Un pont sur la brume, de Kij Johnson

Après LA CLAQUE de Ken Liu, place à la douceur de Kij Johnson (toujours dans la collection « Une heure-lumière » du Bélial), une auteure que je ne connaissais pas (alors que j’ai plusieurs nouvelles d’elle qui traînent sur ma PAL numérique…) mais qui va bien vite monter sur mon auteur-o-mètre…

 

Quatrième de couverture :

Kit Meinem d’Atyar est peut-être le plus doué des architectes de l’Empire. Peut-être… et tant mieux. Car il lui faudra convoquer toutes ses compétences, l’ensemble de son savoir pour mener à bien la plus fabuleuse qui soit, l’œuvre d’une vie: un pont sur le fleuve de brume qui de tout temps a coupé l’Empire en deux. Un ouvrage d’art de quatre cent mètres au-dessus de l’incommensurable, cette brume mortelle, insondable, corrosive et peuplée par les Géants, des créatures indicibles dont on ne sait qu’une chose : leur extrême dangerosité…
Par-delà le pont… l’abîme, et pour Kit une aventure humaine exceptionnelle.

 

Vis ma vie d’ingénieur en génie civil

un-pont-sur-la-brume-johnson-couvertureKit Meinem a été missionné pour construire un pont. C’est son métier, il est architecte en génie civil, comme son père avant lui. Le défi est de taille : le pont doit traverser un fleuve de brume de 400 mètres de largeur, une brume dangereuse peuplée de Géants certes discrets mais qu’il ne vaut mieux pas déranger. « Un pont sur la brume » nous décrit donc ce chantier, en commençant par l’arrivée de Kit dans la petite ville de Procheville sur l’une des rives du fleuve (Loinville étant située de l’autre côté). Mais Kit est un étranger dans ce pays, et construire un pont ne se résume pas à savoir faire de savants calculs de charge et d’effort : il faut aussi compter avec les habitants et les centaines d’ouvriers qui prendront une part non négligeable dans la réussite ou l’échec du projet.

Avec un tel pitch, si l’on met de côté cet étrange fleuve de brume et ces Géants qui l’habitent, on pourrait se trouver devant un texte décrivant l’avancée d’un vaste projet architectural (pas sexy pour un sou), le plaçant d’emblée à l’écart de des littératures de genre. Après tout, l’aspect fantasy n’est presque qu’un prétexte, et si le fleuve de brume avait été remplacé par un fleuve normal peuplé d’alligators voraces, on aurait eu plus ou moins le même résultat. Encore que… Cette étrange brume qui semble presque vivante donne une atmosphère étrange au récit. Une atmosphère cotonneuse et pourtant un brin menaçante, de loin. Kij Johnson a soigné son décor, et même s’il reste finalement peu décrit, c’est suffisant pour toucher et intriguer le lecteur.

Les personnages non plus ne manquent pas d’attraits, alors que ce chantier va se transformer pour Kit (mais pas seulement) en aventure humaine. Après tout, ce pont va permettre de traverser le fleuve plus facilement, là où il fallait auparavant utiliser les services de bacs (l’occasion pour Kit de faire connaissance et peut-être un peu plus avec Rasali, qui s’occupe avec son neveu de la traversée du fleuve), avec tous les aléas que cela suppose (surtout avec cette brume quasi vivante). Et forcément, ce pont (d’une ampleur exceptionnelle) ne sera pas sans impact sur la vie des habitants de Procheville et Loinville. Le pont sur la brume, métaphore du changement, de l’avancée de la civilisation, et des bouleversements qui vont avec, pour les hommes et les femmes d’un point de vue personnel comme pour la société dans son ensemble.

Kit, de fil en aiguille, va apprendre à connaître la communauté des deux cités, et vice versa. Amitié, respect, une certaine connivence nécessaire s’installe. La colère aussi, car les drames ne sont jamais loin. Ainsi, d’un pitch de départ pas forcément engageant, on obtient finalement une touchante histoire écrite avec subtilité et une belle sensibilité. Et c’est un vrai tour de force de la part de l’auteur que de nous offrir en 120 pages une véritable petite fresque communautaire, tout en étant intimiste. Dès lors, même s’il est bien difficile de les comparer, on ne s’étonnera guère d’apprendre que ce texte est lauréat des prix Hugo et Nebula 2012, à chaque fois au nez et à la barbe d’un certain « L’homme qui mit fin à l’Histoire », c’est dire le niveau…

Encore une belle réussite donc pour cette collection, et encore une auteure relativement inconnue placée au premier plan dans le paysage littéraire francophone. A ce titre, on ne peut que saluer les éditions du Bélial’ pour nous permettre de découvrir de nouveaux noms de très grande qualité tels Ken Liu ou Daryl Gregory. Espérons que nous n’en restions pas là avec Kij Johnson.

 

Lire aussi les avis de Nebal, Nicolas Winter, Apophis, L’Ours inculte, Yogo, Marcelline, Blackwolf, Soleil vert, Lutin82

Critique rédigée dans le cadre du challenge « S4F3s2 » de Xapur.

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