L’Histoire des Vikings comme si vous y étiez, de Vincent Boqueho

Posted on 22 janvier 2024
Une fois n’est pas coutume, on va se pencher sur de la non-fiction. Et sur les vikings plus précisément, avec un livre qui prend le parti du jeu de rôle pour plonger le lecteur au coeur de l’histoire viking (et plus généralement sur celle de la Scandinavie), en le mettant dans le peau d’un bon nombre de personnages (imaginaires ou parfaitement historiques) qui ont fait cette histoire.

 

Quatrième de couverture :

Avez-vous déjà rêvé d’embarquer dans une machine à remonter le temps pour vivre l’Histoire des Vikings ?
Dans ces pages vous serez successivement une jeune vierge sacrifiée au Dieu Soleil, un marchand négociant de la Scanie, une divinatrice connaissant le secret des runes, un paysan du Jutland embarquant pour l’Angleterre, un général de l’armée suédoise… Vous incarnerez Boiorix à la tête des Cimbres et des Teutons, Riourik le fondateur de la Russie, Ivar le Désossé, Sven à la Barbe Fourchue, Leif fils d’Erik le Rouge découvreur de l’Amérique, ou encore la princesse Gormflaith aux prises avec la géopolitique irlandaise…
Au gré de ces scènes de vie, vous parcourrez l’intégralité de la Scandinavie, depuis l’émergence d’une civilisation durant l’Antiquité jusqu’à son héritage contemporain.

 

Immersif mais quelques approximations

Vincent Boqueho n’en est pas à son coup d’essai dans sa manière de raconter l’Histoire puisqu’il avait déjà écrit auparavant d’autres « L’Histoire de… comme si vous y étiez », en l’occurrence sur la France et l’Egypte, et qu’il a récidivé depuis avec Rome. Il faut dire que le procédé est attirant puisqu’il propose au lecteur d’endosser le costume de différents personnages faisant partie de l’Histoire dont il est question, en s’adressant à lui par le vouvoiement. C’est immersif, bien conté, et le panorama historique offert est vaste : il ne se limite pas ici à la « stricte » période viking mais commence bien avant pour s’arrêter de nos jours, même si l’avant et l’après sont bien sûr plus succincts que la période qui donne son titre au livre. Une manière de comprendre ce qui a mené à la période viking et son héritage. Tous les voyants sont donc au vert.

Et nous voilà successivement dans la peau d’un homme à l’époque des premières grandes migrations indo-européennes vers 3000 ans avant J.C., puis d’une jeune vierge prête à être sacrifiée 1500 ans plus tard, puis d’une femme parmi les fondateurs du peuple Goth en Pologne, puis d’un jeune garçon chargé de récolter de l’ambre au bord de la Baltique, etc… C’est raconté sur un ton très moderne, léger, avec pas mal d’humour et plus d’une fois anachronique (volontairement), mais cela n’empêche pas l’auteur de balayer large au fil de son récit : sont abordés les problématiques climatiques, les échanges commerciaux, les croyances, etc… Tout ce qui permet, dans un premier temps, de cerner le pourquoi de l’avènement de la période viking, avec en plus cartes et photographies d’objets pour mieux visualiser de quoi on parle.

Puis on enchaîne sur Boiorix, roi des Cimbres qui voit, après quelques victoires, l’avènement de la suprématie romaine, vient ensuite une divinatrice danoise pratiquant les runes, des paysans migrants des peuples Angles puis Jutes qui abordent les côtes de l’Angleterre, puis Hengist qui finit par fonder, après moults batailles et alliances plus ou moins durables, le premier royaume anglo-saxon d’Angleterre. Et on en arrive enfin à la période viking proprement dite. Encore une fois, c’est bien fait : la petite histoire alimente la grande, et Vincent Boqueho parvient bien à donner une bonne vue d’ensemble même s’il faut bien dire qu’il n’est pas toujours simple de ne pas se perdre ici ou là dans les méandres de tous ces mouvements migratoires, guerriers ou politiques voire un peu tout ça à la fois, d’autant qu’il manque peut-être quelque part dans ce livre une frise chronologique pour mieux s’y retrouver.

