Des larmes sous la pluie, de Rosa Montero

Posted on 25 avril 2016
L’arrivée au mois de janvier du nouveau roman de Rosa Montero m’a rappelé que je voulais découvrir le précédent, situé dans le même univers. Publiée chez un éditeur généraliste, l’auteure espagnole écrit pourtant (entre autres choses) de la SF, dans ce qu’elle a de plus « pure » : une Terre du futur, des androïdes, etc…

 

Quatrième de couverture :

États Unis de la Terre 2119, les réplicants meurent dans des crises de folie meurtrière tandis qu’une main anonyme corrige les Archives Centrales de la Terre pour réécrire l’histoire de l’humanité et la rendre manipulable. Bruna Husky, une réplicante guerrière, seule et inadaptée, décide de comprendre ce qui se passe et mène une enquête à la fois sur les meurtres et sur elle-même, sur le mémoriste qui a créé les souvenirs qu’elle porte en elle et qui la rapprochent des humains. Aux prises avec le compte à rebours de sa mort programmée, elle n’a d’alliés que marginaux ou aliens, les seuls encore capables de raison et de tendresse dans ce tourbillon répressif de vertige paranoïaque.

 

Tous ces moments se perdront dans l’oubli

Des larmes sous la pluie - Montero - couvertureUne Terre du futur, des techno-humains appelés « réplicants » à la courte durée de vie qui ont durement acquis quelques droits sociaux après de nombreux conflits, et un titre de roman qui fait explicitement écho à un célèbre monologue cinématographique. Oui, Philip K. Dick et « Bladerunner » (le roman tout autant que le film) hantent le livre de Rosa Montero. À tel point que je croyais au départ que l’auteure espagnole s’était réappropriée l’univers de Dick pour en écrire une suite. Erreur, Rosa Montero crée son propre monde, tout en reprenant à son compte nombre des interrogations soulevées par son illustre aîné. Ainsi le titre du roman, issu du monologue du film « Bladerunner » et qui précède la mort du réplicant Roy Batty illustre directement l’un des thèmes qui parcourt tout le roman : la mort. La mort des réplicants, ces « presque-humains » utilitaires qui n’ont que dix ans d’espérance de vie (créés à un âge de vingt cinq ans, ils décèdent aux alentours de trente cinq) et auxquels on inculque de faux souvenirs pour leur donner un semblant de passé et une certaine stabilité émotionnelle.

Bruna Husky est l’une d’entre eux, et compte les jours qui l’amèneront vers une fin définitive et connue d’avance : la TTT (Tumeur Totale Techno), sorte de cancer généralisé, et une fin douloureuse qu’elle a déjà connue en voyant mourir son compagnon. Elle tente de donner un sens à sa courte vie en faisant de petits boulots de détective depuis qu’elle a retrouvé sa liberté après quelques années de bons et loyaux services (obligatoires) auprès de son employeur. Car les réplicants ont obtenu de haute lutte (après bien des combats pas toujours pacifiques) des droits sociaux, la société leur reconnaissant une existence (presque) à l’égale de celle des humains. Mais rien n’est pleinement acquis, et le racisme anti-réplicants (appelé « spécisme ») est encore bien présent. En réaction, le Mouvement Radical Réplicant a été créé. C’est dans ce contexte qu’elle va se retrouver aux prises avec sa voisine, réplicante elle aussi, qui va tenter de la tuer avant de se suicider en s’arrachant un oeil. Commence alors une enquête qui risque bien de faire vaciller la société entière.

Le roman nous emmène ainsi dans une enquête policière prenante et bien rythmée, qui ne manque pas d’aller un peu plus loin que le simple polar futuriste, d’une part en donnant une vraie consistance à son univers à travers des extraits d’archives revenant sur l’Histoire de ce monde (un monde cohérent, prenant, vivant, réaliste, une belle réussite de l’auteure) et  qui ne sont pas là juste pour faire joli puisqu’ils participent pleinement à l’intrigue, d’autre part en faisant de Bruna Husky un personnage mémorable par sa profondeur psychologique et les questions qu’elle se pose sur elle-même, les réplicants, etc… Car les réplicants ne sont rien de moins que des êtres vivants comme les autres, leur seul tort étant d’être créés par les humains et donc souvent considérés comme des sous-êtres, tout justes bons à effectuer les tâches qui leur sont attribuées… Bruna est donc un personnage fort et complexe, comme on n’en voit pas si souvent, se cherchant un avenir alors que le temps file à une vitesse folle.

Mené tambour battant, « Des larmes sous la pluie » n’a donc pas que son statut de thriller page-turner à faire valoir. Posant de vraies questions typiquement SF (combats sociaux, mort, mémoire sont au coeur du roman), avec des personnages intéressants (même si les personnages secondaires sont moins travaillés que l’héroïne), représentant sans doute une belle porte d’entrée vers le monde de la SF pour les adeptes de polars et de thrillers (il est d’ailleurs publié dans une collection généraliste, mais relève pourtant pleinement du genre SF), le roman possède bien des qualités pour convaincre. Tout juste pourrait-on regretter une progression peut-être un peu trop linéaire et une fin un poil trop didactique, mais rien qui ne puisse gâcher le bon souvenir laissé par sa lecture. « Des larmes sous la pluie » possède une suite (mais l’enquête ici présente est totalement résolue, le roman se suffit donc à lui-même), qui ne va pas tarder à être avalée elle aussi…

 

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Critique écrite dans le cadre des challenges « SFFF et diversité » de Lhisbei (item 1 : lire une oeuvre de SF (et uniquement de SF) écrite par une femme) et « Dystopie » de Val.

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