Sombres cités souterraines, de Lisa Goldstein

Posted on 10 avril 2017
Pif paf pouf ! Parfois, pour choisir un bouquin à lire, on tire au sort. Bon, ce n’est pas vraiment ce que j’ai fait pour ce roman-ci mais presque. Et puis en même temps, quand on me parle de contes, de mythes, je suis toujours partant ! Et comme l’éditeur semble vouloir « pousser » l’auteure en France, il devient difficile de résister à la curiosité. Allons donc explorer ces « Sombres cités souterraines » pour voir de quoi il retourne.

 

Quatrième de couverture :

Et si tout était vrai ?

Dans son enfance, Jerry avait été pris par sa mère comme modèle pour le héros d’une série d’aventures magiques. Reclus, le vieil homme a été retrouvé par une jeune journaliste, Ruthie, bien décidée a obtenir une interview. Ensemble, ils vont découvrir que la réalité ressemble étrangement à la fiction. Dans les souterrains du métro de la ville, d’anciens mythes rôdent et des dimensions différentes sont reliées.

Autrice majeure de fantasy, l’Américaine Lisa Goldstein explore l’envers trouble des imaginaires merveilleux, dans une fantasy urbaine menée tambour battant, où s’incarnent des destins semblables à ceux de la vraie Alice ou des enfants auxquels Peter Pan fut raconté. La ville est magique mais les mythes ne sont pas sans dangers.

 

Mythes, contes, Égypte et métro !

Sombres cités souterraines - Goldstein - couvertureOui, tout ça ! Ça fait beaucoup pour un roman de 250 pages. Et pourtant, tout rentre. Au chausse-pied certes, mais ça rentre. Bon, avant d’aller plus loin, revenons un peu sur l’auteure, Lisa Goldstein. Elle n’est pas une débutante, loin de là puisqu’elle a déjà publié outre-Atlantique plus d’une douzaine de romans (le dernier en 2015), et s’est retrouvée au fil de sa carrière finaliste de la plupart des grands prix internationaux (Hugo, Nebula, World Fantasy, Arthur C. Clarke, etc…). Elle reste pourtant bien méconnue en France malgré quelques parutions dans les années 90. Les Moutons Électriques ont décidé d’y remédier sous l’impulsion de leur grand manitou André-François Ruaud, avec tout d’abord la parution de l’inédit dont il est question ici, puis la réédition d’un roman déjà paru (ce sera pour la fin de l’année) et à nouveau la parution d’un inédit en 2018. Ça ressemble bien à un coup de coeur éditorial pour un auteur injustement délaissé ça, à la manière d’un Poul Anderson au Bélial’. Allez, faisons confiance et laissons-nous tenter…

Alors donc, de quoi ça cause ? Le roman part d’un postulat simple : et si les contes pour enfants n’étaient pas nés de l’imagination fertile de leurs auteurs mais plutôt des histoires réellement vécues par les enfants desdits auteurs ? Il est curieux de voir qu’un certain nombre de ces contes étaient censés s’adresser aux enfants des auteurs ou de leur entourage (Lewis Caroll a écrit « Alice au pays des merveilles » pour Alice Lidell, de même pour Kenneth Grahame avec « Le vent dans les saules » pour son fils Alistair ou bien J.M Barrie avec « Peter Pan » pour les enfants d’une amie). C’est ce que dit la légende. Mais si la réalité était toute autre ? Le Pays des Merveilles, le Pays Imaginaire, la Terre du Milieu ? Existent-ils ? Intrigant tout cela. Et cela va mener les personnages du roman (notamment Ruthie Berry, une journaliste désirant obtenir une interview de Jerry Jones, un quinquagénaire qui a servi, enfant, de modèle pour les contes enfantins écrits par sa mère, et le-dit Jerry Jones) très loin, jusque dans les couloirs des métros de San Francisco et Londres, ceux-ci semblant connectés et bien plus complexes (et peuplés !) que prévus. Le tout avec une lutte contre une société secrète et la découverte du fait que les mythes égyptiens ne sont peut-être pas passés de mode…

Comme je le disais au début de cet article, ça fait beaucoup. Et même si tout s’amalgame plutôt bien, on ne peut pas se départir d’un léger sentiment de brouillon, tout n’étant pas toujours clairement expliqué (mais les contes pour enfants expliquent-ils toujours tout ce qui se passe ? 😉 ), et que le roman, alors qu’il commence relativement doucement finit par un vrai rush dans sa dernière partie, d’où un certain déséquilibre narratif. Ce qui m’a le plus dérangé dans la narration reste le recours à un moyen bien pratique pour l’auteure de divulguer des informations essentielles de son univers : des personnages qui connaissent déjà tout mais qui parlent par énigmes avant d’éclaircir un peu leur propos quand on va les voir une deuxième fois. On parle souvent du « show, don’t tell », et ici l’auteure est un peu trop restée dans le « tell ». Dommage.

Ceci dit, thématiquement le roman est ambitieux. L’auteure parvient avec un joli talent d’équilibriste à mêler le mythe égyptien de la résurrection d’Osiris (rudement bien repris d’ailleurs, avec un luxe de détails qui peuvent passer inaperçus mais qui ne sortent pas de nulle part si on se renseigne un peu) avec les lignes du métro londonien, tout en incorporant l’usage de différents archétypes et de différentes légendes (arthurienne par exemple), sur fond de contes pour enfants. C’est ambitieux, peut-être un peu trop d’ailleurs puisqu’on ne peut s’empêcher de se dire que certains détails sont un peu survolés alors qu’il auraient mérité d’être plus développés. Mais qu’importe, on finit tout de même par se laisser emporter. Et on pense forcément au « Neverwhere » de Neil Gaiman pour le côté métropolitain londonien, mais aussi à son génial « American gods » voire à quelques oeuvres de Roger Zelazny pour le recours aux divinités (et à Tim Powers et « Les voies d’Anubis » pour le mélange Londres-Égypte en particulier). Enfin, pour sa réappropriation des mythes et leur évolution dans notre monde contemporain, on peut y voir du Ian McDonald avec « Roi du matin, reine du jour » ou bien du Robert Holdstock avec « La forêt des Mythagos ». De bien belles références donc, et un récit qui se lit vraiment bien sur ce deuxième niveau de lecture, alors que le premier niveau, celui d’un récit d’aventures dans un cadre urbain, fonctionne très bien lui aussi.

Je l’ai déjà dit, je ne suis pas un grand amateur de fantasy urbaine, comme le montre le dernier exemple en date. Mais curieusement, j’ai eu beaucoup de plaisir à lire ce roman, malgré les quelques défauts cités plus haut. Pas un chef d’oeuvre donc, mais ce « Sombres cités souterraines » reste un roman très agréable. Largement de quoi suivre l’éditeur pour les prochaines parutions de Lisa Goldstein.

 

Lire aussi les avis de Cédric, BoudiccaAu pays des cave trolls, Le Fictionnaute, Daily Mars, Focus littérature.

 

  
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