Blues pour Irontown, de John Varley

Posted on 11 mars 2019
Ho, un nouveau John Varley ! Voilà un auteur, parmi les grands de la SF actuelle (mais pas celui qui publie le plus…), dont ce que j’avais lu m’avait bien plu. C’est donc avec une joie non dissimulée que je me suis replongé dans la prose de l’auteur, mêlant humour et « grosse » SF bien velue.

 

Quatrième de couverture :

Christopher Bach était policier lors de la Grande Panne, ce jour où le Calculateur central, qui contrôle tous les systèmes de survie sur Luna, a connu une défaillance fatale. La vie de Chris a alors irrémédiablement basculé, et il essaie désormais d’être détective privé. Assisté de son chien cybernétiquement augmenté, Sherlock, il tente de résoudre les quelques missions qu’on lui confie en imitant les héros durs à cuire qui peuplent les livres et films noirs qu’il adore. 
Lorsqu’une femme entre dans son bureau et prétend avoir été infectée volontairement par une lèpre incurable, Chris est tout disposé à l’aider à retrouver celui qui l’a contaminée. Mais il va vite déchanter en comprenant que son enquête doit le mener là où personne n’a réellement envie d’aller de son plein gré : à Irontown… 

Blues pour Irontown est un mélange détonant de roman noir et de science-fiction. Situé dans le même univers que les précédents ouvrages de l’auteur, notamment Gens de la Lune et Le Système Valentine, parus chez Denoël, il marque le retour, tant attendu, de John Varley à son meilleur.

 

La Lune en roman noir

Oui, John Varley est un grand nom de la SF. Détenteur de, entre autres, excusez du peu, trois Prix Hugo, deux Nebula et dix (!!) Prix Locus, on peut sans discussion classer l’auteur parmi les gens d’importance de la SF contemporaine. Et même s’il publie relativement peu (un roman tous les deux à quatre ans en moyenne ces dernières années, avec quelques trous d’air ici ou là), une nouvelle parution de Varley est toujours un évènement. Sauf qu’en France, sorti du cercle de « ceux qui savent », l’auteur est méconnu, pour dire le moins. Il faut dire qu’après avoir été assez suivi par l’édition francophone à la fin des années 70 – début des années 80, son dernier roman inédit paru chez nous date de 2003, et avant lui, de 1994… Il faut donc saluer son retour sur les étals de nos libraires.

« Blues pour Irontown » signe d’ailleurs le retour de John Varley à son cycle des « Huit mondes », un cycle (constitué de quelques romans et de nombreuses nouvelles) assez peu cadré (dont font partie « Le canal Ophite » et certaines des nouvelles du recueil « Persistance de la vision » (lisez le somptueux texte éponyme !)), censé décrire une histoire du futur de l’humanité. Une histoire non datée, que l’auteur avoue n’avoir jamais eu le désir de situer chronologiquement, et qui souffre parfois, au gré des récits, de quelques soucis de cohérence interne. Un cycle assez lâche donc, ce qui n’empêche pas certains des textes qui le constituent d’être de vrais grands textes importants de la SF. L’évènement le plus important de ce futur imaginaire (ou pas, l’avenir nous le dira…) est l’invasion de la Terre par des extraterrestres aux motivations inconnues. Une invasion qui a vu l’espèce humaine au bord de l’extinction fuir la Terre pour se réfugier sur, du moins au départ, huit mondes. Le plus important d’entre eux est la Lune, et c’est là que se déroule « Blues pour Irontown ». Que l’on se rassure, le roman ne nécessite pas de connaissances préalables du cycle des « Huit mondes », l’auteur ayant été suffisamment malin pour ne pas exiger du lecteur d’avoir en tête un roman comme « Gens de la Lune », écrit en 1992… Quoique, mais j’y reviendrai…

