Station eleven, de Emily St. John Mandel

Posted on 22 août 2016
La rentrée littéraire arrive ! Et avec elle, quelques livres qui, même si cela ne saute pas aux yeux immédiatement (en tout cas si on ne lit pas la quatrième de couverture), appartiennent totalement au genre SF. « Station eleven », précédé d’une très bonne presse outre-atlantique, fait partie de ceux-ci.

 

Quatrième de couverture :

Un soir d’hiver à Elgin Theatre de Toronto, le célèbre acteur Arthur Leander s’écroule sur scène, en pleine représentation du « Roi Lear ». Plus rien ne sera jamais comme avant.
Dans un monde où la civilisation s’est effondrée, une troupe d’acteurs et de musiciens parcourent la région du lac Michigan et tente de préserver l’espoir en jouant du Shakespeare et du Beethoven. Ceux qui ont connu l’ancien monde l’évoquent avec nostalgie, alors que la nouvelle génération peine à se le représenter. De l’humanité  ne subsistent plus que l’art et le souvenir. Peut-être l’essentiel.
Entre l’avant et le présent, « Station Eleven » entrelace sur des décennies la destinée de personnages inoubliables. Élégie de la condition humaine, ce livre à construction vertigineuse envoûte le lecteur par sa puissance romanesque émotionnelle.

 

Shakespeare après la fin du monde

Station eleven - St. John Mandel - couvertureEmily St. John Mandel est une jeune auteure canadienne née en 1979 (oui jeune, car je suis né la même année, donc ne discutez pas, elle est jeune. 😀 ). Mais elle n’en est pas à son coup d’essai, « Station eleven » étant son quatrième roman, même si jusqu’ici elle s’était plutôt cantonnée au genre policier/thriller. Ce nouveau roman se frottant à la SF lui a d’ailleurs permis d’être nominée à quelques prix prestigieux (notamment le National Book Award aux US) et de remporter le prix Arthur C. Clarke en 2015. Autant dire que sa traduction était attendue. Ce sont les éditions Rivages qui s’y collent, eux qui ont déjà édité les précédents romans de l’auteure (je ne saurais d’ailleurs trop vous conseiller les articles de Charybde2 sur « Dernière nuit à Montréal », « On ne joue pas avec la mort » et « Les variations Sebastian » si les thrillers vous intéressent).

Alors « Station eleven », de quoi ça parle ? Et bien c’est du post-apo, pour faire simple. Sauf que ce n’est pas aussi simple, puisque certes une partie du roman relève de ce genre, mais l’auteure fait de nombreux flashbacks sur « l’avant » (la civilisation humaine a sombré à cause d’une épidémie foudroyante d’une grippe extrêmement agressive et contagieuse). Les personnages sont nombreux, aussi bien « avant » que « après », mais on s’aperçoit au fil de la lecture que tout est lié, la romancière ne laissant rien au hasard.

Mais n’allez pas croire qu’il s’agit d’une intrigue alambiquée, pas du tout, je dirais même que l’intrigue, si tant est qu’elle existe (on peut en discuter), s’efface finalement presque totalement devant les personnages, tous bien travaillés, touchants avec leur qualités et leurs défauts et crédibles (l’occasion de dire qu’on est sans doute plus devant un roman de littérature « blanche » qu’un « pur » roman de SF, mais qu’importe…). Il est d’ailleurs étonnant de voir que les passages précédant la catastrophe et les personnages qui les illustrent sont les plus réussis, preuve que le post-apo n’est qu’un prétexte (mais un prétexte réussi lui aussi, avec cette « Symphonie Itinérante », une troupe d’acteurs qui reproduit des pièces de Shakespeare dans les villes où elle passe, illustration de l’importance de l’art et de la culture pour faire vivre une société, le ciment qui l’empêche de sombrer définitivement) pour parler de la vie, des choix que l’on fait, et des conséquences (parfois inattendues et dont on ne sait souvent rien) de ceux-ci.

Cette narration, qui en soi n’a rien de foncièrement original, est pourtant extrêmement maîtrisée et la très belle plume et la finesse des descriptions et du travail sur ses personnages de Emily St. John Mandel font qu’il est bien difficile de lâcher le roman une fois les premières pages tournées, chose rare quand on se rend compte que ce n’est pas l’intrigue qui pousse à continuer la lecture (les personnages, les personnages, les personnages ! Et démêler l’écheveau de ces trajectoires qui se croisent parfois par de petits riens) et preuve donc du grand talent de l’auteure.

Roman à la fois terrible et lumineux, à l’ambiance parfois sombre mais avec toujours cette petite lueur d’espoir (voire un peu plus, on est donc loin de romans post-apo désespérés comme « La route » de Cormac McCarthy ou « Gueule de truie » de Justine Niogret, romans qui de toute façon n’ont rien à voir dans leur traitement), que l’on sent parsemé de petites choses issues de la vie de l’écrivaine (elle a vécu à Toronto et à New York, lieux qui se retrouvent dans le roman, est née et a grandi sur une petite île à l’ouest de la Colombie Britannique, tout comme l’un des personnages, etc…), « Station eleven » est une grande réussite, et sans doute un modèle de construction narrative. J’en attendais beaucoup, j’ai été servi, et même un peu plus.

 

Lire aussi les avis de Acr0Cindy Van Wilder, Julien Martlet, Alexia, Chatelaine.

Critique rédigée dans le cadre du challenge « Dystopie » de Val.

dystopie

 

  
FacebooktwitterpinterestmailFacebooktwitterpinterestmail