After Atlas, de Emma Newman

Posted on 26 juin 2018
Le premier roman publié en France de Emma Newman, « Planetfall » (nommé pour le Prix Planète-SF des blogueurs 2017), fut une excellente découverte. L’arrivée de son roman suivant, situé dans le même univers, ne pouvait donc pas manquer de m’intéresser. Alors, confirmation ou déception ?

 

Quatrième de couverture :

Carlos Moreno est un esclave. Son contrat d’inspecteur auprès du ministère de la Justice l’engage jusqu’à la fin de ses jours, ou presque. Quand sa supérieure lui demande d’enquêter sur la mort suspecte d’Alejandro Casales, l’un des plus puissants leaders religieux de la planète, il n’a d’autre choix que d’accepter. Mais pourra-t-il garder la distance nécessaire à l’exercice de ses fonctions, quand la victime n’est autre que l’homme qu’il aimait jadis comme un père et qui l’a sauvé lorsque sa mère, Lee Suh-Mi, est partie dans les étoiles à bord de l’Atlas ?

 

Retour sur Terre

« After Atlas » prend donc place dans le même univers que « Planetfall ». Et si la numérotation de cette série de romans (série en cours et qui en est à son troisième volume en VO, gageons que ce dernier ne manquera pas d’arriver en France prochainement) lui donne le numéro 2, il n’est pas vraiment une suite directe du premier roman. En effet, bien qu’il se déroule 40 ans plus tard, « After Atlas » prend place sur Terre là où « Planetfall » situait son action sur une lointaine planète. Les personnages ne sont pas les mêmes, les enjeux non plus. Il peut même se lire indépendamment du premier volume, même si certaines références (rares) n’offriront du coup pas le même niveau de compréhension que pour un lecteur « complet » (mais Emma Newman ne manque jamais d’expliquer ce qui aurait pu échapper à un lecteur qui n’aurait pas lu « Planetfall » donc pas de panique).

Changement de contexte donc, et changement de style également. Car « After Atlas » prend des allures de roman policier quand Carlos Moreno se retrouve chargé d’enquêter sur la mort de Alejandro Casales, leader charismatique d’une secte, le Cercle, prônant le retour à la nature et la non-connexion à un réseau omniprésent. Une mort pour le moins suspecte puisque le corps de la victime a été démembré… Dès lors, c’est une course contre la montre que joue Moreno alors que cette enquête épineuse, qui met en jeu différents gouvernements et leurs cohortes d’avocats, avec les pressions afférentes, ne manquera pas de prendre un tour imprévu.

Jusqu’ici, rien de follement original, même s’il faut souligner que d’une part le récit d’Emma Newman est limpide, et que d’autre part sa conclusion l’amène à un niveau insoupçonné au départ. Il y a une vraie gradation dans les enjeux du roman, et c’est vraiment une belle réussite de ce côté-là. Là où le récit se démarque quelque peu, c’est sur son contexte. Des gouvernements qui fricotent avec des intérêts privés, des « petites gens » sans papiers qui ne sont rien de moins que des esclaves modernes condamnés à rembourser en années de travail la dette contractée auprès de camps de réhabilitation, des citoyens porteurs de puces les connectant non-stop à un réseau devenu indispensable, une reformation des pôles économiques et politiques autour de trois entités (les Etats-Unis, l’Europe et la Norope constituée du Royaume-Uni et des états scandinaves), autant de thèmes qui, pris un à un, ne réinventent pas la roue mais qui donnent un ensemble marquant, glaçant et terriblement réaliste. Il y a là un joli travail de worldbuilding, simple et efficace.

Mais là ou Emma Newman fait merveille, c’est sur le soin apporté à son personnage principal, Carlos Moreno, ce qui n’a rien d’étonnant quand on sait que c’était déjà le point fort de « Planetfall ». Carlos Moreno est un homme torturé. Torturé par son passé (dont le fait que sa mère, partie avec l’expédition de l’Atlas décrite dans le précédent roman et qui l’a donc abandonné lorsqu’il était encore un tout jeune bambin, n’est qu’une petite partie… Profitons-en tout de même pour corriger une grossière erreur de la quatrième de couverture : non, la mère de Moreno n’est pas Lee Suh-Mi, personnage important de « Planetfall », mais une dénommée Carmen au rôle beaucoup moins significatif…), torturé par son statut, torturé par un avenir sombre. Esclave du MdJ, le Ministère de la Justice noropéen, pour encore quelques dizaines d’années, il est pieds et poings liés et n’a pas son mot à dire quant à ses affectations. Mais il reste un enquêteur efficace, ce qui est dans son intérêt puisque le moindre point noir notifié dans son dossier ne ferait qu’augmenter ses années de service obligatoire auprès de son propriétaire (et non pas employeur, nuance…), le MdJ.

Et le voici donc catapulté sur l’enquête de la mort d’Alejandro Casales, personnage qu’il a connu jeune lorsque son père, à la dérive suite au départ de son épouse pour l’espace, a rejoint le Cercle dirigé par Casales. Un homme en marge du système qui a fait naître en lui des sentiments ambivalents, faits d’admiration et de haine mêlées, et le fait de se retrouver maintenant à le « côtoyer » de manière post-mortem n’a rien de facile pour lui. Cette enquête est donc une véritable épreuve, personnelle comme professionnelle, et même bien plus que cela…

Je ne peux en dire plus (j’en ai peut-être même déjà trop dit), mais il suffit d’insister sur la qualité apportée par Emma Newman à son personnage principal complexe et crédible, à son intrigue limpide, parfaitement menée de bout en bout et qui culmine dans une fin totalement inattendue au départ (avec un tableau final très… non je ne dirai rien, mais c’est sacrément marquant !), et à son contexte solide pour se rendre compte que « After Atlas » est un roman très abouti (sans doute même supérieur à « Planetfall ») qui confirme que son autrice, qui avait fait son petit effet lors des Utopiales 2017, est à suivre de très près ces prochaines années. Excellent !

 

Lire aussi les avis de Cédric, Gromovar, Lhisbei, Yogo, Olivia Lanchois, Blackwolf.

 

  
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