La superbe couverture de Alain Brion nous donne un indice sur le ton du roman. Oui, le récit appartient au genre SF, il est situé dans un futur plus ou moins lointain dans lequel l’humanité a colonisé la Lune après avoir fui la Terre, mais c’est bien à un roman noir auquel nous avons à faire, avec tous les tropes rattachés à ce style de littérature. Ainsi, le personnage principal, Christopher Bach, est un détective privé, grand amateur de films noirs du XXème siècle et vivant avec son chien CCA (canidé cybernétiquement augmenté) nommé Sherlock (un saint-hubert, le genre de gros chien avec une bonne grosse bouille) dans un quartier reproduisant une ville des années trente. Le roman débute avec une femme qui aurait pu être fatale si elle n’avait pas été victime d’une contamination par un virus qui l’a défigurée. Une femme mystérieuse, un détective qui va s’intéresser à son cas, pas de doute, on nage en plein roman noir.

Pour autant, l’intrigue prend son temps avant de démarrer. Car John Varley digresse régulièrement pour expliquer au lecteur la société lunaire, son histoire, mais aussi, tout en maintenant un certain suspense car c’est, du moins en partie, ce qui est au coeur du récit, le passé de Christopher Bach. Digresser sur un roman de 250 pages avant de faire avancer son intrigue, cela peut paraître étonnant, voire même un brin abusé, et pourtant jamais l’ennui ne pointe le bout de son nez. John Varley est un conteur de talent et sait maintenir l’attention du lecteur. Et si ce n’est pas avec Christopher Bach, c’est avec Sherlock qui a droit à ses propres chapitres, très drôles (avec jeux de mots à la pelle), empreints d’une certaine naïveté très canidée (Sherlock est très premier degré en fait), pleins d’un attachement sans borne de l’animal envers son maître et offrant un changement de perception du monde assez radical mais aussi très touchant. De purs moments de bonheur.

Cependant, je ne peux m’empêcher de ressentir comme une certaine « paresse » de l’auteur. En effet, le passé de Christopher Bach et un évènement traumatique sur lequel le reste de sa vie s’est basé, sont issus de faits déjà abondamment décrits dans « Gens de la Lune ». Comme je le disais plus haut, la lecture de ce roman n’est pas une obligation mais j’ai tout de même senti qu’elle pouvait apporter un plus à « Blues pour Irontown » (même si tout ce qui est nécessaire à sa compréhension y est présent) puisqu’on y croise certains personnages de « Gens de la Lune » et que ce fameux évènement majeur, nommé la « Grande Panne », bien que décrit d’un point de vue différent, est également au coeur de l’intrigue du roman paru en 1992. Du coup, il y a comme un petit manque qui apparaît ici ou là. Et ce que j’appelle (sans doute un peu trop sévèrement) la paresse de l’auteur découle de ça : la société décrite dans « Blues pour Irontown » est peu ou prou la même que celle présentée dans « Gens de la Lune » (qui se déroule quelques années avant), Varley recyclant finalement les idées qu’il avait déjà couchées sur papier quelques années auparavant.

Ceci dit, et malgré une intrigue qui tarde à démarrer et qui finalement (et logiquement sur un roman de 250 pages qui prend son temps) est assez minimale, j’ai pris beaucoup de plaisir à la lecture de ce récit qui ne manque pas d’intérêt et traduit avec talent par Patrick Marcel. On ne pourra certes pas le qualifier de « grand » roman (dans tous les sens du terme), mais le talent de John Varley fait son office : c’est à la fois drôle, enlevé, fascinant (la société lunaire, haute en couleur, où tout ou presque est permis, et son histoire), jamais ennuyeux, toujours agréable, au carrefour entre roman noir et vrai roman de SF (et cette fin…), et se permettant ici ou là, l’air de rien au coeur d’un roman de pur divertissement, quelques réflexions bien senties. À lire !

 

Lire aussi les avis de Gromovar, Hilaire Alrune, Victor Montag, Sylvain Bonnet, Un bouquin sinon rien, Yuyine, Nicolas, Yogo, Mariejuliet.

 

  
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