Côté vikings, on aborde les Varègues originaires de Suède et les échanges guerriers et/ou commerciaux en zone slave, à partir de la « base » de Staraïa Ladoga (en bordure du lac Ladoga, dans l’actuelle Russie), les menant jusqu’à Byzance, les Danois qui envahissent l’Angleterre (avec bien sûr le sac du monastère de Lindisfarne, qui marque le début historique de la période viking en 793), les Norvégiens qui débarquent en sur les îles écossaises, etc… On plonge dans le quotidien d’une femme commerçante restée au Danemark dans un petit village qui deviendra une plaque tournante du commerce, au bord de l’empire de Charlemagne : Hedeby, puis on entre de plain-pied dans la période des razzias vikings en Europe, on observe la fondation de la dynastie Rus’ de Riourik, l’instauration de la loi danoise en Angleterre (Danelaw) par Ivar le Désossé fils de Ragnar Lodbrok, l’arrivée des Scandinaves en Islande, la naissance de la Normandie, la découverte de l’Amérique, la christianisation, l’unification des royaumes de Suède, de Norvège et du Danemark, etc…

Je ne vais pas tout détailler (on pourrait aussi parler de Harald à la Dent Bleue, de Sven à la Barbe Fourchue, de Harald à la Belle Chevelure…), ce serait bien trop long, mais il faut noter l’effort de l’auteur pour apporter dans chaque chapitre des notions complémentaires qui permettent au livre de couvrir un large spectre aussi bien sur le plan historique (sur lequel l’accent est clairement mis) que sur le plan culturel même si certaines notions sont assez rapidement survolées (la mythologie, le quotidien des vikings…). On notera un regard original sur quelques grands bouleversements (l’influence des femmes, plus ou moins direct, sur un certain nombre d’entre eux), et une volonté d’aller au-delà de la seule époque viking pour couvrir une bonne partie de l’histoire scandinave.

Tout cela est très vivant, du fait même du concept du livre, les personnages sont variés, parfois importants et historiques, parfois plus anecdotiques et spectateurs de l’Histoire, mais toujours ils apportent un éclairage intéressant. Au chapitre des regrets, il faut noter un niveau de langue parfois un peu léger (« ça va vous permettre », alors qu’un « cela vous permettra » aurait été plus approprié), et surtout, SURTOUT, quelques approximations qui ne devraient pas exister dans un livre sur l’Histoire, même s’il est bien évident qu’en donnant la parole à des personnages morts depuis plusieurs centaines d’années, il est difficile de ne pas transiger. Il n’empêche, considérer comme avérée (en la mettant en scène) la torture à « grand spectacle » de l’aigle de sang (quand bien même elle est rapportée dans une saga islandaise par les personnages mis en scène dans le chapitre correspondant, à savoir Ivar et le roi Ælle) ou bien l’utilisation pour la navigation d’une pierre de soleil, chose qui n’a jamais été prouvée, ça pose question. Pire encore, l’utilisation systématique du terme drakkar…. Je veux bien qu’on s’adresse au grand public et que ça simplifie les choses de reprendre des termes connus, mais utiliser « bateau viking » plutôt que « drakkar », ça n’aurait pas fait de mal et ça aurait permis de mettre de côté un terme inventé par les Romantiques au XIXe siècle qui ne devrait plus être utilisé aujourd’hui.

Autre problème, que la couverture dissimule mais pas la page de titre : l’Histoire des Vikings, avec un V majuscule, comme si les vikings étaient un peuple, alors qu’il s’agissait bien d’une activité (prendre la mer pour aller chercher des richesses). L’erreur de l’auteur est confirmée quand il dit « tous les Scandinaves vont continuer à s’entremêler dans les siècles à venir, formant en définitive un seul peuple et une seule civilisation : celle des Vikings. » C’est malheureux de voir ce genre d’approximations et même d’erreurs factuelles, et ça jette le trouble sur la crédibilité de l’ensemble sachant qu’en plus il n’y a pas en fin de volume de bibliographie pour connaître les sources de l’auteur…

Bon, au-delà de ça, le livre se lit très bien, et atteint son but. A chacun de voir ce qu’il est prêt à pardonner. On a donc presque 300 pages bien remplies et instructives à condition, peut-être, de savoir discerner les petits arrangements avec l’Histoire. C’est un peu problématique quand le but du livre est justement d’instruire le lecteur. Ces réserves mises à part, j’ai bien apprécié cette lecture très vivante, loin du style universitaire parfois trop pompeux qu’on trouve dans certains livres d’Histoire. Pas toujours très rigoureux donc, mais pour une première approche ça fait le boulot de manière plutôt efficace et immersive.

 

  
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