Black Panther, de Ryan Coogler

Dire que le film « Black Panther » était attendu est un doux euphémisme. Une attente qui dépasse d’ailleurs très largement le simple cadre de l’industrie cinématographique pour prendre des allures de revendications politiques et culturelles. Il faut dire que le film ressemble à un extraterrestre au sein d’un cinéma hollywoodien habituellement très (trop !) blanc. Un réalisateur noir (Ryan Coogler), l’immense majorité du casting est noir, l’essentiel du film se passe en Afrique (et quand ce n’est pas le cas, on passe très rapidement dans un musée londonien avant de se retrouver en Corée du Sud, autre lieu d’origine d’une minorité américaine. Les USA eux, ne sont visités qu’en introduction à travers un flashback), les costumes (superbes d’ailleurs !) sont très inspirés de costumes traditionnels de différents peuples africains, la musique est régulièrement basée sur des rythmes africains, alors que le côté musiques/chansons contemporaines est assuré par Kendrick Lamar, le célèbre rappeur noir. Bref, ça doit en défriser plus d’un à Hollywood, et c’est tant mieux !

 

  

 

Et comme en plus, le film est bon, très bon même, ça fait un bien fou. De voir enfin autre chose que des gentils américains blancs faire la leçon au reste de la planète. De voir qu’un pays africain, même fictif (l’ultra technologique Wakanda qui se protège en cachant sa modernité aux yeux du monde), peut fort bien se débrouiller tout seul sans l’interventionnisme ou le colonialisme des blancs. Et de voir que c’est un pays habité par des noirs qui peut rien de moins que sauver la planète et en finir avec les oppressions en leur apportant ses connaissances et ses technologies.

 

  

 

En dehors de ça, le film fait à la fois office de film d’introduction (le personnage était apparu dans « Captain America Civil War » mais n’avait pas été réellement présenté) et de film de « continuation ». Après les événements de « Civil War », T’Challa est en passe de devenir le roi du Wakanda, et va devoir faire face à ses responsabilités mais aussi à certaines manigances qui pourraient bien déstabiliser son pays et menacer le trône qui lui est promis. C’est l’occasion de rappeler ici qu’il est souvent dit que si un film possède un bon antagoniste, il est sur le bon chemin pour être un bon film. C’est trop rarement le cas dans les films de super-héros (dernier en date : « Thor : Ragnarok », film malgré tout sympathique mais qui souffre d’avoir un méchant seulement crès crès méchaaaaaant…), mais c’est tout l’inverse ici.

 

  

 

Car si le film met en lumière un premier adversaire qui semble un peu cinglé et donc pas très subtil (ceci dit très bien incarné par un Andy Serkis décidément capable de jouer n’importe quoi, et pas seulement derrière des effets spéciaux), c’est pour mieux dévier vers un autre adversaire autrement plus ambigu. Les objectifs d’Erik Killmonger sont d’ailleurs tout à fait fondés, ses blessures intérieures ne peuvent que se comprendre, et l’empathie que l’on peut ressentir pour lui est un vrai plus pour le long-métrage. Evidemment, sa façon de voir les choses, même avec un but honorable, passe par des méthodes expéditives (une manière pas si anodine d’interroger sur le bien et le mal), c’est toute la différence avec le personnage de Black Panther (une thématique déjà abordée dans « X-Men » avec l’opposition entre Xavier et Magnéto). Un Black Panther d’ailleurs au départ bien frileux sur les actions à mener, mais qui infléchira son mode de pensée sous l’impulsion de son adversaire. Et voir un méchant avec des objectifs plus nobles et moins « égoïstes » (je mets ce mot avec une tonne de guillemets tout de même) que le héros adepte du repli sur soi, c’est assez rare pour être signalé.

 

  

 

Le film appuie également parfois là où ça fait mal (la scène du musée londonien, encore une fois portée par les remarques pertinentes du méchant), remettant sérieusement les pendules à l’heure sur le pillage occidental.

 

  

 

On pourrait toujours tiquer sur un petit côté hollywoodien tout de même bien présent (mais ça n’étonnera personne), notamment à travers le (seul) personnage gouvernemental américain en allié de choix (incarné par un Martin Freeman égal à lui-même), mais ce serait faire preuve de mauvaise foi alors que le film a tout pour lui. Un casting au top (Chadwick Boseman qui parvient à donner une belle noblesse au personnage de T’ChallaLupita Nyong’o (déjà vue dans « 12 years a slave »), Michael B. Jordan qui rentre parfaitement dans la peau d’Erik Killmonger, l’épatante et enthousiasmante Letitia Wright en Shuri, spécialiste ès-gadgets technologiques, Danai Gurira, experte en combats chorégraphiés à la lance, ou bien les guest stars Angela Bassett et Forest Whitaker. Signalons également un grand nombre de femmes dans les personnages principaux, le film accumule décidément les bons points), une musique parfaitement dans le ton (signée Ludwig Göransson), et bien sûr des effets spéciaux toujours impressionnants, même si parfois un peu voyants. Sans oublier des thématiques tout à fait actuelles (les minorités bien sûr, les oppressions qu’elles subissent, mais aussi les migrants).

 

  

 

« Black Panther » est donc est film qui est bien plus qu’un film. Reposant très peu sur l’humour, ce qui ne peut que lui assurer un certain sérieux alors qu’il n’est rien de moins qu’une allégorie de la communauté noire et des questions qu’elle pose, ce film politique marque un jalon dans la licence Marvel (qui tendait à s’essouffler quelque peu, ce bon coup de frais lui fait donc le plus grand bien) mais aussi sans doute un peu dans le cinéma tout court. Et le voir faire un véritable carton au box-office ne peut être que réjouissant pour l’avenir.

 

  

  

 

  
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