Interstellar, de Christopher Nolan
** Article garanti sans spoilers ! **
Christopher Nolan a atteint un statut tel que chacun de ses films est maintenant attendu comme un nouveau jalon dans l’histoire du cinéma. J’exagère à peine. Mais j’avoue être client du réalisateur, et sans forcément attendre ses réalisations comme des Graals successifs, je ne peux m’empêcher de m’y intéresser de près. Et quand le réalisateur s’attaque à de la SF type « space-opera », forcément, j’ai le palpitant qui accélère !
Le pitch de « Interstellar » est simple, voire même assez classique : la Terre se meurt, les cultures dépérissent les unes après les autres, le blé a été ravagé, seul le maïs semble encore pouvoir pousser correctement. Des tempêtes de poussière toujours plus nombreuses signent l’agonie de la planète, et avec elle l’agonie de l’espèce humaine qui a bien du mal à remplir son assiette. L’avenir est donc pour le moins morose. Joseph Cooper, ancien pilote de la Nasa reconverti en cultivateur, garde la nostalgie d’une humanité conquérante. Et lorsque qu’il tombe par hasard sur un projet secret de l’agence spatiale américaine, il va être forcé de faire un choix déchirant : rester auprès de ses enfants sur un monde qui ne sera bientôt plus, ou prendre part à une entreprise folle qui pourrait décider du sort de l’humanité entière, en partant vers une galaxie éloignée grâce au passage à travers un trou de ver…
Je ne vous cache pas que cette chronique est assez délicate à écrire, pour la simple raison que je ne veux pas trop en dire sur ce film qui mérite vraiment d’être découvert aussi « vierge » que possible (d’où les images présentées ici restant assez « génériques »), alors que justement la substantifique moelle du film réside dans les concepts dont je ne veux pas trop parler. Pas simple… Commençons donc par les généralités. « Interstellar » est un pur film de science-fiction. De la science-fiction comme on n’en fait plus depuis longtemps : oubliez les grosses bastons, les super-héros, les robots géants, les aliens très très méchants. Le film tient sur une base scientifique solide (le physicien Kip Thorne a activement participé à la réalisation du long métrage), et dans le genre « films sérieux », en appelle à quelques-uns de ses plus glorieux prédécesseurs, « Contact » et « 2001, l’odyssée de l’espace » en tête. Premier défaut qui découle de ce sérieux scientifique : le film ne sait pas s’y tenir tout du long. C’est bien beau de vouloir représenter un trou noir le plus fidèlement possible (encore qu’il semblerait qu’on puisse trouver à y redire), mais quand on laisse de côté les forces de gravitation pour permettre à un vaisseau d’y pénétrer, on ne plus prétendre à un sans faute scientifique… Soit, il faut faire avancer le scénario alors passons. Car malgré cet écueil, il faut bien avouer que le film sait faire naître ce fameux « sense of wonder » cher aux amateurs de SF dont je fais partie. Et au vu du résultat, on pourrait sans peine croire qu’Arthur C. Clarke en personne, si tant est qu’il soit encore parmi nous, est à l’origine du scénario. C’est dire qu’un amateur de SF en prend plein les mirettes.
Puisqu’il faut bien citer les autres défauts, je me dois de regretter que les personnages n’aient pas été un peu plus travaillés. Il y a un certain manque de profondeur à ce niveau, puisque ceux-ci ne font essentiellement que rester « fonctionnels » pour faire avancer le scénario. Alors bien sûr, ils ont leurs failles, leurs défauts (rien que du très classique là-dedans), mais rien de transcendant, d’où une certaine froideur générale. Heureusement, pour le personnage principal, Joseph Cooper, Nolan a fait appel à un monstre : Matthew McConaughey. Cet acteur, longtemps cantonné aux rôles de beau gosse, explose depuis quelques années dans des rôles variés qui lui permettent de montrer tout son talent (« Mud », « Dallas Buyers Club », « True Detective »…). Ce n’est pas « Interstellar » qui lui demandera le plus de travail d’acteur, mais il faut constater qu’il dévore littéralement l’écran, éclipsant tous les autres au passage. McConaughey est beau, a une vraie gueule, et est bigrement charismatique. Il le démontre en magnifiant certaines scènes qui pourraient passer pour anodines, tout en étant parfaitement juste dans les scènes d’émotion.
