Le regard, de Ken Liu

Posted on 18 juillet 2017
Après la déception de « Poumon vert », rien de tel qu’un Ken Liu pour se remettre en selle ! L’auteur est devenu « bankable » au Bélial’ et c’est à raison que l’éditeur n’hésite plus à tabler régulièrement sur ses récits, pour le plus grand bonheur des lecteurs.

 

Quatrième de couverture :

Demain…
Dans son registre, celui de l’investigation, Ruth Law est la meilleure. D’abord parce qu’elle est une femme, et que dans ce genre de boulot, on se méfie peu des femmes. Parce qu’elle ne lâche rien, non plus, ne laisse aucune place au hasard. Enfin, parce qu’elle est augmentée. De manière extrême et totalement illégale. Et tant pis pour sa santé, dont elle se moque dans les grandes largeurs — condamnée qu’elle est à se faire manipuler par son Régulateur, ce truc en elle qui gère l’ensemble de ses émotions, filtre ce qu’elle éprouve, lui assure des idées claires en toute circonstance. Et surtout lui évite de trop penser. À son ancienne vie… Celle d’avant le drame…
Et quand la mère d’une jeune femme massacrée, énuclée, la contacte afin de relancer une enquête au point mort, Ruth sent confusément que c’est peut-être là l’occasion de tout remettre à plat. Repartir à zéro. Mais il faudra pour cela payer le prix.
Le prix de la vérité libérée de tout filtre, tout artifice. Tout regard…

 

Dans le viseur de Ken Liu

Aaaah, Ken Liu, l’auteur tant adulé (par moi, mais pas que…) de « La ménagerie de papier » (lisez ce recueil !) et de « L’homme qui mit fin à l’histoire » (LISEZ CE TEXTE !!) dans cette même collection « Une heure-lumière », ainsi que d’autres nouvelles parues ici ou là (dans les revues Bifrost, Fiction ou Galaxies, ne faites pas comme moi, lisez les toutes !). Il nous revient à nouveau, toujours dans la collection du Bélial dédiée aux récits courts, avec « Le regard ».

Ce récit suit deux trames parallèles. L’une d’elle suit un meurtrier de prostituées, qui utilise un implant biotechnologique qu’il enlève à ces dernières par la manière forte pour faire chanter certaines huiles gouvernementales et autres richissimes dirigeants. L’autre trame met en scène Ruth Law, une détective privée traumatisée par la mort de sa fille quelques années en arrière lorsqu’elle travaillait au sein de la police. Elle n’arrive pas à passer outre cet évènement pour le moins douloureux, et utilise donc le « Régulateur », dispositif implanté dans son corps et qui lui permet de réguler (comme son nom l’indique) ses émotions. Pas de panique, pas d’énervement, pas de peur, uniquement des émotions contrôlées. Ruth Law devient une machine. Mais ce dispositif nécessite pourtant de ne pas être utilisé constamment sous peine de divers problèmes. Ruth, pour pouvoir continuer à vivre le plus sereinement possible, le fait pourtant fonctionner jusqu’à l’extrême limite, c’est à dire 23 heures sur 24 heures, la dernière heure étant une terrible séance de torture entre remords, colère et désespoir.

« Le regard » est donc avant tout une histoire policière, avec Ruth Law qui, contactée par la mère d’une des prostituées assassinées qui estime que la police n’a pas fait son travail jusqu’au bout, va se mettre à la recherche de l’assassin contre une belle somme d’argent. Un texte simple, direct, sans fioritures (90 pages), mais qui montre une nouvelle fois à quel point Ken Liu a du talent pour mettre le lecteur face à des problèmes éthiques et/ou technologiques. Peu de mots mais une puissance d’évocation certaine. Décidemment, ce type a du talent à revendre.

Et sous ses couverts de polar relativement classique, ce petit côté cyberpunk amène le lecteur à réfléchir sur notre dépendance (qui se fait de plus en plus forte) à la technologie en transposant cette dernière directement dans le corps humain. Jusqu’où sommes-nous prêts à aller ? Les émotions sont-elles un atout ou un handicap pour l’être humain ? Que vaut l’homme face à la technologie, celle qui le rend plus fort, plus rapide, moins humain en somme mais plus efficace ?

Avec en plus un petit côté orwellien sur les technologies de surveillance (même si le gouvernement reste à priori en dehors de ça), cette dychotomie entre émotions et technologie frappe juste avec le personnage de Ruth Law, incapable de faire face à son passé sans l’assistance d’une technologie qui ne fait que la déshumaniser. Et quand cette dernière finit par faire faux bond, c’est le drame qui arrive, inévitablement. Oui mais au fond, n’est-ce pas le fait de vivre et d’affronter des émotions parfois difficilement surmontables qui nous définit en tant qu’êtres humains capables d’aimer, de rire, de pleurer, de partager, etc…

Un texte efficace donc, qui pose des questions pertinentes. Et même si « Le regard » n’est ni le texte le plus ambitieux (difficile de faire mieux que « L’homme qui mit fin à l’histoire »…), ni le plus touchant (le splendide « La ménagerie de papier », dans le recueil éponyme) de l’auteur, il montre une nouvelle fois à quel point Ken Liu est un fin observateur de notre société. Bravo !

 

Lire aussi les avis de l’Ours inculte, Samuel, Apophis, Artemus Dada, Soleil vert, Just a word, Musiques et SF, Yuyine, Gromovar, Un bouquin sinon rien, Yozone, Yogo, Sandrine.

Critique rédigée dans le cadre du challenge « S4F3s3 » de Xapur.

 

  
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