Le Haut-lieu et autres espaces inhabitables, de Serge Lehman
Quatrième de couverture :
Une ville construite à partir d’œuvres d’art franco-allemandes et menacée par l’intrusion d’un monstre appelé « le Charbonnier »…
Six histoires étranges, drôles, tragiques, métaphysiques. Six plongées dans l’abîme pour découvrir ce qui se cache de l’autre côté de la réalité. À mi-chemin entre Jules Verne et Jorge Luis Borges : bienvenue dans le monde de Serge Lehman.
On sort des sentiers battus
Serge Lehman est un nom qui résonne immanquablement à l’oreille des amateurs de science-fiction. Figure incontournable du genre en francophonie, et symbole d’une SF plutôt exigeante (en tout cas à mes yeux), il était temps que je m’y intéresse.
La nouvelle éponyme met en scène une agent immobilière, Anne Murat, venue faire la visite d’un immense appartement parisien à un riche américain, David Lance. Tout semble bien se passer, jusqu’à ce que les visiteurs s’aperçoivent que la porte d’entrée a disparu ! Non contents d’être coincés, il s’aperçoivent que les pièces disparaissent les unes après les autres… Claustrophobes s’abstenir ! C’est à un cauchemar éveillé que nous convie ici Serge Lehman ! Récit très réussi, prenant et angoissant, l’auteur parvient, à partir d’un ton relativement sobre au début, à faire basculer son récit petit à petit vers l’angoisse, jusqu’à un dénouement psychologique très juste. Récit le plus long du recueil, « Le Haut-lieu » est superbe, rien à redire !
Pour les nouvelles suivantes, c’est un peu plus compliqué (au propre comme au figuré)… Dans « Le gouffre aux chimères », on voit des sortes de « men in black » français intervenir dans la demeure d’un scientifique, demeure qui semble s’être figée et dont la décoration est faite entièrement de livres, du sol au plafond. Mais pas n’importe quels livres… A nouveau très psychologique, métaphore de la création, de l’aboutissement d’une idée, ce récit très étrange mais aussi très obscur vaut surtout pour les images qu’il véhicule. Difficile d’en dire plus sous peine de trop en dévoiler.
Je passe rapidement sur « La chasse aux ombres molles », très courte, amusante mais sans intérêt majeur, pour arriver sur « Superscience », qui fait ouvertement référence au film « Metropolis » de Fritz Lang. Pas de chance, je ne l’ai pas vu. Ce n’est pas forcément handicapant, la nouvelle restant tout à fait lisible… si on adhère au concept encore très étrange à l’oeuvre ici. Metropolis est une ville appartenant à un autre monde, bâtie à partir d’œuvres provenant de notre monde. Mais un projet menace cette ville, projet qui pourrait bien faire disparaître « l’art » purement et simplement. A nouveau réflexion sur la création, l’art comme source de vie, cette nouvelle, comme les deux précédentes peine à passionner par son récit. Le concept est saisissant mais il peine à se suffire à lui-même…
« Origami » met en scène une idée vertigineuse (dévoilée à la toute fin du récit) mais qui pour être pleinement comprise et acceptée par les personnages nécessite un certain « entrainement ». Là encore difficile d’en dire plus, mais on obtient un nouveau récit qui se repose entièrement sur son concept mais qui pour moi n’a pas pleinement atteint son but. La faute à un « sense of wonder » qui peine à décoller.
Du « sense of wonder », c’est également ce qui attend le lecteur de la dernière nouvelle, « La régulation de Richard Mars », sur cet homme devenu démiurge aux pouvoirs immenses. Un récit que n’aurait sans doute pas renié Arthur C. Clarke. Oui mais… Mêmes causes, mêmes effets, cette froideur ambiante, ce non-attachement au personnage de Richard Mars m’a empêché d’être pris dans le récit, quand bien même je reconnais la richesse des idées déployées ici par Serge Lehman…
Étonnant recueil donc que ce « Haut-lieu et autres espaces inhabitables » ! Six nouvelles, la plus longue lui donnant son nom, la plus courte d’à peine quelques pages. Ambitieux, bien écrit, mêlant psychologie, hard-sf, réflexions sur la création, métaphysique, parmi d’autres thèmes étranges et passionnant de prime abord, il a aussi le défaut d’une certaine froideur, d’un ton trop distant vis à vis des personnages qui font qu’à une exception près je n’ai pas vraiment été captivé autant que je l’aurais souhaité alors que tout semblait pourtant réuni pour que ce soit le cas…
Pour autant, je garde en tête des images marquantes (la maison de livres et cette étrange « naissance » dans « Le gouffre aux chimères »), des concepts étonnants (le cadre de « Superscience », la chute de « Origami », cet homme devenu démiurge dans « La régulation de Richard Mars ») et surtout un excellent souvenir de ce superbe récit qu’est « Le Haut-lieu ». Pas de quoi faire la fine bouche, ni de se dire que je ne suis pas Lehman-compatible, même si cette froideur qui ressort du recueil m’a considérablement gêné (« Le Haut-lieu » mis à part, j’insiste sur ce superbe récit).
Un mot également sur la très intéressante préface de Xavier Mauméjean, très éclairante sur les différents récits, mais qui n’a cependant rien à faire en préface puisqu’elle n’a d’intérêt qu’une fois les nouvelles lues et digérées. Considérez la donc comme une très bonne postface.
Lire aussi les avis de Cachou, Le Tigre, Julien, Tuurngait, Patrice Lajoye, Cyrille, Wagoo.
Chronique écrite dans le cadre du challenge « 15 ans 15 blogs » organisé par les éditions Denoël et du challenge « Francofou, le retour » de Doris.
J’ai adoré la première nouvelle, je l’ai encore en tête et j’y repense parfois (surtout quand je visite des maisons). Mais je n’ai absolument AUCUN souvenir du reste du recueil, juste aucun. Je n’en garde donc que cette nouvelle-titre hallucinante. Pas eu envie de relire l’auteur depuis…
Oui, je te rejoins pleinement sur cette effrayante première nouvelle.
Pour les autres, je garde en tête le concept qui les tient, mais j’ai peur que les récits en eux-mêmes ne résistent pas éternellement à l’épreuve du temps…
Pareil. La première m’a beaucoup marqué, les autres carrément moins !
Nous sommes donc d’accord. 🙂
Je ne suis pas sûr que ce soit le plus intéressant chez Lehman. Je me rends compte que je ne l’ai même pas chroniqué sur mon blog 🙂
Je te crois volontiers. Même si je ne sais pas vraiment ce qu’il faut découvrir dans l’oeuvre de l’auteur…
On devrait interdire les préfaces, c’est quand même rare qu’on puisse les lire avant d’avoir lu le bouquin, surtout quand il s’agit de nouvelles ^^
Sinon je crois que j’ai un Serge Lehman dans ma PàL qui traine depuis des années (je l’avais même oublié chez mon père, c’est dire…). J’ai carrément peur de le lire en fait :D.
Du coup tu as une idée de lecture juste en dessous, au cas où… 😉
J’avais bien aimé FAUST qui l’avait fait connaître.
Alors j’en prends bonne note, merci ! 😉
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