Les chevaux célestes, de Guy Gavriel Kay

Encore un auteur qu’il me tardait de (re)découvrir, lui que j’avais déjà lu (et beaucoup apprécié) à l’adolescence avec sa trilogie de « La tapisserie de Fionavar » très influencée par « Le seigneur des Anneaux », mais que j’avais oublié depuis alors qu’il a bifurqué vers un autre style de fantasy, à forte tendance historique. Et pourtant, « Tigane », « Les lions d’Al-Rassan », etc… J’en ai entendu des choses sur Guy Gavriel Kay, et des bonnes ! Je m’y intéresse donc enfin à l’occasion de la sortie chez L’Atalante du « Fleuve céleste », suite du roman dont il est question aujourd’hui, « Les chevaux célestes ». place donc à une Chine imaginaire de l’époque de la dynastie Tang.

 

Quatrième de couverture :

On donne à un homme un coursier de Sardie pour le récompenser immensément. On lui en donne quatre ou cinq pour l’élever au-dessus de ses pairs, lui faire tutoyer l’élite – et lui valoir la jalousie, parfois mortelle, de ceux qui montent les chevaux des steppes.

L’impératrice consort du Tagur venait de lui accorder deux cent cinquante chevaux célestes. À lui, Shen Tai, fils cadet du général Shen Gao, en reconnaissance de son courage, de sa dévotion et de l’honneur rendu aux morts de la bataille du Kuala Nor.

« On me tuera pour s’en emparer. On me réduira en charpie pour mettre la main sur ces chevaux avant même que j’aie regagné la capitale. »

Deux cent cinquante sardiens, introduits par son entremise dans un empire qui éprouvait pour ces montures un désir insatiable, qui gravait à leur image des blocs de jade et d’ivoire, qui associait les mots de ses poètes au tonnerre de leurs sabots mythiques.

Le monde vous offre parfois du poison dans une coupe incrustée de pierreries, ou alors des présents stupéfiants. Il n’est pas toujours facile de distinguer l’un de l’autre.

 

Poignards et fleurs de jasmin

les-chevaux-celestes-kay-couvertureJe l’ai déjà dit à plusieurs reprises, je ne suis au départ pas vraiment un adepte des romans longs. Mais des romans comme ça, je pourrais en prendre pour des milliers de pages ! Voilà c’est dit, merci, place à l’article suivant ! 😀 Bon, je vais développer un peu mais vous avez compris tout le bien que je pense de ces « Chevaux célestes ». Car oui certes, ce roman est long (650 pages), ce roman est lent (mais c’est une sorte d’éloge de la lenteur car cette lenteur est belle), ce n’est pas palpitant au sens où il ne faut pas attendre des rebondissements toutes les trois pages, mais il est d’une beauté rare. Car il est rudement bien écrit. Guy Gavriel Kay développe une plume ravissante, à même de faire naître des images marquantes dans l’esprit du lecteur, que cela soit dû aux actes des personnages ou bien aux superbes descriptions de paysages de cette Chine imaginaire.

Mais parlons-en d’ailleurs de cette Chine imaginaire. Elle ne porte pas le nom de Chine mais de Kitai. Elle n’est pas bordée par la Grande Muraille mais la Longue Muraille. Au-delà de cette muraille se trouve les Bogüs, directement inspirés des Mongols. Les Tagurans, dans les montagnes de l’ouest ne sont rien d’autres que des Tibétains dissimulés. Une grande proximité avec la Chine réelle donc, et qui ne s’arrête pas à la seule géographie puisque l’histoire du roman est directement inspirée de celle de la dynastie Tang qui dura presque trois cents ans entre les 7ème et 10ème siècle (aussi j’invite à ceux qui ne connaissent pas l’histoire de la Chine à ne pas se renseigner plus avant sur celle-ci s’ils veulent garder la surprise de l’intrigue), de même les personnages, s’ils portent des noms différents, sont pour certains d’entre eux des alter-ego de personnages existants. Bref, on se doute que le travail de documentation de Guy Gavriel Kay a dû être plus que conséquent, mais le résultat est d’une justesse rare : rien n’est laissé au hasard (la société y est finement décrite : l’art, l’étiquette, la politique, etc…) et l’atmosphère chinoise est bien là. Si on aime cette ambiance asiatique, ce roman est un plaisir de chaque instant.

Les personnages ne sont pas en reste. Le roman reste centré sur Shen Tai, au départ retranché près d’un lac perdu à la frontière de la Kitai pour honorer les morts d’une grande bataille qui s’y est déroulée vingt ans auparavant, mais qui va se retrouver pris dans les tourments du pouvoir lorsqu’il apprend que l’impératrice du Tagur lui offre 250 chevaux de Sardie, les fameux chevaux célestes. Un immense cadeau d’une valeur inestimable, qui ne peut qu’aiguiser les appétits des puissants, et mettre sa vie en danger. Shen Tai, fils d’un célèbre général, est plus complexe qu’on ne pourrait l’imaginer, son histoire personnelle est mouvementée et sa famille est une composante importante du récit, notamment sa soeur, dame de compagnie de l’Impératrice.

Les autres personnages sont tout aussi soignés, qu’il s’agisse d’un important protagoniste comme la guerrière kanlin (comprenez shaolin) Wei Song, du poète Sima Zian (inspiré par Li Bai), de la Précieuse Concubine de l’Empereur, Wen Jian (inspirée de Yang Guifei), du général An Li (inspiré de An Lushan), du Premier Ministre Wen Zhou (inspiré de Yang Guozhong), du gouverneur Xu Bihai (inspiré de Geshu Han) ou bien sûr de l’Empereur Taizu (inspiré de Xuanzong). Guy Gavriel Kay « pousse le vice » jusqu’à détailler la vie personnelle et/ou passée de certains personnages qui n’apparaissent qu’au détour de quelques pages, sans que cela ne paraisse comme étant de trop. Et comme la réalité dépasse bien souvent la fiction, les nombreuses références historiques permettent de développer un récit riche et passionnant (et ce monde de fantasy, dans lequel les aspects fantastiques sont très ténus, permet au romancier, comme l’a dit Alexandre Dumas, de violer l’Histoire pour lui faire de beaux enfants), entre complots, trahisons et intrigues de cour, là où quelques phrases peuvent se révéler tout aussi mortelles qu’une épée…

Ce déluge de détails est donc la force de ce roman, forcément au prix de la dynamique du récit. Celui-ci prend son temps, et les choses ne s’accélèrent que dans le dernier quart (dernier quart que l’on peut tout aussi bien considérer comme un vaste épilogue). Pour autant, comme je l’ai déjà dit, je n’ai absolument pas considéré cela comme une tare tant cette relative lenteur ne se fait pas au détriment de l’intérêt du récit. Et de ce côté-là, pas de souci. C’est bien simple, dès que j’avais quelques minutes devant moi, je lisais quelques pages. Et une fois ma lecture terminée, j’ai eu bien du mal à passer à autre chose. Le signe des grands livres, de ceux qui marquent. Des romans comme ça, j’en redemande. Et ça tombe bien, Guy Gavriel Kay en a écrit quelques uns (et un podcast d’Elbakin donne quelques pistes sur le sujet), à commencer par le tout juste sorti « Le fleuve céleste », s’inspirant cette fois de la dynastie Song, trois siècles et demi plus tard. J’en salive déjà.

 

Lire aussi les avis de Sandrine, Apophis, Nymeria, Boudicca, Acr0, Ys Melmoth.

 

  
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