nouveau Légat va remettre tout cela en question.

Voilà le socle de base sur lequel se base le roman. Et ce n’est qu’une partie de ce que l’auteur a à offrir tant il voit large et introduit tout un tas de concepts étonnants et de problématiques à l’avenant. Technologie vivante, néologisme nombreux (profitons-en ici pour saluer la traduction de Nathalie Mège, qui n’a pas dû être une partie de plaisir !), langage inventé, le roman a ainsi beaucoup à offrir. À tel point qu’il prend son temps pour démarrer vraiment. Beaucoup de temps. Variant sa narration entre présent et passé pour expliquer tous les tenants et aboutissants menant à l’intrigue principale, cette dernière ne décolle vraiment qu’à la moitié du roman, soit après 250 pages. Ça fait beaucoup. Mais l’aspect paradoxal de ça, c’est que c’est cette partie que j’ai préféré. Avide de découvrir ce monde étonnant, j’ai en effet trouvé cette longue introduction assez passionnante, elle qui n’hésite pas à digresser sur des aspects qui pourraient paraître anodins (le voyage dans l’espace par exemple).

Car il faut bien avouer que mon attention s’est ensuite peu à peu désagrégée. Il faut croire que je n’arrive pas à accrocher aux intrigues de China Miéville, puisque c’est un peu l’effet que j’avais ressenti pour « The city & the city ». La faute à deux choses essentiellement. La première tient à l’héroïne mise en scène par l’auteur. Avice est en effet relativement banale, ou plutôt est-ce le style utilisé par Miéville pour la faire parler qui m’est apparu banal. Pas d’accroches, pas d’empathie (et pourtant elle en traverse des drames, mais sans s’en émouvoir plus que ça…). Dans un roman écrit à la première personne, c’est évidemment un souci. Le deuxième problème, plus gênant encore selon moi, tient à ce manque quasi complet de descriptions. Miéville ne décrit rien ou presque, impossible de se représenter les Hôtes, impossible de visualiser leur habitat, leur ville, impossible de se rendre compte du décor du roman, le comble alors qu’il pèse allègrement ses 500 pages, largement de quoi correctement exposer son cadre !

Tout cela m’a beaucoup gêné et j’ai dû lutter pour arriver au bout d’un roman qui pose pourtant des problématiques intéressantes sur le langage, mais qui malgré tout ne parvient pas à garder un aspect cohérent tout du long. Ainsi, sans trop en dire, j’ai trouvé le dénouement ou en tout cas le retournement final trop facile, trop rapide, pas réaliste à mes yeux.

Il serait aisé pour moi de dire que ce roman n’est pas bon, mais je n’irai pas jusque là. Car il est pétri d’idées géniales, parce qu’il pose un contexte vraiment étonnant et qu’une telle débauche d’idées est à mettre au crédit de l’auteur. En revanche, je commence très sérieusement à me demander si China Miéville est fait pour moi… Il semblerait que ses intrigues me posent problème. Et puisque dans un roman, les idées, même géniales, ne suffisent pas…

 

Lire aussi les avis de Gromovar, Cédric, ZinaKaali, Lelf.

 

  
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