Gotland, de Nicolas Fructus et Thomas Day

Posted on 5 octobre 2017
Étant en ce moment plongé dans une période Lovecraft (j’y reviendrai dans un prochain article), je ne pouvais pas faire l’impasse sur ce « Gotland », livre en ma possession depuis les Utopiales de 2016. Premier financement participatif des éditions du Bélial, fruit d’une collaboration entre illustrateur (Nicolas Fructus), écrivains (Thomas Day et Nicolas Fructus, ce dernier pour la première fois à ma connaissance) et graphiste (Franck Achard), hommage à l’auteur de « L’appel de Cthulhu » et au mythe qui a ensuite irrigué tout un pan de la littérature fantastique, « Gotland » est ce qu’on appelle un beau livre. Un qualificatif amplement mérité.

 

Quatrième de couverture :

Il y a les terres de Gotland qui, par-delà les brumes d’un Haut Moyen Âge païen, recèlent un secret sans âge.

Il y a la faille Maréchal, dans l’exultation d’un XIXe siècle conquérant, l’étrange Mémoire des mondes troubles et les portes qui s’y trouvent.

Il y a enfin Forbach et son manoir Wallenberg, à l’orée du XXIe siècle, le mystère d’un homme, son passé, et ce qui se tapit dans la propriété familiale.

Il y a le secret, le mystère, l’abîme, la révélation et ses terreurs.

Trois lieux. Trois époques. Trois récits.

Pour autant de traitements graphiques, Nicolas Fructus (auteur, illustrateur), Thomas Day (auteur) et Franck Achard (graphiste) conjuguent leur talent dans un livre d’art hommage à Howard Phillips Lovecraft, un objet d’une facture hors-norme à la démesure du projet : embrasser l’indicible.

 

Tellement beau que c’en est indicible !

« Gotland » est la première publication des éditions du Bélial dans leur collection « Wotan » (qui à ce jour ne compte que cette seule parution) « dédiée aux illustrés, BD, livres-mondes et projets éditoriaux non-euclidiens ». Pour simplifier, on va dire que c’est le pendant au Bélial de la désormais bien installée collection « Ourobores » chez Mnémos.

Et donc « Gotland ». Mêlant textes et illustrations à travers trois récits distincts et indépendants illustrés par Nicolas Fructus, le livre se veut être un hommage à Lovecraft. Trois textes (un de Thomas Day et deux de Nicolas Fructus qui pose un instant le pinceau pour prendre la plume) pour autant d’expériences différentes, à des époques différentes, avec des techniques illustratives différentes.

Le premier texte, qui donne son nom au livre, nous relate les aventures de Björn, un homme scandinave du VIIème siècle qui, alors qu’il découvre une étrange structure de pierre qu’il n’avait jamais vu avant, va voir sa vie basculer. L’hommage à Lovecraft est flagrant, aussi bien dans sa progression narrative (le narrateur mène son enquête et découvre petit à petit quelque chose qui le dépasse complètement, lui et l’Humanité entière) que dans ce qu’il propose au lecteur en terme de structures indicibles et innommables. Certes, le style de Nicolas Fructus ne se comparera pas à celui de Lovecraft (mais ce n’était pas son objectif), ainsi le sentiment de malaise et de folie, si bien retranscrit par l’auteur américain, n’est pas tout à fait présent ici. Mais ce qu’il n’offre pas avec les mots, il le propose avec les illustrations. Qui connait Nicolas Fructus sait de quoi il est capable, et là clairement, on est dans le top niveau. Ajoutons tout de même que le texte offre une chute joliment trouvée et quelques moments délicieusement « non euclidiens ».

 

  

 

Le deuxième récit, « Forbach », déjà présenté dans le numéro 73 de la revue Bifrost (numéro spécial Lovecraft, la boucle est bouclée), se passe de nos jours à… Forbach ! Lovecraftien n’est-ce pas ? 😀 Présentant une narration « à rebours » (et la structure du récit nécessite clairement de procéder ainsi, ce n’est pas un simple effet de manche), on plonge (littéralement !) à nouveau dans un mystère indicible. Dans un style tout à fait conforme à ce que propose habituellement Thomas Day, le récit est très efficace même si à nouveau le « vertige proche de la folie » propre à Lovecraft n’apparaît pas vraiment ici. Et on retrouve bien sûr les superbes illustrations de Nicolas Fructus, avec notamment quelques tableaux vraiment marquants (aaaaah, cet oeil !).

 

  

 

Et enfin, le dernier texte, « Mémoire des mondes troubles », sans doute le moins réussi des trois, peut-être du fait qu’il semble plus « illustrer les illustrations » que l’inverse (ces tableaux étaient déjà présentés lors des Utopiales 2012), prend place au XIXème siècle et nous narre l’histoire d’un ingénieur qui semble avoir l’aptitude de capter sur photographie des créatures étranges qu’il est le seul à voir. Vertige du temps couplé à des semi-hallucinations cauchemardesques, le texte rempli son office mais il reste assez froid et n’implique pas suffisamment le lecteur dans ces fameuses horreurs lovecraftiennes. Pourtant, côté illustrations, l’intérêt est bien là, d’autant que cette façon de mêler créatures de cauchemar et anciennes photographies ne manque pas d’originalité.

 

  

 

Il n’empêche que le bilan global côté texte est plutôt satisfaisant (voire très). Le bilan des illustrations est lui tout à fait excellent, avec des images pleine page à tomber par terre, aussi bien que des illustrations plus petites voire des croquis tout à fait évocateurs. Ces illustrations sont d’ailleurs toujours en adéquation avec le texte, il y a un vrai « jeu » consistant à aller de l’un à l’autre. L’ensemble du volume est de plus magnifié par un écrin plus qu’à la hauteur : papier épais, couverture cartonnée embossée « soft touch » (en peau humaine paraît-il), pages dépliantes en trois volets. Et que dire du travail « de l’ombre » du graphiste Franck Achard ? Maquette aérée, mise en page de grande classe, colorisation superbe (une teinte différente par récit), Monsieur Achard, je vous tire mon chapeau ! J’aurais aimé un coffret pour parachever tout cela, mais j’en demande toujours trop…

 

    

 

En bonus pour les donateurs du financement participatif, un petit volume annexe intitulé « Le petit-neveu de Pickman », sorte de BD sans bulles constituée d’illustrations pleine page en noir et blanc. Un petit supplément sympathique, rien d’indispensable, mais ça reste un bonus appréciable.

Bilan plus que positif donc, et si tous les volumes suivants de cette collection sont du même niveau, ça nous promet des étagères de toute beauté !

 

Lire aussi les avis de Nebal, Lune, Alys, Casalibri, Le Fictionaute.

 

  
FacebooktwitterpinterestmailFacebooktwitterpinterestmail