Autre défaut assez gênant : la longueur du film, 2h50. je ne suis pas sûr que cela se justifie totalement. L’intro avant le départ dans l’espace est longue (nécessaire aussi puisqu’elle permet à Nolan de placer des pions importants mais tout de même), à tel point que certains passages auraient peut-être mérité quelques coups de cisailles, surtout s’il s’agit de s’intéresser à des personnages qui sont littéralement jetés à la poubelle en fin de long métrage… De même, une fois l’intrigue réellement lancée, certaines longueurs persistent. Disons pour faire passer la pilule qu’on en a pour notre argent. Dommage également que le film soit si américano-centré : les astronautes sont tous américains, le projet de voyage semble être du seul fait de la Nasa.
Mais alors, « Interstellar », c’est bien ou pas ? Je dirais que tout dépend du public. Soyons clair, pour les fans de SF, c’est tout simplement un passage obligé. Franchement, un film dans lequel on parle sans détour de trous noirs, de forces et de lentilles gravitationnelles, d’effets de marée, de distortions temporelles, et autres joyeusetés liées à la relativité, ça fait vibrer mon petit coeur d’astrophysicien en herbe ! Pour le grand public, c’est plus discutable, entre une intrigue résolument SF, avec certaines théories scientifiques qui, bien qu’expliquées rapidement, peuvent dérouter les néophytes, il y a de quoi être perdu. Mais il faut tout de même compter sur un vrai souffle qui parcourt le film, la belle maîtrise de Nolan à la caméra (qui certes a tendance à recycler ses méthodes : intrigues parallèles, récit éclaté, etc…), entre trouvailles que je ne dévoilerai pas ici et hommages appuyés à ses ancêtres (« 2001, l’odyssée de l’espace » en tête avec ces passages planants dans l’espace sur une musique douce, l’occasion de souligner la partition de l’increvable Hans Zimmer qui fait du Hans Zimmer efficace mais qui sait aussi faire preuve de sensibilité), une vraie identité visuelle (le robot TARS, le vaisseau Endurance) qui va au-delà des effets spéciaux au demeurant très réussis et des thèmes universels.
« Interstellar » est donc une vraie et grande aventure spatiale comme on n’en avait pas vu depuis longtemps, ambitieuse dans sa réalisation comme dans ses concepts ou ses messages véhiculés (« Gravity », aussi cher soit-il à mon coeur, ne peut prétendre à la même ambition), un voyage dans l’espace qui fait rêver, tout simplement. Comme j’aimerais que cette SF revienne sur le devant de l’écran, elle qui s’est faite éclipsée par trop de SF spatiale bas de gamme… Alors non « Interstellar » n’est pas un chef d’oeuvre, oui le film à ses défauts, oui il ne réussit pas tout ce qu’il tente, mais pour les efforts qu’il déploie, les défauts méritent bien d’être éclipsés. J’ai vu (je ne sais plus où) que le film avait été qualifié de « blockbuster d’auteur ». Je ne saurais mieux dire, car c’est clairement ce qu’il est, profond et divertissant à la fois, avec le risque de ne plaire ni à ceux qui attendent un blockbuster de plus, ni à ceux qui recherchent un vrai film d’auteur… Un risque de plus que Nolan a pris le parti de courir, et je suis prêt à courir avec lui.
Chronique écrite dans le cadre du challenge « RVLF » de Lune, parce que bon, tout est relatif mais quand même… 😉
Ben ben, j’irai alors.
Tu peux, ça vaut vraiment le détour.
« un voyage dans l’espace qui fait rêver, tout simplement. Comme j’aimerais que cette SF revienne sur le devant de l’écran »
Comme on en discutait sur Twitter à l’instant : oui mille fois oui. J’espère que ce film va suffisamment marcher pour donner envie à d’autres de se lancer dans l’aventure du space opera merveilleux.
Je me demande si le grand public ne va pas être davantage attiré par l’aspect postapo, qui est fort à la mode en ce moment. Du coup je pense qu’il a une chance, mais je crains qu’on perde les gens dans le trou noir 😀
C’est sûr qu’un film sur l’espace, blindé de concepts scientifiques parfois étranges, avec des réflexions sur le temps, l’espace et le devenir de l’humanité, ne fait peut-être pas le poids de nos jours face à un film avec une jolie adolescente qui sait imiter les oiseaux et tirer à l’arc. C’est bien dommage…
Espérons que le vent tourne, j’aimerais vraiment revoir la SF du genre d’Interstellar plus fréquemment au cinéma.
La critique de Pierre Murat dans Télérama (ils sont divisés sur le sujet) – et d’autres – m’ont très largement dissuadé d’y aller. Je pense que ce n’est pas la SF telle que je l’aime tout simplement.
