La servante écarlate, de Margaret Atwood

Posted on 15 janvier 2018
Est-il possible de passer à côté de « La servante écarlate » (« The handmaid’s tale » en VO) de Margaret Atwood ? Non sans doute tant la série issue du roman a fait parler d’elle cette année (et a fait vendre des tonnes de livre, une de ses nombreuses qualités). Mais oui aussi, puisqu’il ne faut pas oublier que son succès récent (quand bien même le roman a eu du succès lors de sa parution, avec notamment un Prix Arthur C. CLarke en 1987 et une adaptation cinématographique en 1990. Il figure d’ailleurs toujours dans les listes des meilleures dystopies) arrive plus de trente ans après sa parution originale. Cela dit, même trente ans après, le roman reste encore et toujours d’une importance capitale.

 

Quatrième de couverture (tirée de l’édition simple):

Devant la chute drastique de la fécondité, la république de Gilead, récemment fondée par des fanatiques religieux, a réduit au rang d’esclaves sexuelles les quelques femmes encore fertiles. Vêtue de rouge, Defred, « servante écarlate » parmi d’autres, à qui l’on a ôté jusqu’à son nom, met donc son corps au service de son Commandant et de son épouse. Le soir, en regagnant sa chambre à l’austérité monacale, elle songe au temps où les femmes avaient le droit de lire, de travailler… En rejoignant un réseau secret, elle va tout tenter pour recouvrer sa liberté.

Paru pour la première fois en 1985, La Servante écarlate s’est vendu à des millions d’exemplaires à travers le monde. Devenu un classique de la littérature anglophone, ce roman, qui n’est pas sans évoquer le 1984 de George Orwell, décrit un quotidien glaçant qui n’a jamais semblé aussi proche, nous rappelant combien fragiles sont nos libertés. La série adaptée de ce chef-d’oeuvre de Margaret Atwood, diffusée sous le titre original The Handmaid’s Tale, avec Elisabeth Moss dans le rôle principal, a été unanimement saluée par la critique.

« Les meilleurs récits dystopiques sont universels et intemporels. Écrit il y a plus de trente ans, La Servante écarlate éclaire d’une lumière terrifiante l’Amérique contemporaine. » Télérama

 

Si loin et si proche à la fois…

Oui la série fait vendre (je me suis précipité sur la très belle édition collector reliée avec ses tranches rouges et sa couverture sobre). Et c’est bien ainsi. Car tout autant que le show de Bruce Miller, très moderne dans sa réalisation, le roman de Margaret Atwood qui en est à l’origine reste toujours aussi essentiel, peut-être même plus que jamais en ces temps d’affaire Weinstein, de hashtag #MeToo, #BalanceTonPorc, ou de contre-feu anti-féministe paru dans la presse.

Disons-le tout de suite, après avoir vu la série (en premier) puis lu le roman (en deuxième), une constatation s’impose : le récit de Margaret Atwood est excellemment adapté pour la série. Tout y est, et même un peu plus. C’est ce qui fait la force de l’adaptation mais aussi ce qui rend le roman tout aussi intéressant. Car si ce dernier est moins « complet » puisque la série s’est permis d’élargir quelque peu l’univers du récit, le roman se focalise uniquement sur la vie de Defred, exacerbant un sentiment certes présent dans la série mais de manière moins prononcée : l’enfermement, l’oppression.

Mais revenons un instant sur l’histoire. Les Etats-Unis, suite à différentes crises dont on sait peu de choses mais dont la moindre n’est pas celle de la fécondité, ont basculé dans la dictature, une théocratie baptisée « République de Gilead ». Les femmes n’ont quasiment plus aucun droit, parquées dans des castes aux devoirs bien définis. Les Épouses ne sont là qu’à but représentatif, les Marthas sont les domestiques, les Tantes sont les éducatrices tyranniques et bien sûr les Servantes, seules femmes fertiles, soumises à l’élite dirigeante et réduites à leur simple rôle d’utérus fait pour procréer. Ne portant plus de nom (on les appelle avec le nom de leur « possesseur » auquel on ajoute le suffixe « de », ainsi Defred pour l’héroïne du roman), elles subissent la « Cérémonie » une fois par mois, qui n’est rien d’autre qu’un viol institutionnalisé. Si une naissance arrive, on leur enlève l’enfant pour le donner au couple qui la possède, puis la Servante est placée au sein d’un autre foyer. Et rebelotte…

Et donc le roman retrace le quotidien de Defred. Le lecteur est placé à sa hauteur, sans connaissance de ce qui se passe à l’extérieur. Une focalisation interne poussée à l’extrême, faisant croître le sentiment d’oppression face à une situation dont les mots « injustice » ou « horreur » ne font qu’à peine effleurer la réalité. C’est là l’essentielle différence avec la série qui, même si elle s’est efforcée de garder l’effet de focalisation interne avec la voix off, ne pouvait pas se permettre de rester uniquement sur le point de vue de Defred puisque la caméra lui fait face alors que le roman se situe dans sa tête.

Deux médias, deux points de vue donc. La série étoffe le passé de quelques personnages, nous donne à voir ce qui a conduit à la fondation de la République de Gilead là où le roman ne nous montre que ce que vit Defred. Deux procédés différents, qui chacun à leur manière place le spectateur face à un malaise. Malaise extrême devant ce que vit Defred et son impuissance à s’en sortir face à un système qui ne lui laisse aucun répit pour le roman, malaise aussi face à comment quelques petits riens et l’inattention du peuple peuvent faire basculer une démocratie (d’où sa brûlante actualité devant ce qui nous arrive depuis quelques mois ou années…), jusqu’à ce le réveil finisse par être trop tardif pour la série.

Force est de constater que si les deux oeuvres se ressemblent beaucoup, elles sont aussi parfaitement complémentaires. Je n’ai pas eu l’impression d’une redite, alors même que j’ai exploré les deux oeuvres de façon rapprochée. La sidération devant la série ne m’a pas empêché de lire le roman en apnée.

Un roman sombre donc (et absolument essentiel surtout !), à la fin ouverte avant un étonnant épilogue d’historiens qui, non comptant de ne pas répondre aux nombreuses questions que l’on peut se poser, se permet de soulever d’autres questionnements en ouvrant sur un avenir plus lointain. Ce qui laisse un véritable boulevard pour la série qui a là l’opportunité de s’émanciper du récit d’Atwood (qui restera consultante). Je m’en régale par avance. Indispensable.

 

Lire aussi les avis de Cédric, Yogo, Vert, Val.

 

  
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