Solomon Kane, l’intégrale, de Robert E. Howard

Posted on 5 juillet 2018
Il y a fort longtemps, je me suis lancé, avec une certaine délectation, dans les récits écrits par Robert Howard sur son personnage le plus connu, l’illustre Conan. J’ai décidé il y peu de poursuivre dans cette veine. Et avant de me replonger dans les aventures du plus célèbre barbare de la fantasy (en relisant au passage le tome 1, ma mémoire de poisson rouge me faisant défaut…), j’ai fait un détour par un autre personnage emblématique (mais tout de même moins connu, même s’il a bénéficié d’une adaptation cinématographique) de l’auteur texan : le Puritain Solomon Kane.

 

Quatrième de couverture :

Aventurier errant et vagabond sur la Terre, Solomon Kane traque et tue impitoyablement ses ennemis dans un monde élisabéthain pris de folie : brigands et pirates, certes, mais aussi vampires et mort-vivants. Instrument de Dieu ou puritain fou habité par des forces qui le dépassent, qui est Solomon Kane ? L’une des créations les plus originales de Robert E. Howard.

Cette édition, élaborée par Patrice Louinet, l’un des plus éminents spécialistes internationaux de Robert E. Howard et de son œuvre, contient l’intégralité des aventures de Kane, reconstituées à partir des manuscrits originaux, dans des traductions revues, complétées et non censurées. Elle est de plus augmentée de nouvelles inédites, dont l’une parait ici pour la première fois au monde.

 

Solomon Kane, justicier ou fanatique (ou les deux) ?

Avant de nous intéresser au contenu de cette intégrale d’un point de vue « littéraire », prenons le temps d’analyser ce qu’elle propose. Son nom d’intégrale n’est pas usurpée puisqu’elle propose en effet tout (oui tout, ne cherchez pas plus loin) ce qu’a écrit Robert E. Howard sur le personnage de Solomon Kane, à savoir les sept nouvelles publiées de son vivant, les deux publiées après sa mort, quatre récits inachevés (avec même en bonus un cinquième dans lequel n’apparait pas Kane mais un autre personnage qui est son acolyte dans un autre texte), trois poèmes (disponibles ici en VO et en VF), des versions alternatives de deux textes et un poème, une courte introduction pour re-situer l’ensemble rapidement et un important paratexte de Patrice Louinet (spécialiste mondial ès-Howard, faut-il le rappeler) analysant la genèse du personnage de Solomon Kane et le processus d’écriture de Howard. Ouf. Respect.

Et donc, Solomon Kane. Personnage inventé par Howard dans ses jeunes années (avant Conan donc, puisque le premier récit de Solomon Kane est paru alors que l’auteur n’avait que 22 ans), Kane est presque plus une allégorie de la vengeance qu’un personnage à part entière. Et pourtant, quelle aura, quelle puissance ! Héros taciturne, Kane est un Puritain. Vêtu de noir, s’astreignant à éviter toute source de plaisir, il se voit comme le bras armé de Dieu, un justicier qui soigne le mal par le mal, usant sans arrière pensée de la violence et du meurtre sur ceux qui propagent le Mal. Manichéen tout ça ? Sans doute, le Bien et le Mal sont clairement différenciés, les adversaires de Kane relevant toujours soit de bandits sanguinaires, soit de créatures fantastiques et démoniaques. La façon bien souvent expéditive de Kane de régler les problèmes ne pose donc pas de question, il s’agit d’éradiquer le Mal, à tout prix.

Et pour cela, notre héros n’hésitera pas à poursuivre ses cibles sur plusieurs années et plusieurs continents. C’est le cas dans le premier texte, sobrement intitulé « Solomon Kane ». Le Puritain poursuit un bandit entre France et Afrique, coupable d’avoir violé une jeune femme morte dans ses bras. Un récit sans doute bardé de défauts (défauts soulignés dans la postface de Patrice Louinet qui reprend la lettre reçue par Howard de la part de l’éditeur à qui il souhaitait la vendre) mais qui pourtant ne manque pas de souffle et pose les bases du personnage de Solomon Kane : calme et résolu, froid et déterminé.

Les récits suivants, « Des crânes dans les étoiles » et « La main droite du destin », plus courts, sont aussi plus anecdotiques, notamment le deuxième dans lequel Kane n’a quasiment qu’un rôle de témoin n’intervenant que peu dans les évènements (pas follement originaux d’ailleurs). « Bruit d’ossements », sans être une grand réussite non plus, offre tout de même un aspect « conte pour enfants » (la violence en plus…) avec cette auberge perdue en pleine Forêt Noire, qui n’est pas inintéressant (le texte est également présent dans une deuxième version, avec un aubergiste aux motivations quelque peu différentes).

La qualité monte d’un cran avec « Les collines des morts » et ses zombies peuplant une ancienne cité cachée/perdue. L’univers de Kane se densifie quelque peu (on y retrouve un personnage déjà croisé dans le premier texte), et Howard pose son récit en plein coeur d’une Afrique fantasmée, dangereuse, mystérieuse et sauvage. Un gros plus tant l’auteur sait installer une belle ambiance en quelques lignes. La dichotomie entre Kane (Puritain anglais) et ce continent quasi inexploré ne manque pas non plus de sel.

« La lune des crânes » est le premier sommet du recueil. Exploration, aventure, dépaysement africain, jeune fille à sauver, Némésis féminin poussant Kane dans ses retranchements (lui refusant toute notion de plaisir, elle vivant de manière très libérée), cité cachée, civilisation disparue, souffle épique, tout y est ! Un grand moment.

