Histoires extraordinaires, de Edgar Allan Poe

Depuis le temps ! J’avais en effet en tête depuis bien longtemps de lire celui à qui Lovecraft , Verne ou Conan Doyle doivent tant. Enfin, avec quelques chèques cadeaux en poche, j’ai craqué sur l’édition de la Pléiade qui reprend l’intégralité de ses écrits en prose traduits par Charles Baudelaire. On commence donc par le premier recueil publié par le poète français, « Histoires extraordinaires », reprenant treize nouvelles de l’écrivain américain.

 

Quatrième de couverture (tirée de l’édition du Livre de Poche) :

Baudelaire avait raison : ces nouvelles sont extraordinaires.
Un homme atteint la lune en ballon, un autre transforme en or les vils métaux, les morts apparaissent pour entraîner les vivants au tombeau, les malédictions s’accomplissent.
Edgar Poe était fasciné par le rêve, le spiritisme, la métempsycose mais aussi les sciences. Il a créé un monde irréel d’autant plus envoûtant que le fantastique est peint avec logique et minutie.
Cet écrivain américain ressentit toute sa vie la perversité qui existe en tout être. L’homme est sans cesse et à la fois homicide et suicide, assassin et bourreau.
« Edgar Poe a emprunté la voie royale du grand art. Il a découvert l’étrange dans le banal, le neuf dans le vieux, le pur dans l’impur. Voilà un être complet », disait Valéry.

 

Le romantique gothique par qui tout est arrivé

oeuvres-en-prose-poe-couvertureIl est toujours temps de lire les grands classiques, et Edgar Poe en fait partie. Considéré comme une des grandes plumes de la littérature américaine, Poe, né en 1809 et mort prématurément en 1849, est surtout connu chez nous grâce à la traduction de Charles Baudelaire qui semblait avoir vu en lui quelqu’un lui ressemblant. Auteur connu et reconnu, à l’origine des genres science-fiction et fantastique, inventeur du genre policier, l’écrivain américain a eu une influence non négligeable sur la littérature (de genres mais pas que) qui ne serait sans doute pas ce qu’elle est s’il n’avait pas existé.

« Histoires extraordinaires » est donc le premier recueil mis au point par Charles Baudelaire, paru en 1856 (après la mort de Poe donc, même si les nouvelles le composant sont toutes parues de son vivant). S’il ne possède pas de fil directeur (on y trouve de tout : aventure, policier, fantastique, récit maritime ou purement gothique), il est révélateur de l’influence que Poe a eu sur de nombreux auteurs qui l’ont suivi. Qu’il s’agisse de Lovecraft pour les récits d’horreur, de Verne pour les récits scientifiques ou de Conan Doyle pour les récits policiers, il est évident que le travail de Poe a été une vraie source d’inspiration.

Je ne ferai pas ici de critique exhaustive de toutes les nouvelles (quoique…), tout juste retiendrai-je celles qui m’ont le plus marqué. Difficile de ne pas citer « Double assassinat dans la rue Morgue » et « La lettre volée » qui mettent en scène Auguste Dupin, enquêteur privé sans qui le Sherlock Holmes de Conan Doyle n’aurait sans doute pas existé. Science de l’analyse et de la déduction, observation minutieuse, tout Holmes se retrouve dans Dupin (ou peut-être est-ce le contraire…). Le mécanisme narratif est d’ailleurs le même que chez Conan Doyle : le narrateur est un peu « l’ingénu » (et donc représente le lecteur) devant le talent de Dupin. Et même si les intrigues en elle-même n’offrent pas forcément de grosses surprises (notamment pour « La lettre volée » dont on voit rapidement venir la fin, le « truc » étant éculé depuis longtemps), ces deux nouvelles restent fort agréables à la lecture.

« Le scarabée d’or » est un exemple de l’intérêt que portait Poe aux sciences. Ici, on a une approche assez didactique et sans doute un peu trop démonstratrice de la cryptographie à travers ce récit mêlant aventures, trésor et pirates. Une chasse au trésor qui fait forcément immédiatement penser à « L’île au trésor » de Robert Louis Stevenson. Poe, précurseur, là encore.

« Manuscrit trouvé dans une bouteille » et son vaisseau fantôme m’a furieusement rappelé « Pirates des Caraïbes » (le premier film), tandis que Poe montre qu’il est tout à fait à l’aise dans les récits maritimes avec « Une descente dans le maelstrom » pleine d’effroi. Le magnétisme semblait également fasciner l’auteur puisqu’on retrouve cette « science » dans trois nouvelles, la réussie et morbide « La vérité sur le cas de M. Valdemar », la très (trop !) lourde et philosophique « Révélation magnétique » et la sympathique « Souvenirs de M. Auguste Bedloe » (mais là encore, l’effet de surprise ne fonctionne pas vraiment…).

« Morella » et « Ligeia » partagent de nombreux points communs, le moindre n’étant pas de s’intéresser à des femmes admirables, cultivées et… décédées prématurément. Fantômes, réincarnation, atmosphère gothique, on est là dans le prototype d’histoires fantastiques. Avec un style admirable, ces histoires font mouche, notamment « Ligeia », particulièrement marquante.

On passera en revanche gentiment sous silence les anecdotiques « Le canard en ballon » (fruit d’un canular journalistique) et la scientifiquement contestable même pour l’époque (mais l’effet semble voulu) « Aventures sans pareille d’un certain Hans Pfaall » et ses longues descriptions techniques qui finissent par ennuyer. On voit bien sûr la parenté avec les récits de Jules Verne, mais il semble clair que l’auteur français a su améliorer la recette de Poe.

Ainsi, « Histoires extraordinaires » est un recueil assez hétérogène, offrant de vrais beaux récits mais aussi des textes qui ont parfois mal vieilli. Pas une révélation pour moi donc, mais un intérêt certain pour cette « archéologie des genres » qui ne manque malgré tout pas d’attraits. Je lirai donc la suite de cette intégrale (qui contient également « Nouvelles histoires extraordinaires », « Histoires grotesques et sérieuses », « Aventures d’Arthur Gordon Pym » et « Euréka »).

J’ajoute un mot sur ce volume de la Pléiade, garni comme il se doit de notes et d’appareil critique. J’ai tout de même trouvé étonnant qu’au vu de la préface, l’éditeur semble presque plus faire de ce volume un « hors-série » consacré à Baudelaire plutôt qu’un volume consacrant Poe… L’effet est d’ailleurs accentué par l’appareil critique qui reste essentiellement celui fait par Baudelaire dans les années 1852-1856. J’aurais aimé quelque chose de plus récent, et sans doute plus en lien avec la réalité, Baudelaire étant passé par un intermédiaire, Rufus Griswold, qui était l’exécuteur testamentaire de Poe mais qui n’a pas hésité à le calomnier et a déformer son portrait… Un travail qui reste donc à moderniser sans doute. Quant à la traduction, elle est très baudelairienne : très littéraire et parfois un peu lourde, pleine d’effets de style qui donnent un cachet certains aux textes de Poe mais les éloignent peut-être un peu des originaux (je ne les ai pas lus en anglais, donc la question reste posée). D’ailleurs les notes pointent certains contresens faits par le poète français…

 

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