Arf, dommage, c’est pourtant tellement supérieur à la SF bas de gamme qu’on nous sert sur grand écran ces derniers temps… Les goûts et les couleurs… 😉
Après quelques jours de recul (je l’ai vu en avant-première il y a une dizaine de jours) les défauts l’emportent sur les qualités pour moi. C’est un peu contrariant parce que je suis plutôt pro-Nolan (j’adore Following, Memento, le Prestige et Inception) mais ses tics récurrents (montage parallèle, personnages et dialogues fonctionnels, mindfuck, musique pompière…) commencent à me gaver. Un exemple : lors de la discussion avec le réalisateur avant la projection, celui-ci a été limite tête à claque, il a refusé de répondre à pratiquement toutes les questions qu’on lui posaient pour conserver le « mystère » du film. Ok… Sauf que personnellement je n’ai pas trouvé Interstellar mystérieux ni énigmatique. La seule surprise c’est un acteur A+ qui apparaît au milieu du métrage alors que son nom n’est pas sur l’affiche…. Ces poses affectées commencent à tourner à vide ou bien ça ne marche plus avec moi…
C’est sûr que sa réaction est un peu limite, mais ça part de la volonté de laisser la surprise aux spectateurs. Non pas qu’il y ait UNE seule surprise mais plutôt que, comme je le dis en début d’article, il me semble mieux de ne rien savoir avant d’aller le voir (hormis le pitch). Mais bon, à ce moment-là, ça ne lui sert à rien de venir aux avant-premières…
Maintenant sur le film en lui-même, c’est pour moi l’inverse, les qualités l’emportent sur les défauts, cette impression d’avoir vécu une grande aventure reste persistante.
Rah, j’hésite, j’hésite.
« Soyons clair, pour les fans de SF, c’est tout simplement un passage obligé. » : pour tous les fans de SF ou pour tous les fans de hard-SF ?
(au passage, si ce n’est toujours pas fait, je radote mais il faut vraiment que tu vois « Dallas Buyers Club »)
Hard-SF, oui un peu bien sûr, mais pas tant que ça. Ça reste un gros film hollywoodien, il ne faudrait pas paumer le grand public non plus !^^
Mais la science est au coeur du récit, quand bien même le film la fait taire quand ça l’arrange. C’est de la fiction, pas un documentaire… 😉
sense of wonder, toutafé 🙂 Et que c’est beau à voir !
Oui, je voudrais bien voir ce genre de choses plus souvent au cinéma.
Et je n’imagine même pas la splendeur que ce doit être sur un écran Imax !
Je te rejoint dans beaucoup de chose dans ta critique. J’ai adoré le coté réaliste des voyages dans l’espace, j’ai tiqué pour certains passages plus du tout crédibles, j’ai pas trop accroché à la fin et son passage dans le trou noir, mais il faut faire l’effort de ce détacher de ce coté très scientifique et crédible du début du voyage, pour se laisser aller dans le coté fiction du film en seconde partie, qui n’a plus rien de scientifique. J’ai adoré le film mais il est vrai que ce n’est pas forcément pour tout le monde. Je suis partie le revoir une seconde fois avec mes parents, mon père très scientifique, qui connait beaucoup la physique quantique, qui n’a pas arrêté de souligner les points très crédibles et les points plus « farfelus », (mon père n’ayant pas trop d’imagination, et restant très très scientifique), mais il a apprécié énormément le film, il a été impressionner sur le plan visuel. Ma mère qui elle n’a pas beaucoup d’intérêt pour la science, et qui a eu plus de mal à comprendre les différentes étapes du voyage, me posant souvent des questions, ne sachant plus qui est ou, les effets du trou noir sur le temps, le trou de ver etc, elle ne connait pas trop ses notions, mais pourtant ça ne l’a pas empêché d’apprécier beaucoup le film!
C’est ça, comme tu le dis il y a des problèmes avec la rigueur scientifique, j’en ai vu certains (d’autres m’ont sans doute échappé), et pourtant ça ne m’a pas empêché de vivre un grand et beau voyage spatial. Le sense of wonder typiquement SF l’a emporté sur l’analyse pure à laquelle très peu de films résistent d’ailleurs…
C’e’st pas le film du siècle mais on passe un très bon moment (tu as bien pointé du doigt les défauts, à savoir la 1ère partie qui se traine et les incohérences scientifiques qu’il faut vite oublier). Faut que je réécoute un peu la musique (menfin HZ qui fait du HZ ça me parait un très bon résumé), mais elle n’est pas encore sortie (ou sort cette semaine, je sais plus…)
Un film dont je pense ne retenir que les points positifs à la longue. Et c’est tant mieux. De la SF sérieuse, de beaux moments dans l’espace, des scènes marquantes (Cooper qui regarde les vidéos de ses enfants ou cette incroyable scène d’amarrage en rotation, énorme !), tout ce qu’il faut pour passer un bon moment si on ferme les yeux sur les incohérences qui traînent.
