L’âme des horloges, de David Mitchell

Posted on 18 juin 2018
Le Prix Planète SF a cet avantage qu’il « force » parfois les membres du jury à lire des parutions éligibles, lectures maintes fois repoussées et qui auraient pu l’être encore longtemps sans la fameuse deadline du Prix. Et donc, depuis le temps que je voulais lire du David Mitchell sans jamais franchir le pas, je m’y suis enfin mis avec son dernier roman en date, « L’âme des horloges ». Grand bien m’en a pris.

 

Quatrième de couverture :

1984. Holly Sykes, adolescente, s’enfuit de chez elle. Quand une vieille dame mystérieuse lui offre du thé, elle ne sait pas dans quoi elle s’engage. Malgré elle, Holly devient la gardienne du secret des Horlogers, et leur protectrice contre d’autres Immortels : les Anachorètes. Mais quarante ans plus tard, c’est pour sa propre survie que Holly doit percer le mystère de cette étrange rencontre…

 

Un merveilleux labyrinthe

Comment décrire ce roman ? Ceux qui connaissent le style de David Mitchell ne seront pas dépaysés avec ce roman puisqu’il reste fidèle à ce qui a fait sa réputation (notamment avec « Cartographie des nuages »/« Cloud atlas » et son adaptation cinématographique), à savoir plusieurs parties successives sur des intervalles de temps et des personnages différents. Bien évidemment, pour former un roman, ces morceaux narratifs se font écho, notamment à travers la vie de Holly Sykes, incontestablement le personnage phare du roman même si elle ne se trouve pas toujours au premier plan.

On a donc droit à l’adolescence de Holly Sykes alors qu’elle fugue du domicile familial après une dispute avec sa mère en pleine époque thatcherienne (1984), à un morceau décisif de la vie du jeune, riche, cynique et ambitieux étudiant Hugo Lamb (un joli nom à contre-emploi puisqu’il n’a rien d’un agneau innocent) autour du passage à l’année 1992, au choix cornélien qui s’impose à Ed Brubeck, reporter de guerre, entre priorité familiale et intensité professionnelle en 2004, à quelques années de la vie de Crispin Hershey (entre 2015 et 2020), écrivain en quête perpétuelle d’une reconnaissance qu’il peine à retrouver depuis son premier roman, à une guerre souterraine que se livrent deux sociétés occultes en 2025, puis à la fin de la vie d’une femme et peut-être de la civilisation entière en 2043.

David Mitchell n’hésite pas à mélanger les genres, passant du roman social au fantastique, de l’autobiographie (la partie sur Crispin Hershey ne peut que s’être inspirée du vécu de l’auteur) à la funeste anticipation. Le tout avec un soin apporté à ses personnages qui frôle la perfection. Le pari n’était pas gagné d’avance, tant l’attachement du lecteur au personnage qu’il suit aurait pu se muer en déception lorsqu’il débute une nouvelle partie sur un autre personnage… qui au final se retrouve tout aussi passionnant ! Pari réussi donc, d’autant que le contexte de chaque partie est soigné et respire l’authenticité, de la période thatcherienne à la vie mouvementée d’un écrivain de déplaçant de salons en conventions littéraires, en passant par la vie de riches étudiants anglais ou bien les dangers (et les traumatismes) qui parsèment la vie d’un reporter de guerre en Irak durant la Seconde Guerre du Golfe. Le roman se permet même de s’étendre sur une période plus vaste que les seuls marqueurs temporels de ses différentes parties. Encore une autre réussite à mettre au crédit de Mitchell.

Le récit est traversé par quelques éléments fantastiques, de simples détails (qui n’en sont pourtant pas) qui finissent tous par trouver une explication lorsque David Mitchell finit par réunir tous les fils narratifs dispersés ici ou là. Aucune faille de ce côté-là. L’élément fantastique est donc important, puisque c’est lui qui est au cœur du roman même s’il n’en constitue pas l’intérêt principal. Car la grande réussite du texte, ce sont encore une fois ses personnages, crédibles, attachants, misérables, détestables, touchants.

Certains pourraient arguer que ces différents récits plus ou moins détachés ne forment qu’une trame un peu trop lâche pour être considérée comme un véritable roman. C’est peut-être vrai formellement mais sur le fond « L’âme des horloges » est un modèle de construction narrative et forme un vrai tout, avec un début et un fin, avec cette Holly Sykes ballottée par une vie qui ne l’aura que peu épargnée et qui pourtant a toujours su trouver la force d’avancer. Jusqu’à une fin mélancolique, superbement triste mais belle malgré tout, et qui fait relativiser l’importance de la discrète mais très sérieuse guerre menée par des êtres plus ou moins occultes.

Ils sont rares les romans de presque 900 pages qui me font dire que j’aurais bien aimé prolonger de quelques centaines supplémentaires. « L’âme des horloges », d’une grande richesse, à la construction brillante et à l’écriture qui ne l’est pas moins, est de ceux-là. La marque des grands. Ne pas lire ce roman est un crime contre la littérature. Sublime de bout en bout !

 

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