Terminus, de Tom Sweterlitsch

Posted on 3 juin 2019
Encore un nom inconnu en France. Décidément, les éditeurs francophones ont pour ambition de nous faire découvrir de nouvelles plumes, et on ne va pas s’en plaindre, surtout quand elle nous donnent, comme c’est le cas ici, des romans à dévorer. Place donc à Tom Sweterlitsch et à sa fin du monde annoncée, le fameux « terminus ».

 

Quatrième de couverture :

Depuis le début des années 80, un programme ultrasecret de la marine américaine explore de multiples futurs potentiels. Lors de ces explorations, ses agents temporels ont situé le Terminus, la destruction de toute vie sur terre, au XXVIIe siècle.

En 1997, l’agent spécial Shannon Moss du NCIS reçoit au milieu de la nuit un appel du FBI : on la demande sur une scène de crime. Un homme aurait massacré sa famille avant de s’enfuir. Seule la fille aînée, Marian, 17 ans, serait vivante, mais reste portée disparue. Pourquoi contacter Moss ?

Parce que le suspect, Patrick Mursult, a comme elle contemplé le Terminus… dont la date s’est brusquement rapprochée de plusieurs siècles.

 

Thriller + voyage dans le temps, le cocktail parfait ?

Le ton est donné dès le prologue : Shannon Moss, enquêtrice du NCIS, est témoin en 2199 du « Terminus », une sorte de fin du monde christique et déviante. La vision est frappante, glauque et glaçante. Pourtant Moss, désorientée, ne comprend pas tout ce qui se déroule devant ses yeux. Après tout, ne se voit-elle pas elle même suspendue la tête en bas et prise en charge par l’équipe de secours ? Étrange autant que déroutant.

Retour en 1997. On retrouve Shannon Moss, appelée pour prendre en charge l’enquête sur un meurtre, disons même plutôt un massacre d’une famille entière (à l’exception d’une jeune fille portée disparue) dans une petite ville américaine. Pourquoi appeler le NCIS ? Parce que le principal suspect est un membre de la Navy, au passé plus que trouble. Il était même déclaré disparu jusqu’ici. Plus gênant encore, il a fait partie du projet « Eaux Profondes », programme secret développé dans les années 70 et permettant de voyager dans l’espace et le temps (uniquement vers l’avenir). Le crime est donc problématique à plus d’un titre, et devient immédiatement une priorité absolue. Dès lors, le temps venant rapidement à manquer et l’enquête à piétiner, Shannon Moss est envoyée en 2015 pour tenter de découvrir si les renseignements qu’elle pourrait tirer de l’avenir permettrait de l’amener, une fois revenue en 1997, à faire avancer l’enquête et à retrouver la jeune fille disparue.

On le voit, on nage en plein thriller avec en bonus du voyage dans le temps. Pas dans le passé ceci dit, donc on ne s’amuse pas avec les paradoxes temporels ici, mais seulement vers l’avenir, des avenirs qui ne sont que des « TFI », des « trajectoire futures inadmissibles », en ce sens qu’elles ne sont que des futurs potentiels, dont l’existence même disparaît dès que le voyageur temporel revient à son présent, puisqu’en modifiant le présent avec les informations tirées de l’avenir, cet avenir se modifie forcément (imaginez donc le désarroi des personnes au courant du projet « Eaux Profondes » quand ils se rendent compte qu’ils font partie d’une TFI, et qu’elles sont donc amenées à disparaître, purement et simplement une fois l’agent reparti. Certaines pourraient donc être tentées de le capturer pour éviter la disparition de « leur » TFI…). Et là, on imagine déjà tout le potentiel d’une telle trouvaille narrative. Futurs altérés, destin transformés, TFI dans les TFI (bonjour le vertige !), les possibilités sont multiples et passionnantes. Tom Sweterlitsch ne se prive d’ailleurs pas pour les utiliser pour faire de son roman une sorte « d’uchronie spéculative », où le point de divergence est situé au présent et les uchronies sont donc les avenirs explorés (ceci dit, il est de base déjà une uchronie puisque même si le point de divergence n’est pas explicité, les technologies disponibles dans les années 70-80 sont bien supérieures à celles que nous avons connues, ce qui permet le développement du programme « Eaux Profondes »). Et ce qui aurait pu s’avérer intéressant mais rapidement bordélique et incompréhensible reste absolument limpide grâce à la maîtrise narrative de l’auteur.

Certes, pour ne pas trop corser les choses, les voyages temporels ne sont pas très nombreux (et il ne faut pas oublier l’intrigue « thriller », à qui il faut laisser également de la place pour s’exprimer), mais ils sont utilisés de fort belle manière. On assiste donc, pour différents personnages liés à l’enquête, à des destins futurs radicalement différents. Des histoires que l’auteur prend la peine de développer puisque les voyages de Shannon Moss durent plusieurs mois. Après tout, pourquoi se presser puisque pour les personnes restées au temps présent, la voyageuse a à peine disparue qu’elle réapparaît aussitôt. Shannon Moss peut donc prendre son temps pour être sûre d’obtenir tous les résultats nécessaires à son enquête. Et on voit immédiatement les effets collatéraux : dans le présent, à force de voyager durant de longues périodes, les agents temporels paraissent beaucoup plus vieux que leur âge officiel alors que dans les futurs qu’ils explorent, ils paraissent ne pas avoir vieilli du tout pour les personnes qui les ont vu quelques années avant, qui ne sont que quelques instants pour la voyageuse. Vertigineux je vous dis ! Et je n’ai même pas parlé du Terminus, qui ne cesse de se rapprocher (les explorateurs envoyés dans l’avenir lointain en sont témoin à des dates de plus en plus proches du présent), et c’est bien évidemment un élément fondamental de l’intrigue, car au-delà du crime à élucider, il y a la fin du monde à éviter !

Ce roman est d’une richesse folle sur tous les plans : le thriller est passionnant, le côté SF-voyage dans le temps est magnifiquement utilisé. Ça se complique tout de même un peu dans la quatrième partie, mais ça ne bloque pas la lecture tant on a envie d’en savoir plus et de quelle façon tout cela va se terminer. Il a en plus le bon goût de bien développer ses personnages, notamment Shannon Moss bien sûr, femme forte, handicapée mais engagée, courageuse et tenace malgré tous les aléas (pour ne pas dire pire…) qui lui arrivent. Et bien sûr, avec les TFI, on a droit à différentes variations de mêmes personnages, des variations parfois très éloignées les unes des autres, une sorte de vérification de la théorie du chaos et la démonstration que des choix anodins peuvent avoir un impact plus que significatif.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce roman passionnant, redoutablement cohérent (cherchez la faille, je ne l’ai pas trouvée…), mêlant avec adresse thriller, spéculation, SF de haute volée, un brin d’horreur avec ce Terminus très évocateur, presque biblique, un zest de mythologie nordique (oui oui !), et qui, de plus, évite joliment un manichéisme qui aurait été malvenu devant tant d’autres qualités. Mais en dire plus serait spoiler. Le cocktail est surprenant mais ô combien savoureux et fait de « Terminus » (traduit impeccablement par Michel Pagel) un roman marquant, à dévorer sans plus attendre.

 

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