Quant à la musique, elle est maintenant dispo sur Spotify (ou à l’achat bien sûr), et je dois bien avouer qu’elle a un petit quelque chose de tout à fait accrocheur. Zimmer y apporté une touche tout à fait particulière avec les orgues, et fait preuve de belle subtilité (sans s’arrêter de jouer les pompiers sur les « grosses » scènes, mais j’aime aussi, dommage que la déjà fameuse musique de la scène d’amarrage ne soit pas présente telle qu’elle est dans le film, mais à ce que j’ai compris, Hans Zimmer va la mettre à disposition gratuitement… 😉 ).
Je suis assez d’accord avec toi… C’est ambitieux… Beaucoup de bonnes choses…. Mais pas non plus un film qui change une vie. (Je viens de commenter chez Vert, j’ai l’impression de me répéter…. ^^) Enfin si tous les films américains à gros budget étaient de ce niveau-là, je sortirai moins souvent du cinéma en me disant « Heureusement qu’il y avait de l’humour/un robot extraterrestre/un reptile géant »!! 🙂
Ah mais c’est sûr que si tous les blockbusters étaient de ce niveau, ce serait le bonheur ! J’en veux tous les jours des films comme ça !
Bravo pour ta chronique quasi-sans-spoil ! Elle ne déflore rien. Par contre, je ne suis pas sûr de pouvoir en faire autant avec mon commentaire (lecteur averti).
J’ai été tellement absorbé par cette aventure que j’ai eu l’impression de la vivre aux côtés du héros. Si bien que, lorsque j’ai repris ma bagnole en sortant du cinéma, je me suis demandé si mon voyage avait duré 20 ans ou quelques heures.
Écoeuré par les productions type michael-bayenne, j’attendais ce film comme le messie. Enfin de la SF comme je l’aime, surprenante !
Et puis, l’air de rien, j’ai trouvé qu’il proposait un message original. Certes, les post-apo ont la cote, ainsi que les thrillers écologiques alarmants. Mais, selon moi, la plupart de ces oeuvres concluent sur « un retour à la terre ». Ce sont des histoires qui évoquent les désastres de la technologie, de la mégalomanie de l’homme. Du coup, la morale se limite souvent à : l’humain devrait retourner à sa juste place, celle d’un animal parmi les autres.
Mais dans « Interstellar », l’homme n’est pas un laboureur, c’est un pionnier, un colonisateur. Il n’est pas là pour protéger la planète ou panser les blessures de Gaïa. Il existe pour « aller plus loin », s’élever de sa petite condition terrestre et survivre.
J’adorais déjà Matthew McConaughey dans True Détective, Mud ou encore dans sa brève apparition de Wolf of Wall Street. Il m’a pas déçu ici non plus. Un acteur qui a réussi à s’extraire de sa belle petite image lisse, loin des conventions (comme Di Caprio dans le fond).
Du coup, je plussoie ton avis. Un film à voir !
Content de voir que tu as apprécié !
L’avenir de l’homme est dans les étoiles, c’est un peu contraire à l’air du temps (quoique les aventures Rosetta/Philae semblent avoir réveillé quelques consciences, reste à savoir si ce n’est pas qu’un coup sans lendemain, si commun à notre époque réglée sur un temps médiatique qui va toujours plus vite), mais c’est un message que j’aime bien. Le film est souvent qualifié d’optimiste. Certes, d’un certain point de vue, mais au vu de la fin on peut aussi deviner que la Terre n’est plus (ou sur le point de l’être) qu’un vaste cimetière… C’est un débat intéressant.
Quant à McConaughey, c’est un sacré revirement depuis quelque temps pour cet acteur qui semblait condamner aux comédies romantiques sans grand intérêt ! Il faut que je vois Mud et Dallas Buyer’s Club et j’aurais vu ses principales dernières apparitions, toutes marquantes a priori. Un acteur bluffant, tout comme Di Caprio (que j’adore vraiment) comme tu le soulignes.
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