Faux-semblance, de Olivier Paquet

Posted on 1 mars 2018
Il est des auteurs qui font partie du paysage de la SFFF francophone depuis longtemps et que je n’ai toujours pas lu. C’est le cas pour Olivier Paquet. Un manque qui n’en est plus un suite à la lecture de ce petit recueil de 130 pages, composé de quatre nouvelles, entre SF et fantastique.

 

Quatrième de couverture :

Nous recherchons les correspondances entre les univers…

Quatre zones de conflit. Entre humains et extraterrestres ; entre mémoire et oubli ; entre adultes et enfants ; entre nature déchaînée et ce qu’il reste de la civilisation. Sous les cieux étrangers de galaxies lointaines, sur des champs de bataille envahis de cadavres, ou bien face à la vague qui a tout balayé, il faut imaginer de nouvelles façons d’aller plus loin. Même s’il faut achever de détruire pour renaître.

Les personnages d’Olivier Paquet ne renoncent jamais. Ce sont avant tout des survivants, des héros abîmés qui tentent de redonner du sens à leur vie. Grâce à la catastrophe qui les a laissés nus, ils redécouvrent ce qu’ils sont. Et ils trouvent la force de tendre la main vers l’autre, l’étranger, pour ouvrir ensemble des portes.

Jean-Claude Dunyach

 

Début tiède pour un final en apothéose

Quatre nouvelles donc (trois parues dans d’anciens numéros de la revue « Galaxies » et une inédite), qui donnent un aperçu du style et des thématiques de l’auteur. Le premier texte, « Synesthésie », a remporté le Grand Prix de l’Imaginaire en 2002. Il nous narre le conflit entre l’humanité qui a colonisé une planète lointaine via une Porte (Stargate ?) et des extraterrestres agressifs qui convoitent là-dite Porte. Franchir ce portail nécessite d’être deux, et en respectant une certaine harmonie entre ces deux personnes, liées aussi bien par les émotions, que les images et les odeurs. D’où le titre du texte. C’est un plutôt joli récit sur l’entente, l’altérité, la compréhension de l’autre, sur une sorte de « découverte apaisée » (d’ailleurs l’humanité semble être dans cette mouvance, elle qui est devenu un peuple de marchands, loin de l’agressivité des Arkosiens), mais qui passe par pas mal de circonvolutions pas toujours très utiles (et une chose que j’ai trouvé un peu incohérente : les diplomates arkosiens sont décrits comme étant des femmes, alors que l’humanité n’a jamais vu d’Arkosiens mâles. Comment déterminer le genre d’une créature radicalement différente de nous si l’autre genre n’a jamais été identifié (sans même savoir s’il existe tout simplement) ?). Moyennement convainquant donc, même si le fond ne manque pas d’intérêt.

Le texte suivant, « Kipling 2210 », est calqué sur une partie de la vie du célèbre écrivain britannique, qui perdit son fils de 18 ans lors de la Première Guerre Mondiale avant de s’engager dans la Commission Impériale des Sépultures Militaires, chargée de dénombrer les victimes de guerre et d’entretenir les cimetières militaires. Une phrase célèbre de Kipling est d’ailleurs reprise telle quelle dans le texte. « Kipling 2210 » se passe à nouveau durant une guerre, opposant cette fois l’humanité aux Rôdeurs. Le héros est un ancien officier qui, suite à un évènement douloureux, s’est engagé dans le même type de commission que son illustre référence. L’arrivée d’une femme cherchant la dépouille de son mari va lui donner l’occasion de réfléchir à ce pour quoi il s’est engagé. Le récit est une belle réflexion sur le deuil, l’engagement, la résilience, mais ne parvient pourtant pas à être aussi touchant qu’il aurait pu l’être. J’ai eu le sentiment qu’Olivier Paquet a manqué son but d’un cheveu : le texte est tout à fait agréable, mais il lui manque un petit quelque chose pour emporter totalement le lecteur. Pas encore pleinement convainquant donc, mais on s’approche tout de même du très bon. Ce n’est que partie remise.

Place ensuite à « Cauchemar d’enfants ». Cauchemar d’enfants ou cauchemar d’adultes ? Peut-être un peu les deux dans un monde où les enfants ont pris le contrôle de la société, à leur bénéfice apparent. Les adultes sont donc obligés de satisfaire leurs moindres besoins, de les couvrir régulièrement de cadeaux, sous peine d’être mis à l’amende, voire plus, par la police. C’est d’ailleurs un couple d’agents que nous suivons dans cette nouvelle, un lieutenant adulte et son supérieur âgé de 14 ans, chargés d’enquêter sur les agissements des parents d’une petite fille qui s’est plaint de ne plus retrouver un de ses jouets… Revente de jouets au marché noir ou bien détournements d’allocations allouées par un conseil constitué d’enfants sont les délits possibles dans une sorte de dystopie allant jusqu’à l’absurde, comme une sorte d’expérience de pensée poussée au maximum. C’est d’ailleurs ainsi qu’il faut la voir, puisqu’on n’en saura pas beaucoup plus sur ce qui a conduit à une telle société, ni sur son fonctionnement global. Reste donc un récit absurde mais livré sur un ton très sérieux, ce qui ne fait que rajouter à une ambiance particulièrement glaçante, pour en arriver à une société totalitaire dans laquelle les parents ne sont plus libres de rien, mais où les enfants ne sont pas gagnants non plus. Effrayant, et très réussi.

Et enfin, seul récit inédit de ce court recueil, « Une fille aux pieds nus ». Et alors là, quelle réussite ! On y suit Hikaru, jeune fille égarée qui marche au milieu des décombres d’une petite ville japonaise frappée par un tsunami. Elle y rencontre des gens un peu hagards, hébétés par ce qui leur arrive, perdant le sens des réalités à cause d’un bien compréhensible sentiment de sidération. Devant la gravité des pertes humaines et des dégâts matériels, c’est ce qui fait la grandeur de l’humanité qui va apparaître, avec bien souvent cette pudeur caractéristique des victimes qui peuvent avoir le réflexe (voulu ou non, issu d’une générosité innée ou bien d’un déni de la réalité) de penser aux autres avant eux-mêmes, pourtant plongés dans la détresse. C’est un récit touchant, poignant même, et surtout qui sonne terriblement juste. Relève-t-il du fantastique ? Peut-être, peut-être pas, à chacun de se faire son avis. En tout état de cause, pas besoin d’en dire beaucoup plus, il s’agit incontestablement d’un grand texte.

On obtient donc au final un joli petit recueil qui commence certes un peu doucement, mais qui finit sur deux très beaux textes, le dernier notamment étant une superbe réussite, quand bien même il ne touche au fantastique que par la bande. Peu importe, quand la littérature est bonne, les genres n’ont que peu d’importance. C’est tout à fait le cas ici.

 

Lire aussi les avis de Xapur, Chut maman lit, Sylvain Bonnet, Noé Gaillard.

 

  
FacebooktwitterpinterestmailFacebooktwitterpinterestmail