Bifrost 91, spécial fictions

Posted on 30 août 2018

Avec un peu de retard, voici le dernier Bifrost ! Un Bifrost un peu particulier (sous une superbe, « as usual », couverture de Manchu) puisqu’il s’agit d’un « spécial fictions ». Pas de dossier sur un auteur donc, mais six récits qui occupent un peu plus des deux tiers de la revue.

Mais avant cela, attardons-nous juste un instant sur l’édito qui fait un constat sur les droits de traduction d’oeuvres étrangères dont les prix s’envolent… pour un retour sur investissement plus que douteux. Comme une bulle qui pourrait bien éclater rapidement, ce qui offrirait donc un boulevard aux auteurs francophones, à condition que ceci mettent l’accent sur la qualité de leurs récits, ce qui ne semble pas être l’avis d’Olivier Girard, en tout cas pour le moment (quoique, puisque le sommaire de ce numéro est majoritairement francophone). L’avenir nous le dira.

On trouve également au menu les classiques critiques des dernières sorties (rien ne m’a intéressé que je ne possède déjà, en papier ou en numérique), un très intéressant article de Xavier Mauméjean (rédigé à l’occasion de la réédition de « Brûle, sorcière, brûle ! » de Abraham Merritt aux éditions de L’Éveilleur) sur la figure de la sorcière et son évolution dans la littérature fantastique/science fiction entre 1932 et 1972, un entretien avec David Vincent (avec un nom pareil, il était prédestiné à bosser en SF !) des éditions de L’Arbre Vengeur (j’ai déjà croisé deux ou trois de leurs bouquins qui m’ont tapé dans l’oeil, mais je n’ai toujours rien lu de chez eux…) et le traditionnel article de Roland Lehoucq sur la Lune (l’article, pas Roland Lehoucq hein, enfin vous m’avez compris !^^), plus précisément sur les voyages vers la Lune en littérature ou au cinéma. Un article un peu moins « scientifique » que d’habitude (l’été les neurones se reposent un peu), mais néanmoins très instructif (où l’on voit que Hergé était vraiment dans le vrai).

Et donc, les nouvelles. Gardons le meilleur pour la fin. Et commençons donc avec Leo Henry… Non pas que son texte « Ecouter plus fort » soit mauvais, d’ailleurs sur la forme il est assez ravissant, sorte de conte post-apocalyptique de recherche d’un certain sens de la vie, mêlant humains et animaux. Un mélange à la fois étonnant et beau, mais pour lequel je n’ai pas réussi à décrypter le message, si ce n’est grâce à son titre étonnamment révélateur pour un texte aussi déroutant. Déception…

« Trademark » de Jean Baret est une petite introduction à son roman « BonheurTM » à paraître en septembre au Bélial’. Le petit coup de pub fait son office puisque le récit, pas foncièrement original dans son déroulé, emprunte à la fois à Ray Bradbury (« Fahrenheit 451 ») et à J.G. Ballard (souvenons-nous de la nouvelle « L’homme subliminal » dans le Livre d’Or qui lui est consacré), entre autres. De glorieuses références donc pour un univers qui n’est qu’esquissé ici mais où la consommation est reine et même un devoir de citoyen sous peine de sanctions (le coup de pub de l’éditeur pour appâter le chaland vers le roman à paraître semble alors savoureux puisque le récit de Jean Baret dénonce justement, entre autres choses, une société poussant à la surconsommation à tout crin… Mais bon, surconsommer de la SF, c’est pas pareil, puisque c’est bon pour la santé ! ^^) , et qui pourrait bien s’avérer intéressant.

Olivier Caruso signe avec « Ex silentio » un récit qui est, je cite l’introduction d’Olivier Girard, « un curieux combo entre hard-SF, récit de premier contact, histoire d’amour et d’horreur ». J’ai envie de dire que tout est dit. Ajoutons tout de même que ce récit sur l’altérité pose d’étonnantes formes de vie extraterrestre et à travers le personnage principal, juriste de profession, c’est la thématique de la compréhension d’êtres incompréhensibles qui est abordée de jolie manière. Avec une chute plutôt réussie.

Dans « Voyage avec l’extraterrestre », Carolyn Ives Gilman joue également sur l’altérité avec cette rencontre entre une femme et un émissaire d’extraterrestres qui ont atterri sur Terre et affirment venir en paix. Un émissaire qui fut par ailleurs enlevé lorsqu’il était enfant. Récit assez subjuguant sur une autre façon de penser et qui prend des allures de road-movie littéraire entre deux personnages qui ont autant besoin l’un que l’autre de comprendre leur interlocuteur. A moins que… Là encore la chute est plutôt réussie.

Bon, tout ça nous donne un texte que je ne peux que mettre de côté, et trois texte sympathiques sans pour autant crier au génie. Il en reste deux. Passons aux choses sérieuses, parce que là il y a du lourd. Ken Liu tout d’abord, quelle surprise ! « Souvenirs de ma mère » est un texte court, moins de trois pages, mais comme souvent avec l’auteur, qualité ne rime pas nécessairement avec quantité. Et ici, dans ces quelques lignes, c’est une utilisation émouvante du paradoxe des jumeaux qui est exposée (il faut dire que ce paradoxe est l’arme (larme ?) ultime pour faire pleurer dans les chaumières SF, comme a pu le faire « Interstellar » au cinéma par exemple. Ou bien Joe Haldeman dans « La guerre éternelle »). Efficace, simple, sobre, et pourtant à pleurer, pas de doute, c’est du Ken Liu. Bravo ! Signalons que ce texte, que j’avais d’ailleurs lu en VO, a été adapté en court-métrage, j’en avais déjà parlé et ça vaut aussi le coup d’oeil. Le film est bien sûr plus illustratif mais le texte de Liu, de par sa compacité, atteint parfaitement sa cible.

Et puis la grosse réussite de ce numéro nous vient de Michel Pagel avec « La mort de John Smith ». Là encore un joli mélange des genres entre SF space-opera, vampires, polar, apocalypse, secte, immortalité, etc… Bien narré, avec ce qu’il faut de surprises et de fausses pistes, on suit un détective privé pygmée (hé oui) engagé par un riche homme d’affaires pour retrouver sa fille qui semble s’être entichée d’un gourou forcément escroc qui souhaite amener ses ouailles à la rencontre d’un vaisseau spatial piloté par des êtres divins et se dirigeant vers une planète lointaine. Sauf que ce vaisseau spatial ressemble plutôt à un bon gros astéroïde tout ce qu’il y a de plus normal prêt à s’écraser… Evidemment rien ne sera ce qu’il paraît être et Michel Pagel s’amuse à brouiller les pistes (et les genres littéraires) sans se poser de limites dans un récit particulièrement savoureux qui fleure bon la SF pulp de grande qualité. Excellent !

Tout cela nous donne donc six textes (dont quatre francophones, un joli score alors qu’il y a encore peu de temps, et c’est aussi le cas dans l’édito de ce numéro, Olivier Girard se désespérait de trouver des textes francophones de qualité. Ceci dit, il faut bien avouer qu’hormis le texte de l’expérimenté Michel Pagel, les trois autres récits des Frenchies ne vous feront pas vous relever la nuit…), dont deux belles perles. C’est plutôt honorable tout ça. Un Bifrost intéressant donc, une expérience « spécial fictions » à renouveler. Peut-être pas tous les ans, un numéro sur quatre ça fait beaucoup, mais pourquoi pas tous les deux ans ?

 

Article rédigé dans le cadre du challenge Summer Star Wars épisode VIII, par Lhisbei (pour le texte de Michel Pagel).

 

 

  
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