Rosewater, de Tade Thompson

Posted on 9 mai 2019
Nouveau venu sur la scène de l’édition francophone, Tade Thompson déboule pourtant avec une actualité chargée, à savoir la parution quasi simultanée d’un roman, « Rosewater » (chez J’ai Lu dans la collection « Nouveaux Millénaires ») et d’une novella, « les meurtres de Molly SOuthbourne » (chez Le Bélial’ dans la collection « Une Heure-Lumière »). Penchons-nous sur le premier des deux.

 

Quatrième de couverture :

Nigeria, 2066. La ville de Rosewater a poussé comme un champignon autour d’un biodôme extraterrestre mystérieusement apparu quelques années plus tôt et qui, depuis, suscite de nombreuses interrogations parmi la communauté internationale. Les habitants de Rosewater, eux, se fichent bien du comment et du pourquoi, tant que le dôme continue de dispenser ses guérisons miraculeuses lors de son ouverture annuelle. Karoo vit dans cette cour des miracles. Officiellement, il travaille comme agent de répression de la cyberfraude, mais il est aussi un membre du S45, une officine d’État chargée de missions plus ou moins discrètes qui l’a recruté en raison de ses pouvoirs psychiques, sans doute acquis au contact du dôme. Mais aujourd’hui, ses talents font de lui une cible…

 

Rosewater, le doughnut africain

Tade Thompson est un auteur britannique né à Londres de parents yorubas et qui a vécu plus d’une vingtaine d’années au Nigéria. Revenu en Angleterre mais n’oubliant pas ses origines nigérianes, il a décidé d’y placer son deuxième roman, écrit en 2016. Rosewater est le nom d’une ville nigériane qui a poussé autour d’un dôme (d’où sa forme de doughnut) créé par une mystérieuse forme de vie extraterrestre quelques années avant le début du roman. Un dôme bien étrange puisque rien n’y entre ni n’en sort. Sauf une fois par an, lors de « l’Ouverture » qui voit, à la manière d’un pèlerinage à Lourdes, se presser de nombreux malades. En effet les guérisons miraculeuses y sont alors légion. C’est aussi un risque, car il y a quelques « ratés », certains morts reviennent même à la vie, mais une vie inanimée puisque l’esprit a bel et bien disparu. Pour ce qui est du pays en lui-même, tout a changé mais rien n’a changé. La technologie a beaucoup avancé (le présent du roman se passe en 2066) mais une partie non négligeable de la population est pauvre, l’insécurité y est galopante, les superstitions toujours présentes.

Karoo, le personnage principal du roman, est un réceptif, c’est à dire qu’il utilise la xénosphère, une sorte de Matrice cyberpunk à la sauce biologique alien qui existe par la vertu de spores diffusés par ces extraterrestres invisibles (une Matrice biologique donc, accessible sans connexion particulière puisque disponible « over the air »), pour lire les pensées des gens qui l’entourent, mais aussi pour « sentir » des choses. Une capacité qui va rapidement lui permettre de tirer son épingle du jeu durant sa jeunesse. Une jeunesse durant laquelle il jouera les « dénicheurs », chargé de retrouver diverses choses pour ses clients, en ne pensant essentiellement qu’à son bien-être personnel sans se soucier des victimes collatérales… Mais son « pouvoir » attire bien des convoitises et le S45, un service secret nigérian, ne va pas manquer de s’intéresser à notre homme pour le recruter dans un but bien précis, politique bien sûr. Et il finira donc par oeuvrer dans l’espionnage, les interrogatoires, la recherche d’individus ou de d’objets importants, le tout au service d’un gouvernement dont il se fiche à peu près mais qui paie bien.

L’évolution de Karoo est le point fort du roman. Personnage complexe et torturé par un passé qui a laissé des traces, il se dévoile petit à petit par le biais d’une narration qui saute d’époque en époque. Ainsi, partant de 2066, nous passons en 2041, puis en 2055 pour revenir en 2066, etc… Faisant avancer l’intrigue tout autant que nous permettant de découvrir l’univers imaginé par Tade Thompson mais aussi ce qu’a fait (pas que de belles choses…) et ce qui a fait Karoo, cette narration temporellement éclatée est un point d’intérêt mais aussi un point faible, les chapitres étant souvent trop courts pour vraiment approfondir les situations décrites. Les allers-retours sont donc nombreux et un brin déstabilisants, voire provoquant carrément une certaine confusion.

Pour autant, cette Afrique futuriste et tout ce qui tourne autour, notamment ce qui relève totalement de la SF, permettent de ne pas décrocher. Et il est vrai qu’une fois lancé, ce roman au premier abord pas très épais (moins de 400 pages mais étonnamment écrites en tout petit, on doit presque tourner autour des 500 pages avec une police d’écriture à peu près normale…) ne se laisse pas oublier facilement. Que se passe-t-il avec tous les réceptifs qui semblent mourir les uns après les autres ? Qui sont vraiment ces extraterrestres ? Quel est leur but ? A quoi sert vraiment la xénosphère ? Pour toutes ces questions, Tade Thompson a une réponse claire mais qu’il ne mettra sous le nez du lecteur qu’en plusieurs morceaux, d’où là encore l’intérêt de cette narration temporellement mouvante. Les intrigues avancent de concert, et certaines actions et/ou révélations, bien qu’espacées dans le temps, se répondent les unes aux autres et se révèlent même parfois étrangement similaires (notamment entre 2066 et 2055). En poussant la logique au maximum, on pourrait même presque aller jusqu’à dire que l’intrigue principale n’est pas celle que l’on croit, c’est à dire pas celle de 2066…

Avec tout ça, il est bien dommage que parfois le roman s’avère un peu trop déconcertant, que cela soit dû à une volonté de ne pas être totalement démonstratif, conduisant à certaines résolutions un peu obscures, ou bien à des éléments « détonants » dans ce décor SF, quand bien même ils puissent être justifiés scénaristiquement (pardonnez-moi de ne pas en dire plus, mais ce serait spoiler…). Et c’est bien dommage parce que le roman a de belles choses à offrir, parfois un peu gâchées par ces petits défauts pas bien méchants mais qui, accumulés, finissent par être un peu dérangeants.

Reste un sympathique début de trilogie, car oui, c’en est une. Mais il semble que les deux romans suivants s’intéresseront à des personnages différents, pour une trilogie tournant autour du dôme (à la manière du doughnut que forme Rosewater) plutôt qu’autour d’un ou plusieurs personnages dont les actions seraient étendues sur trois tomes. Ce roman possède donc sa propre conclusion, avec des enseignements que ne manqueront pas d’éclairer les romans à venir. A suivre donc.

 

Lire aussi les avis de Gromovar, Cédric.

 

  
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