La petite déesse, de Ian McDonald

Après la grosse claque reçue à la lecture du « Fleuve des dieux », il était bien logique que je me penche à nouveau sur un livre de Ian McDonald, un auteur que je considère comme un des monuments de la SF contemporaine. La preuve de mon intérêt envers l’auteur : la pile de quatre pavés que j’ai posée sur la table de l’auteur aux dernières Utopiales pour des dédicaces… 😉 Le présent recueil de « La petite déesse » en faisait partie.

 

Quatrième de couverture :

En 2004, Ian McDonald publiait en Angleterre un roman d’une ambition peu commune dans le paysage de la science-fiction contemporaine, « Le Fleuve des dieux », un livre monstre de plus de 600 pages, aux multiples intrigues situées dans une Inde de 2047 balkanisée et en proie à une sécheresse sans précédent. Le prix de la British Science Fiction Association a récompensé ce roman qui s’est aussitôt imposé comme le « Blade Runner » du début de XXIe siècle. Son édition française a reçu le Grand Prix de l’Imaginaire.

En 2009, Ian McDonald a rassemblé sous le titre « La Petite Déesse » les sept nouvelles et courts romans qu’il avait écrits sur cette même Inde du futur. On y découvre, souvent par le biais du regard d’enfants, un sous-continent où les hommes sont quatre fois plus nombreux que les femmes, où se côtoient puissants, gens d’une extrême pauvreté, intelligences artificielles et stars virtuelles, tous confrontés à des menaces d’un genre nouveau.

 

Nouvelle plongée dans une Inde futuriste

La petite déesse - McDonaldRecueil composé de sept nouvelles, « La petite déesse » permet à l’auteur de développer sa vision d’une Inde futuriste, une Inde que les tensions ethniques ont divisé en une douzaine d’Etats indépendants, une Inde émergente, une Inde technologique, une Inde conquérante, mais aussi une Inde handicapée par un déséquilibre démographique (quatre fois plus d’hommes que de femmes), une Inde qui doit faire face à des dérèglements climatiques. Nouvelle plongée dans un futur plus vrai que nature…

« Sanjîv et Robot-wallah » : s’intéressant à un jeune garçon fasciné par les robots, cette nouvelle va le voir se mettre au service de jeunes gens pilotes à distance de robots dans le conflit qui oppose deux jeunes états de l’ex-Inde, le Bârhat et l’Awadh. S’interrogeant en filigrane au destin des enfants soldats, et de leur utilisation par l’armée jusqu’à leur démobilisation qui se fait parfois dans la douleur, cette première nouvelle s’avère très efficace, avec notamment un approfondissement technologique de ce futur hypothétique.

« Kyle fait la connaissance du fleuve » : cette fois, on s’attarde sur l’écart social entre expatriés venus participer à la reconstruction du Bhârat et autochtones. Au sein du Confinement, une zone réservée principalement aux expatriés pour raisons de sécurité, Kyle se lie d’amitié avec un jeune bhârati, Salim. C’est lui qui lui permettra, au grand dam des parents de Kyle inquiets pour sa sécurité, de découvrir le vrai visage de son pays, notamment à travers ce fameux fleuve majestueux, le Gange.

« L’assassin-poussière » : à travers la guerre économique (mais pas seulement) que se livrent deux familles gestionnaires d’une ressource rare et essentielle, l’eau, c’est le destin de Padminî, héritière de la famille Jodhra qui se joue. Son père lui a toujours répété qu’elle était une arme, mais alors que la famille Azad parvient à éliminer toute la famille Jodhra sauf elle, sans moyens, elle va devoir mettre son désir de revanche en sourdine. Recueillie par des « neutres » (ni homme ni femme), c’est un destin singulier qui l’attend, à moins que cette arme ne refasse surface… Encore un récit réussi, tragique et cruel, qui permet d’en savoir un peu plus sur les « neutres ».

