Des sorciers et des hommes, de Thomas Geha

Posted on 14 août 2018
Revoilà Thomas Geha ! Auteur talentueux mais qui s’était fait quelque peu discret ces derniers temps sur le front de l’édition, voilà qu’arrive son nouveau roman, « Des sorciers et des hommes ». Et retour à la fantasy, un genre qu’il n’avait plus vraiment exploré en roman depuis la duologie du « Sabre de sang ».

 

Quatrième de couverture :

Sur la Grande Île de Colme, quand on sait mettre toute morale de côté, la vie offre de nombreuses opportunités. Boire, voler, rudoyer ou tuer, tel est le quotidien de Hent Guer, un guerrier redoutable, et de Pic Caram, un Sorcier aux Rubans. Tous deux écument routes et cités, à la recherche de proies faciles.
Toutefois, leurs plans se trouvent contrariés lorsqu’un matin de gueule de bois, Hent constate, impuissant, la disparition de Pic. Sur la Grande Île de Colme comme ailleurs, les talents d’un sorcier aux rubans attirent bien des convoitises ! Pour le guerrier, pas question d’abandonner son partenaire de crime : spolier son prochain est beaucoup plus drôle avec l’aide d’un sorcier à la morale légère.
Voici donc le récit des aventures de Hent Guer et Pic Caram, et les mésaventures de ceux qui ont la malchance de croiser leur route !

 

Des souriciers et des hommes ?

Sous la forme d’un fix-up (plusieurs nouvelles séparées formant un tout homogène), « Des sorciers et des hommes » nous conte les aventures de deux personnages, Hent Guer, guerrier impressionnant, et Pic Caram, sorcier aux rubans (qu’est-ce qu’un sorcier aux rubans ? Il faudra lire le roman pour le découvrir, sachez simplement que c’est le détenteur d’une magie originale mais surtout extrêmement puissante. On découvre d’ailleurs d’autres types de magie dans le roman, parfois surprenants). Oui, vous voyez déjà l’influence de Thomas Geha pour ce récit lorgnant ouvertement vers la sword & sorcery de la grand époque : Fritz Leiber bien sûr et son fameux duo du « Cycle des épées » composé de Fafhrd et du Souricier Gris. Et comme Hent Guer et Pic Caram sont deux vraies crapules (on pourrait même les qualifier d’ordures de première classe), on pense aussi, pour rester dans l’héroic-fantasy, à Jack Vance et son Cugel de « La Terre mourante », ou bien plus récemment à Don Benvenutto dans « Gagner la guerre » de Jean-Philippe Jaworski.

De belles influences donc, devant lesquelles Thomas Geha ne fait pas de la figuration. Car « Des sorciers et des hommes » a de vrais atouts. Ses deux personnages bien sûr, à la personnalité bien affirmée mais que l’auteur a pris le soin (une décision plutôt culottée d’ailleurs) de ne pas enjoliver, même si l’humour reste présent (on n’est pas ici dans un récit de dark fantasy désespérée). Hent Guer et Pic Caram, dans une sorte de nihilisme poussé à l’extrême, sont des criminels, ils pillent, tuent, volent, violent et ne pensent qu’à eux-mêmes, les autres n’étant envisagés que comme des moyens de s’enrichir un peu plus… Les quatre premiers récits présentés ici (sur six au total) nous décrivent leurs aventures, en n’oubliant pas le moment de leur rencontre (sous forme de flashback dans la première nouvelle). Le cinquième texte, le plus court, est important puisqu’il commence subtilement à montrer aux deux compères (et au lecteur par la même occasion) que le sang et les larmes laissés dans leur sillage pourraient avoir quelques conséquences… qui seront pleinement explorées dans leur dernier texte (le plus long, quasiment la moitié du roman).

Et ce dernier récit (qui tient plus de la novella que de la nouvelle) est un joli retournement narratif. Tout ce qui a été exploré précédemment revient au premier plan, se rejoint, certains faits se retrouvent éclairés d’un jour nouveau, et le texte va finalement bien au-delà d’une simple aventure supplémentaire. La parole donnée aux victimes ne manque pas d’intérêt, et si Hent Guer et Pic Caram passent légèrement au second plan (mais ils ne sont bien sûr pas bien loin…), c’est pour mieux les placer devant leurs responsabilités. Bref, du côté de la construction du roman, c’est une superbe réussite, sans aucun doute le point fort du roman.

Du côté de l’univers, on sent un vrai potentiel… peut-être un peu sous-exploité. On a une carte (malheureusement mal imprimée, mieux vaut aller chercher une version numérique sur le site de Thomas Geha), mais le monde reste décrit à grands traits, le roman se contentant d’ailleurs pour l’essentiel de se passer dans un seul pays dont le fonctionnement est à peine évoqué. Mais peu importe puisque Hent Guer et Pic Caram n’ont d’intérêt envers les gouvernants que s’ils offrent la possibilité de gagner quelques pièces. D’une certaine manière, ce monde vaguement esquissé représente la façon dont il est vu pas les deux crapules : quelques pays, quelques villes, et on va là où le vent nous mène. Il y a donc de la place, au sein de ce monde plus vaste que le texte qui le contient; pour d’autres récits. A bon entendeur…

Enfin, notons la place importante faite aux femmes qui bénéficient comme de juste de personnages forts parfois à des postes à responsabilité. Pas de princesse en émoi ici, les femmes sont actrices de leur destinée, pour le meilleur mais aussi pour le pire. Car le monde qui les entoure est dur, et rien ne leur sera épargné, pas plus qu’aux hommes.

« Des sorciers et des hommes » est donc une belle réussite (joliment illustrée par la belle couverture de Xavier Colette), rendant hommage aux maîtres de la sword & sorcery tout en s’en émancipant, et à la construction osée mais pleinement maîtrisée. Et malgré une ou deux petites facilités scénaristiques inhérentes au genre même du texte (ah qu’il est pratique d’avoir un barbare invincible avec soi… ^^ ), le roman se dévore du début à la fin avec un grand intérêt, prenant le lecteur à contre-pied (avec inversion des rôles et un curseur qui ne sait plus où sont les héros) pour son plus grand bonheur. Excellent !

 

Lire aussi les avis de Lune, Célindanaé, Blackwolf, DupFantasy à la carte.

 

Article publié dans le cadre du challenge Summer Short Stories of SFFF saison 4, par Lutin82.

 

  
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