Pierre-de-vie, de Jo Walton

Jo Walton est revenue cette année sur les étals des libraires francophones avec son nouveau roman, « Pierre-de-vie ». Qui n’est pas si nouveau puisqu’il est paru originellement en 2010 en VO. Mais Jo Walton, désormais bien installée dans le paysage SFFF francophone, a un catalogue bien rempli dans lequel les éditeurs peuvent trouver bien des merveilles. Et ce « Pierre-de-vie », nouvelle pierre précieuse de l’autrice galloise ou vulgaire caillou ?

 

Quatrième de couverture :

Applekirk est un village rural situé dans les Marches, la région centrale d’un monde où le temps ne s’écoule pas à la même vitesse selon que l’on se trouve à l’est – où la magie est très puissante et où vivent les dieux – ou à l’ouest – où la magie est totalement absente. 
C’est la fin de l’été, et la vie s’écoule paisiblement pour les villageois. Mais le manoir va être mis sens dessus dessous par le retour de Hanethe, qui fut autrefois la maîtresse des lieux. Partie en Orient, elle y est restée quelques dizaines d’années. Mais, plus à l’ouest, à Applekirk, plusieurs générations se sont succédé. Ayant provoqué la colère d’Agdisdis, la déesse du mariage, Hanethe la fuit. Mais Agdisdis est bien décidée à se venger. 

Subtil roman de fantasy – prix Mythopoeic en 2010 –, Pierre-de-vie dresse le portrait de femmes simples et merveilleuses, d’une famille sans histoires mais singulière, confrontées à des changements qui les dépassent, dans un monde hors du commun.

 

Domestic fantasy

Un écoulement du temps différent selon la situation géographique, une magie variable sur les mêmes principes, et des personnages passant d’une région à l’autre avec donc des effets temporels les amenant à vivre à un « vitesse différente » que les personnes qu’ils quittent (ou retrouvent), voilà qui a de quoi émoustiller l’amateur de littérature de l’imaginaire, à plus forte raison quand il s’agit de Jo Walton dont la qualité d’écriture n’est plus à démontrer.

Oui, sauf que. Il ne faudrait pas s’attendre ici à de la fantasy « épique » avec moults paradoxes temporels, effets magiques spectaculaires, etc… Jo Walton ne verse pas dans ce genre de récits. C’est sans doute ce que j’aurais dû me dire avant d’entamer ce roman, tant je dois avouer que mes attentes n’ont pas vraiment correspondu avec ce que j’ai lu. D’autant plus qu’ici, l’autrice reste volontairement axée sur un cercle très restreint, à savoir le petit village d’Applekirk, situé dans les Marches (grosso modo à équidistance de l’Ouest où le temps s’écoule lentement et où la magie n’existe pas, et de l’Est où c’est tout l’inverse).

Les gens d’Applekirk, comme dans tout village relativement isolé et éloigné des grands cités, vivent leur vie tranquillement, sans trop se soucier de ce qui se passe dans le grand monde. La magie y est présente à petite dose (faire léviter des objets est bien le plus spectaculaire qu’on puisse y trouver, le reste repose plutôt sur des charmes du genre protection des maisons, purification de l’eau, etc…), et les habitants mènent leur train-train quotidien, se satisfaisant d’avoir trouvé leur « pierre-de-vie » c’est à dire le métier ou la fonction qui leur permettent de s’épanouir au mieux, le tout dans un fort respect mutuel, sur le plan professionnel comme personnel, avec en plus dans ce dernier cas l’acceptation d’un mode de vie très ouvert, basé sur le « polyamour », c’est à dire couples libres, plus ou moins mélangés. Mais tout le monde ne vit pas de la même manière, et à l’Ouest, où la magie prend une immense place, la déesse du mariage Agdisdis ne voit pas ce polyamour d’un très bon oeil, et l’affront qu’elle jugera avoir subi de Hanethe, cette dernière décidant pour se protéger de revenir à Applekirk, village qu’elle a dirigé il y a bien longtemps (et que les habitants actuels ne connaissent pas, décalages temporels obligent), risque fort de briser la tranquillité du village.

Alors oui, c’est vrai, Jo Walton joue avec le temps, c’est même un peu la base de l’intrigue. Mais elle le fait par petites touches discrètes, cet effet reposant presque plus sur des techniques d’écriture particulières que sur des « effets visuels ». La narration n’est donc pas linéaire et le passé, le présent et même l’avenir se mélangent, le tout sur un texte conjugué quasi exclusivement au présent. C’est assez déboussolant, pas toujours facile à suivre (surtout que Taveth, personnage principal(e) du récit, a le pouvoir de voir les gens à différents moments de leur vie, passée ou future), du moins au début, mais cela représente finalement assez bien ces effets temporels.

Et le récit reste donc cantonné à Applekirk. Les enjeux ne semblent du coup pas être très importants, mais derrière tout cela, il y a quand même des vies humaines, des divinités et de l’action, quand bien même dès lors qu’on parle d’un siège, celui-ci se fasse avec 80 soldats. Le roman porte donc bien son qualificatif de « domestic fantasy » puisque tout ou presque y est ramené au village, voire à la famille. Mais si l’échelle adoptée par Jo Walton semble restreinte, les parties prenantes du récit restent pour l’essentiel les mêmes que dans tout bon récit de fantasy, en explorant de plus de riches thématiques (l’amour, la religion, la place que chacun doit trouver au sein d’un plus grand ensemble…).

« Pierre-de-vie » a donc tous les atours d’un roman de qualité, et c’est ce qu’il est en étant le plus objectif possible. Sur un plan tout à fait subjectif, ce n’était pas ce à quoi je m’attendais mais c’est totalement de ma faute et j’aurais dû réfléchir deux minutes avant de m’imaginer des trucs. Ne tombez donc pas dans le même piège que moi et lisez « Pierre-de-vie » pour ce qu’il est avant tout : une histoire universelle, maîtrisée et bien écrite, joliment illustrée en couverture par Aurélien Police et traduite avec classe par Florence Dolisi.

 

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