Annihilation, de Jeff VanderMeer

Posted on 11 avril 2016
Jeff VanderMeer est un auteur rare en France. Il n’avait jusqu’ici été traduit qu’une seule fois côté roman (on mettra à part les cas de « La bible steampunk » et du « Manuel steampunk »), avec l’insolite « La cité des saints et des fous » que j’ai zieuté à plusieurs reprises sur les étalages des Utopiales, sans jamais l’acheter (et je sens que, ce livre étant devenu rare, je vais finir par m’en mordre les doigts…). Le voici donc de retour avec un roman primé par un Prix Nebula en 2014.

 

Quatrième de couverture :

La Zone X, mystérieuse, mortelle. Et en expansion.

Onze expéditions soldées par des suicides, meurtres, cancers foudroyants et troubles mentaux.

Douzième expédition. Quatre femmes. Quatre scientifiques seules dans une nature sauvage. Leur but : ne pas se laisser contaminer, survivre et cartographier la Zone X.

 

Lovecraft, Stalker et nature writing

Annihilation - VanderMeer - couverturePremier court volume (200 pages) d’une trilogie (« La trilogie du Rempart Sud »), « Annihilation » est un roman qui ne se dévoile que peu. Car cette « Zone X » dont il est question, explorée par un groupe de quatre femmes (une biologiste, une anthropologue, une géomètre et une psychologue, qui ne seront jamais nommées), reste bien mystérieuse. Qu’est elle ? Où se situe-t-elle ? Qu’est-ce qui la définit ? Quelle est sa surface ? Quelles sont ses propriétés ? Autant de questions que se posent le lecteur mais aussi en même temps la biologiste-narratrice puisque c’est à travers son compte-rendu que l’on découvre cet endroit étrange, auparavant peuplé mais maintenant laissé à l’abandon suite à un événement qui reste bien mystérieux.

Les quatre femmes sont donc chargées de cartographier et de manière générale d’étudier cet environnement. Cela pourrait paraître simple mais elles représentent la douzième expédition, alors que la plupart des expéditions précédentes se sont mal terminées. Et la biologiste va rapidement découvrir certaines informations qui semblent avoir été volontairement passées sous silence, comme par exemple cette « tour enterrée », qui n’apparaît sur aucune carte.

Quand on parle de zone d’exclusion, d’explorateurs, on pense forcément au roman « Stalker » des frères Strougatski. Le lien de parenté semble évident même si le traitement n’a rien à voir. Car là où la Zone des auteurs russes n’était qu’un prétexte à l’exploration profonde des personnages (mais c’est aussi un point commun, j’y reviendrai), ici la Zone X est au centre du récit puisque tout s’y déroule. On peut même dire qu’elle prend réellement vie sous la plume de VanderMeer qui ne manque pas de faire du nature-writing, lui qui s’est fortement inspiré de nombreuses randonnées au sein du parc St. Marks Wildlife Refuge. Ainsi, c’est une plongée en pleine zone anciennement habitée mais dans laquelle la nature a repris ses droits qui nous est offerte. Une nature belle, vivante, mais qui peut aussi être dangereuse. L’ambiance est particulièrement soignée et réussie : une forêt, des marais, la côte. Parfois des éléments plus urbains : un village abandonné, un phare.

Mais vous me direz : c’est bien joli tout ça, mais on est dans de la littérature de genre ou non ? La réponse est oui, totalement oui. Car la Zone X recèle bien des secrets. Des secrets que l’on pourrait qualifier… d’indicibles. Oui l’élément lovecraftien est très présent, même si l’auteur se défend tout à fait de s’être inspiré du Maître de Providence. Pas question d’en dire plus bien sûr, la surprise et à nouveau l’ambiance (bien que très différente de celle décrite plus haut) installées par l’auteur jouent à plein. Le suspense est fort bien dosé, et à l’instar de Lovecraft, VanderMeer sait ménager ses effets pour jouer à fond avec l’imagination du lecteur. Et si ce dernier adhère au récit (et ce fut mon cas, malgré un premier essai manqué car je n’étais pas dans le bon état d’esprit. J’ai recommencé un peu plus tard, et la mayonnaise a pris), il lui sera bien difficile de s’arrêter sans avoir tourné la dernière page.

Plongée au coeur d’une zone étrange donc, mais aussi, et j’en reviens au point commun avec « Stalker », plongée au coeur du personnage de la biologiste, qui cache elle aussi quelques secrets. Ainsi, le roman oscille entre descriptions de ce qui se passe dans la Zone X et flashbacks sur la vie passée de la narratrice. C’est à travers elle que l’on interprète les événements, de façon forcément biaisée puisqu’elle n’y est réceptive qu’à travers ce qui lui est arrivé auparavant, ce qu’elle a vécu. C’est un personnage vraiment intéressant, humain et réaliste dans son caractère réservé et très analytique, et qui apportera au lecteur autant de réponses sur elle-même (car elle est sans doute présente dans cette expédition pour une bonne raison) que sur ce qui se passe autour d’elle. Une exploration intérieure comme extérieure donc.

Alors bien sûr, il faut accepter de rester dans le flou. A l’issue du roman, les questions restent presque aussi nombreuses qu’au début, malgré tout ce qui nous a été donné de voir (et malgré la qualité de ce roman (qui se suffit à lui-même si on préfère ne pas avoir de réponses claires, ce qui est un choix tout à fait acceptable), on peut déjà avoir peur de la suite avec le risque de faire retomber le soufflé sacrément bien monté de ce premier volume). Et pourtant, ce voyage au coeur de la Zone X, pour aussi éprouvant ou inquiétant qu’il fut, restera certainement gravé dans ma mémoire. Un grand moment de déstabilisant dépaysement.

A noter qu’une adaptation cinématographique est en cours de production. Un pari dangereux qui risque fort de dénaturer cette oeuvre singulière (on va forcément y perdre la subjectivité de la narratrice, élément pourtant essentiel), mais le casting quatre étoiles (Natalie Portman, Jennifer Jason Leigh, Oscar Isaac) et le réalisateur qui me semble être un choix pertinent (Alex Garland, réalisateur du très bon « Ex-Machina » qui avait le bon goût de ne pas céder au spectaculaire, en espérant que l’adaptation reste sur ce créneau) permettent de garder espoir. Wait & see. En attendant, savourez cet excellent bouquin.

 

Lire aussi les avis de Gromovar, YogoClaire, Culture-SF, le Fictionnaute, Charybde27.

 

  
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