Quitter les Monts d’Automne, de Émilie Querbalec

Posted on 2 juin 2022
Toujours fidèle à mon habitude d’être au top de l’actu, j’ai eu le plaisir de lire le deuxième roman paru de Émilie Querbalec, lui qui patientait sur ma PAL depuis trop longtemps. Après « Les oubliés d’Ushtâr » paru chez Nats Éditions en 2018, l’autrice a été propulsée sur le devant de la scène en publiant en 2020 « Quitter les Monts d’Automne » chez le mastodonte de l’imaginaire, j’ai nommé Albin Michel Imaginaire. Une mise en avant bien méritée, comme on va le voir.

 

Quatrième de couverture :

Recueillie par sa grand-mère après la mort de ses parents, la jeune Kaori vit dans les monts d’Automne où elle se destine à être conteuse. Sur Tasai, comme partout dans les mondes du Flux, l’écriture est interdite. Seule la tradition du « Dit » fait vivre la mémoire de l’humanité. Mais le Dit se refuse à Kaori et la jeune fille se voit dirigée vers une carrière de danseuse. Lorsque sa grand-mère meurt, Kaori hérite d’un rouleau de calligraphie, objet tabou par excellence, dont la seule détention pourrait lui valoir une condamnation à mort. Pour percer les secrets de cet objet, mais aussi le mystère qui entoure la disparition de ses parents, elle devra quitter les monts d’Automne et rejoindre la capitale. Sa quête de vérité la mènera encore plus loin, très loin de chez elle.

Débutant comme un roman initiatique d’inspiration japonaise, « Quitter les monts d’Automne » s’impose vite comme un récit d’aventure qui frappe d’abord par sa beauté et sa poésie, puis par sa cruauté et son érotisme subtil.

 

Vers l’infini et au-delà !

Celles et ceux qui aiment être surpris et découvrir un roman qui va bien au-delà de ce qu’il présente au départ vont être servis ! Car « Quitter les monts d’automne » est un roman d’une rare ampleur, sur le plan temporel comme géographique, alors qu’il se présente au début presque comme un roman d’apprentissage qui fleure bon la fantasy d’inspiration japonaise. Qu’on en juge : Kaori vit sur la planète Tasai, dans les Monts d’Automne, et rêve de devenir Conteuse, comme l’ont été sa mère et sa grand-mère avant elle. C’est d’ailleurs cette dernière qui élève Kaori depuis la mort de sa mère dans un incendie dont elle n’a gardé aucun souvenir. Les Conteuses sont des membres importants de la société de Tasai, planète sur laquelle l’écriture est interdite, la transmission orale revêtant donc une importance toute particulière. Or, le don du « Dit » ne semble pas s’éveiller en Kaori (un moment très attendu appelé le « Ravissement », tout un symbole), qui se voit donc contrainte d’en rester au seul statut de danseuse. La mort de sa grand-mère et la découverte d’un étrange tube qui ne s’ouvre qu’en sa présence et qui cache, sacrilège suprême, un rouleau de calligraphie, va la forcer à prendre la route vers la capitale de Tasia, puis bien plus loin encore, dans l’espace et le temps.

Les noms, les traditions, tout confère à donner au roman une ambiance japonisante qui est très réussie. On n’en attendait d’ailleurs pas moins d’Emilie Querbalec, autrice née au Japon et qui y a passé les premières années de sa vie. J’employais plus haut le mot « presque » pour dire qu’on n’était pas loin d’un roman de fantasy. Car en effet, si l’ambiance peut faire illusion, il n’est à aucun moment caché au lecteur que nous sommes bien dans un roman de science-fiction avec différentes planètes et des moyens pour voyager de l’une à l’autre (qui échappent à Kaori, au moins dans un premier temps), mais il est vrai que tout concourt (le côté « low-tech » de la planète Tasai étant un autre élément à prendre en compte) à donner cette impression.

Et puis Kaori avance dans sa quête, et les choses vont s’accélérer pour donner une ampleur tout à fait insoupçonnée au récit. C’est bien simple, sans dévoiler trop de choses, « Quitter les Monts d’Automne » (on ne pouvait sans doute pas trouver titre plus juste tant il s’agit littéralement de ça) s’inscrit pleinement dans le space-opera à grande échelle ! Surprenant donc, et tellement bien amené que le lecteur va de surprises en surprises avec un sense of wonder, sentiment très couru en SF, qui répond largement présent.

Car si l’échelle est vaste, les thématiques approchées par Emilie Querbalec le sont aussi : mémoire, transmission, contrôle sociétal, quête des origines qui va bien au-delà de la seule personne de Kaori. L’autrice utilise par ailleurs des technologies SF qui feraient rugir de plaisir n’importe quel féru de biotechnologies avancées… Mais là encore, je n’en dirai pas plus pour ne pas spoiler.

Une chose est très claire, et ce dès le début de la lecture du roman : « Quitter les Monts d’Automne » est superbement écrit, avec un style sensible et doux qui correspond sans doute très bien à une certaine « naïveté » de Kaori (au début de son cheminement en tout cas, les épreuves qu’elle affrontera, parfois très dures, vont forcément l’endurcir). La poésie parcourt le texte d’Emilie Querbalec, pour un résultat réellement enthousiasmant.

Et on se laisse donc emporter sur la route de Kaori, pour découvrir des merveilles insoupçonnées, résolument et radicalement SF même si la narratrice du récit, de par son origine d’une planète tenue à l’écart, nous fait voir toutes ces choses par leur facette presque magique. Nul doute qu’un Stephen Baxter ou un Peter Watts nous auraient présenté les choses bien différemment, mais c’est un parti pris qui correspond à la fois au personnage de Kaori et à l’écriture subtile et fine de l’autrice.

Vous l’aurez compris, j’ai été plutôt conquis par ce roman (illustré avec maestria par Manchu) qui, même s’il ne s’épargne pas quelques longueurs qui tendent à diluer un peu le rythme, parvient à proposer une voie (et une voix) à part, dans un secteur où il n’est pas forcément aisé de surprendre encore un lecteur un peu chevronné. Une belle découverte donc, qui incite fortement à suivre les prochaines parutions d’Emilie Querbalec. Ça tombe bien, ça approche : « Les chants de Nüying » est prévu pour le 31 août 2022, toujours Albin Michel Imaginaire. Rendez-vous est pris !

 

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