« Un beau parti » : Une nouvelle surprenante qui voit Jâspir, beau gosse un brin arrogant, confronté à la difficulté de trouver une épouse dans un pays où les hommes sont quatre fois plus nombreux que les femmes. Si on ajoute la problématique très indienne du système de castes, cela devient vite un casse-tête. Il décide donc de mettre tous les atouts de son côté, et son colocataire lui confectionne une I.A. sur mesure censée l’aider à trouver l’âme-sœur. Insistant donc sur ce problème démographique, la nouvelle s’attarde également sur les moyens offerts aux hommes pour trouver la femme de leur vie : « marieurs », agences matrimoniales, et, futur oblige, ces fameuses I.A. parfois plus étonnantes qu’on ne l’imagine. Avec une fin très réussie, c’est un nouveau bon point pour McDonald.

« La petite déesse » : une nouvelle déjà parue dans le Bifrost 68 spécial Ian McDonald, qui narre l’histoire d’une petite fille devenue « kumari », incarnation vivante d’une déesse. Mais que se passe-t-il lorsqu’elle perd ce statut divin, au premier sang versé ? Après avoir vécu sept ans dans une prison dorée, elle va devoir s’adapter au monde extérieur, un monde qu’elle ne connait pas. Mais la divinité n’est peut-être pas seulement religieuse, elle peut aussi être technologique… Pas grand chose à rajouter, elle supporte très bien la relecture et s’avère toujours d’aussi bonne qualité. Une pièce maîtresse de ce recueil. Elle lui donne son nom, ce n’est pas un hasard…

« L’épouse du djinn » : Récit d’une histoire d’amour a priori impossible entre une jeune danseuse de kathak de l’état d’Awadh et une I.A. négociatrice de l’état du Bhârat, participant aux discussions sur la construction d’un barrage sur le Gange, le tout sur fond de conflit lié à l’eau, de lois Hamilton contrôlant les I.A. trop humaines. L’amour peut-il résister à une trop grande distance, malgré tout ce dont est capable une I.A. de haut niveau ? Et que faire lorsque des I.A d’un tel niveau deviennent illégales ? La conclusion est ici bien éloignée de celle de « La petite déesse »

« Vishnu au cirque de chats » : cette fois c’est carrément l’histoire de l’Inde dans un futur proche qui s’étale devant nous. Racontée par Vishnu, un jeune brahmane (enfant génétiquement modifié qui vit deux fois plus longtemps qu’un humain normal mais dont le corps vieillit deux fois moins vite, avec tous les désagrément s que cela comporte : imaginez un ado de 15 ans dans un corps de 7 par exemple…) au destin peu commun, on a là un récit incroyable qui englobe celui du « Fleuve des dieux », depuis ses prémices jusqu’à sa conclusion, en l’emmenant même encore plus loin. Toujours aussi passionnant, dépaysant, fascinant, reposant aussi en grande partie sur la mythologie hindoue (ainsi Vishnu ne porte pas ce nom par hasard, de même pour son frère Shiva ou son épouse Lakshmî). Avec en plus ce fameux vertige propre à la littérature de science-fiction. Du bonheur.

Alors que dire si ce n’est que ce recueil complète on ne peut mieux « Le fleuve des dieux » et que la vision kaléidoscopique de cette Inde futuriste n’en est que plus développée et éblouissante, le recueil permettant en effet de revenir un peu plus longuement sur certains concepts et/ou problématiques entrevues dans « Le fleuve des dieux » : les I.A., les neutres, les brahmanes, les lois Hamilton, la guerre de l’eau, les problèmes climatiques et démographiques, etc… Sorte de « cyberpunk sociologique » (la technologie inventée par l’auteur, passionnante et réaliste au vu de ce qui existe de nos jours, se rapproche vraiment de la mouvance cyberpunk), « La petite déesse » confirme, s’il en était besoin, l’immense talent de Ian McDonald, un des papes de la SF moderne, tout simplement.

 

Lire aussi les avis de Efelle, Cyrille, Blackwolf, Viinz, Soleil vert, Gromovar.

 

JLNND

 

  
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