« La flamme bleue de la vengeance » est également une belle réussite, bien que considérée par Patrice Louinet comme ratée (il lui préfère la version retravaillée, plus condensée et également présente dans cette intégrale, qui efface le personnage de Solomon Kane pour introduire celui de Malachi Grim). Récit de pirates (mais restant sur la terre ferme), sans notion de fantastique, il offre à nouveau une histoire de vengeance avec quelques moments forts (haaa, ce duel au couteau, quelle tension !).

« Des ailes dans la nuit » est le deuxième sommet de cette intégrale, qui voit Kane virer à la folie pure quand le village qui l’a recueilli se fait décimer par de terribles créatures volantes. La distinction entre justicier habité par une cause et fanatique total possédé par une folie incontrôlable se fait moins claire. Avec une jolie réutilisation de la mythologie grecque, un clin d’oeil appuyé à Shakespeare et « Hamlet » (Kane, dans sa folie, parlant à une tête décapitée), on retrouve une Afrique fantasmée, une civilisation perdue, et bien sûr une bonne dose d’action trépidante. Sur ce rayon-là, Howard était un maître et ce récit en est la preuve éclatante.

Le dernier texte, « Des bruits de pas à l’intérieur » (traduction un peu maladroite de « The foofalls within ») est moins réussi, dans une veine lovecraftienne pas très maîtrisée et avec une fin trop facile.

Les poèmes et les textes inachevés, même s’ils s’adressent plutôt aux exégètes de l’auteur, ont aussi leur intérêt puisqu’ils développent, à leur manière, le personnage du Puritain, soit avec quelques éléments de son passé (il a côtoyé Francis Drake et Richard Grenville) pour les poèmes (en plus d’offrir une superbe conclusion à cette intégrale pour le dernier d’entre eux), soit avec d’autres aventures dont la fin nous reste inconnue (et c’est bien dommage car elles ont du potentiel).

Un mot enfin sur la longue postface de Patrice Louinet qui nous fournit de nombreuses informations sur la naissance et l’évolution littéraire de Solomon Kane. Une postface qui nous montre un Robert E. Howard à l’écoute de ses éditeurs et qui tente d’orienter ses récits avec des éléments à même de leur convenir (rien de plus logique puisqu’il avait décidé de devenir écrivain professionnel, il lui fallait donc vendre ses textes). Ainsi Kane est « vivant », évolue au gré des textes (de même pour l’écriture de Howard), et même si cela se fait parfois au mépris de la cohérence interne de son univers (Howard fait régulièrement des liens avec des textes précédents, mais certains éléments ne collent pourtant pas), on sent que l’auteur savait qu’il avait créé un personnage avec un fort potentiel.

Patrice Louinet n’élude pas non plus un aspect important des textes de Howard ici présentés, aspect qui n’a rien de surprenant venant d’un Texan des années 30 parlant d’Afrique : le racisme. Oui Howard était un pur produit de son époque et donc était raciste, un racisme « ordinaire » établissant la suprématie de la race blanche. Ainsi les noirs sont ils souvent de gentils sauvages, quand ils ne sont pas de terribles cannibales. Tout cela peut déranger, tant cet aspect est prégnant dans les récits. C’est un fait. Pourtant, il est aussi à relativiser quand le personnage de Solomon Kane est recueilli par une peuplade africaine et est prêt à tout, y compris à y laisser la vie, pour les venger. Dès lors, on pourra y voir un glissement de la pensée de Howard vers la dualité barbarie/civilisation qui apparaîtra un peu plus tard avec le personnage de Conan. On imagine bien que la barbarie est plutôt du côté des noirs et que la civilisation est du côté des blancs. Or, jamais Howard n’a manqué de souligner que pour lui l’état naturel de l’humanité est la barbarie, et qu’au cours de l’histoire, les plus « barbares » (au sens violent du terme) ont bien souvent été ceux qui se disaient civilisés… Mais c’est un point qui pourra en déranger plus d’un, c’est à souligner.

Et donc au final, oui c’est vrai, tout n’est pas extraordinaire dans cette intégrale, mais quand Howard s’en donne la peine il arrive à nous livrer quelques récits vraiment marquants, à condition bien sûr d’aimer ce genre de fantasy, à savoir essentiellement de la littérature populaire d’aventure et d’action, où il s’agit bien souvent de sauver ou venger la veuve et l’orphelin de créatures démoniaques dans des contrées existantes mais fantasmées. Mais le personnage de Solomon Kane, très mystérieux et oscillant en permanence entre dévotion divine et folie furieuse, est vraiment marquant et le souffle qui parcourt ces récits ne peut laisser de marbre. Saluons donc les éditions Bragelonne pour avoir la volonté de proposer au plus grand nombre les récits de Howard dans leur entièreté et sous leur forme la plus pure, c’est à dire vierges de toute retouche.

Se pose tout de même la question, avant de conclure ce trop long article, de savoir à qui s’adresse cette collection dédiée à à l’auteur texan. Les complétistes, ou bien les amateurs disons « éclairés », sont bien sûr la cible principale. Ceux qui souhaitent aborder les meilleurs textes de Robert Howard sans forcément s’attarder sur un personnage en particulier, en revanche… Il y aurait sans doute un intérêt à éditer un vrai best-of de l’auteur, quitte à le faire sur deux ou trois volumes, avec les meilleurs textes de Conan, de Solomon Kane, les meilleurs récits historiques, etc, histoire d’éviter les inévitables scories de ces intégrales qui s’étalent sur une douzaine de volumes. A bon entendeur…

 

Lire aussi les avis de l’oncle Paul, If is dead, Casalibri.

 

  
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