L’inclinaison, de Christopher Priest

Posted on 26 janvier 2017
S’il y a bien un auteur que j’aimerais lire plus régulièrement, c’est bien Christopher Priest. Mais il faut dire que les récits du romancier britannique ne sont pas toujours des plus simples à appréhender, notamment quand il développe comme ici son univers de l’Archipel du Rêve et que, comme moi, on n’a encore rien lu de ces textes. Et pourtant, jamais l’auteur ne m’a déçu, « La séparation », « le monde inverti » ou encore « Le prestige » ont tous été des grandes lectures, marquantes. Alors je me lance enfin et mets les pieds pour la première fois dans l’Archipel du Rêve avec le dernier roman en date de l’auteur, « L’inclinaison ».

 

Quatrième de couverture :

Compositeur de musique renommé, Alesandro Sussken est né dans un pays en guerre, clos, dirigé par une impitoyable junte militaire. Parti au front, son frère Jacj n’est jamais revenu. Un jour, on propose à Alesandro une tournée de neuf semaines dans certaines îles de l’Archipel du Rêve, dont la volcanique Temmil, sur laquelle vit And Ante, un guitariste de rock qu’Alesandro considère comme un plagiaire éhonté.
Cette tournée, aux distorsions temporelles incompréhensibles, va changer la vie d’Alesandro d’une façon inattendue. Il va tout perdre : sa femme, ses parents, sa liberté. Pour comprendre sa descente aux enfers, il n’aura pas d’autre solution que de retourner dans cet Archipel du Rêve, aussi séduisant que dangereux…

 

Au rythme des flots…

linclinaison-priest-couvertureChristopher Priest a, de ce que j’ai lu de lui jusqu’ici, toujours été très bon dans les reconstitutions historiques tout en n’oubliant pas l’essence même du bon roman : une intrigue solide qui accroche le lecteur, quitte à le perdre un peu dans le tissu de la réalité. Priest a en effet repris pour lui, entre autres, quelques une des interrogations dickiennes, en les adaptant à son style et ses centres d’intérêt. Le sense of wonder, il connaît aussi, témoin le vertigineux « Le monde inverti ».

Je m’attendais à quelque chose d’assez « priestien » avec « L’inclinaison ». Sauf qu’on sort de ce chemin désormais bien balisé. Une intrigue ? Disons qu’elle est relativement discrète, pour le moins. Une narration particulière ? Pas du tout, le roman est très linéaire dans son déroulé. Mais alors, où est passé ce qui fait la force des romans de l’auteur anglais ? Hé bien il faut croire qu’il a décidé de faire autre chose. Et disons-le tout net : il le fait bigrement bien. Certes on retrouve quelques motifs bien priestiens (deux frères, l’armée est un élément, même lointain, du récit), mais ce texte, qui demande un certain « lâcher prise » au lecteur, reste relativement éloigné des récits précédemment lus.

« L’inclinaison » nous propose de suivre les pas de Alesandro Susken, un musicien fasciné depuis l’enfance par les îles de l’Archipel du Rêve qui bordent son pays en guerre. Traumatisé par le départ de son frère pour l’armée engagée dans un lointain conflit, il profite de l’occasion qui lui est offerte (une tournée musicale) pour visiter certaines de ces îles, et de faire face à certaines de leurs particularités, notamment un écoulement du temps assez particulier. Et voilà, c’est à peu près tout. D’où le « lâcher prise ». Il faut accepter de se laisser guider par la petite musique priestienne, comme Susken se laisse guider au gré des flots, de bateau en bateau, d’île en île.

Je suis pourtant assez cartésien, et j’aime bien avoir des explications aux phénomènes étranges que l’on rencontre dans les romans SFFF. Mais avec « L’inclinaison », je ne sais pas par quel miracle, j’ai passé un pacte avec Christopher Priest, j’ai accepté (et ce dès le début) de ne pas comprendre ce qu’il se passe. Il ne faut pas chercher d’explication. Le voyage est plus important que la destination.

Chargé d’une certaine langueur, le roman ne se dévore pas, il se déguste sur un rythme assez tranquille, nous faisant découvrir quelques îles de cet Archipel bien mystérieux. Les décalages temporels sont étranges, les façons de les contrecarrer sont étranges, mais ce ne sont que des éléments fantastiques parmi d’autres éléments plus classiques qui caractérisent un univers particulier, qu’il faut accepter tels qu’ils sont. Et on suit donc la vie d’Alesandro Susken, en commençant par son enfance, l’influence de la guerre sur sa vie, sa famille, son frère. Puis sa découverte de l’Archipel, de la musique, sa carrière, ses rencontres.

Rien de bien palpitant me direz-vous. Et vous aurez raison. Mais j’ai vraiment beaucoup apprécié ce roman duquel il n’est pas si simple de parler. S’intéressant à la création, l’art, l’amour, l’attrait pour l’inconnu, « L’inclinaison » tient presque plus du roman de littérature générale avec quelques éléments fantastiques que du pur roman SFFF (aucune « quincaillerie » fantastico-SF ici, hormis les quelques « dérapages du temps »). Et peu importe, car les personnages dépeints par Priest, son écriture qui vous embarque dès les premiers mots (j’ai l’impression qu’il pourrait écrire un annuaire que je l’adorerais quand même !) font que je n’oublierai pas ce voyage sur l’Archipel du Rêve de sitôt. Moi qui avait peur de m’engager dans un univers qui avait déjà bénéficié de plusieurs romans ou recueils (« L’archipel du Rêve », « Les insulaires »…), me voilà rassuré. J’ai peut-être manqué deux ou trois références à des îles déjà évoquées précédemment, mais à vrai dire cela m’importe peu. Et j’ai d’ores et déjà envie de ré-embarquer.

 

Lire aussi les avis de Julien, Lune, Acr0, Blackwolf, Mariejuliet, Le fictionaute, Nikao.

Critique écrite dans le cadre du challenge « Lunes d’Encre » de A.C. de Haenne.

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