Les chants de la Terre lointaine, de Arthur C. Clarke

J’ai toujours eu un faible pour Arthur C. Clarke, un auteur qui savait user du « sense of wonder » (dans le sens vertigineux du terme) comme personne. Il faut dire que malgré un nombre finalement assez restreint de lectures de ses oeuvres, j’avais quand même tapé dans ce qui est souvent considéré comme ses chefs d’oeuvre (« Rendez-vous avec Rama », « Les enfants d’Icare », « 2001 l’odyssée de l’espace »), des statuts d’ailleurs bien mérités. Il était donc inévitable que je me frotte à d’autres romans moins côtés, pour diverses raisons. C’est le cas ici avec « Les chants de la Terre lointaine », écrit en 1986 et l’un des derniers romans que Clarke a écrit seul (puisque la suite de sa production, à quelques rares exceptions, est essentiellement constituée de collaborations).

 

Quatrième de couverture :

La Terre se meurt et les derniers représentants de l’espèce humaine prennent place à bord du Magellan pour un voyage de plusieurs centaines d’années. Au cours d’une escale sur une planète-océan colonisée longtemps auparavant par des vaisseaux-semeurs, l’équipage du Magellan rencontre des humains pour qui la Terre n’est déjà plus qu’un lointain souvenir, une légende.

 

Escale à Thalassa

« Les Chants de la Terre lointaine » a tout pour un être un nouveau monument de sense of wonder « à la Clarke« . Jugez plutôt. La Terre est morte, détruite par le soleil qui s’est transformé, à la suite d’une anomalie de neutrinos (anomalie connue au moment de la réaction du roman, et résolue depuis), en nova. Mais cet évènement pour le moins malheureux n’a pas pris l’humanité par surprise puisque celle-ci a eu le temps de voir venir la catastrophe. Elle a ainsi mis en place un programme d’essaimage vers des planètes lointaines supposément habitables. Tout d’abord sous forme de vaisseaux automatiques remplis d’embryons congelés, avec toute la technologie nécessaire pour les amener à maturation. Puis, progrès technologiques aidant, avec non plus des embryons mais de simples séquences ADN. Ces vaisseaux relativement lents étaient ensuite censés communiquer avec la Terre pour informer la planète-mère de l’évolution de leur colonisation. Et puis, peu de temps avant l’ultime catastrophe, l’humanité a découvert la poussée quantique, tirant parti de l’énergie du vide et permettant à des vaisseaux spatiaux beaucoup plus volumineux qu’avant (puisque débarrassés des impossibles contraintes de cargaisons massives de carburant et permettant donc de transporter des milliers de passagers, cryogénisés le temps d’arriver à destination) d’atteindre une fraction significative de la vitesse de la lumière. Et c’est ainsi que le vaisseau Magellan, témoin de la destruction de la Terre et en route vers la planète Sagan-2 (un voyage de plusieurs siècles)40, va devoir faire escale (pour réparer son bouclier endommagé) sur une planète anciennement colonisée par un vaisseau automatique mais dont l’humanité n’a plus eu de nouvelles depuis plusieurs centaines d’années, suite à ce qui a été supposé être un évènement catastrophique mettant fin à la colonie. Sauf que la colonie est toujours là, bien vivante, et menant son existence bien loin des préoccupations des derniers habitants de la Terre…

On le voit, tous les éléments sont en place pour un récit de science-fiction ou vertige et thématiques que le genre même a toujours eu l’habitude de mettre régulièrement en avant s’associent, mêlant hard-SF et questionnements humains, scientifiques, moraux. Sauf qu’Arthur C. Clarke n’a pas pris ce chemin, du moins pas totalement. Et c’est incontestablement ce qui le dessert. La rumeur dit qu’il a écrit ce livre en réaction à ceux qui critiquaient la froideur scientifique de ses oeuvres (un fait qu’il est d’ailleurs difficile de nier, mais l’intérêt de ses écrits se situe incontestablement ailleurs). « Les chants de la Terre lointaine » se révèle donc être une utopie confrontant deux colonies humaines, l’une vivant sur la planète Thalassa depuis quelques siècles et ayant développée une société qui lui est propre, l’autre venant de la Terre (détruite depuis) et constituée d’humains beaucoup plus vieux (chronologiquement parlant) que les habitants de Thalassa (grâce à la cryogénisation sur le vaisseau Magellan).

Un choc des cultures en quelque sorte mais que Clarke aborde sous un aspect bienveillant, presque chaleureux. Pas de conflit ici, la collaboration est fructueuse et uniquement jalonnée de quelques problèmes qui relèvent plus d’incidents de parcours que de soucis insurmontables. Le roman se déroule sur un rythme tranquille, mettant l’accent sur les personnages plutôt que sur le fond scientifique, un fait relativement inhabituel pour Clarke. Qu’on se rassure, l’auteur n’en oublie pas ses origines d’homme de science et quelques passages (par ailleurs passionnants) mettent en relief des éléments technico-scientifiques de la plus belle eau (usine de production de glace sur Thalassa, une planète massivement composée d’eau de mer, ascenseur spatial, le vaisseau Magellan, etc…), mais ce sont finalement des points de détail dans un roman à la narration un peu indolente et que le manque d’enjeux « dramatiques » fait parfois un peu frôler l’ennui.

Un ennui régulièrement effacé par des considérations historiques (l’histoire future de la Terre, bien détaillée), et surtout par de nombreuses thématiques finement abordées et posant de vraies belles questions (écologie, éthique, religion, évolution biologique, but du voyage du Magellan, choix de vie de son équipage, etc…), des thématiques que je ne détaillerai pas pour ne pas spoiler mais qui sont extrêmement intéressantes et pertinentes concernant un voyage sans retour de plusieurs siècles dans un radeau de sauvetage transportant les derniers survivants terriens mais également concernant une société ayant vécu et évolué en autarcie (avec bien sûr des conceptions différentes sur les plans humains, relationnels, de couples, etc…), et bien sûr sur la rencontre des deux partis. Il faut à cela ajouter une « confrontation » (là encore pas du tout sur une base conflictuelle), éventuellement romantique, entre des personnes issues des deux colonies avec donc des finalités radicalement différentes (y compris sur le plan temporel), posant quelques questions éthiques et morales tout à fait pertinentes et qui atteignent leur but : toucher le lecteur (à ce titre la conclusion du roman est une vraie réussite).

« Les chants de la Terre lointaine » est donc en demie-teinte, à intensité variable. On n’est certes pas ici dans un chef d’oeuvre de l’auteur, mais malgré tout le roman se lit très facilement, quand bien même on peut parfois avoir tendance à survoler certaines passages en pensant à autre chose… Mais ne crachons pas dans la soupe, le roman fait découvrir une facette intéressante et pas forcément attendue chez Arthur C. Clarke, ce qui en soit est une point d’intérêt justifiant une lecture que je ne regrette absolument pas d’avoir faite. Pas un grand coup de coeur donc, mais loin d’être inintéressant et encore tout à fait pertinent de nos jours.

 

Lire aussi les avis de Vincent Degrez, Blackwolf, Manu B, Xapur, Lael, Quand le tigre lit, Vil Faquin, Viinz, Stéphane Pons, Ludo, Clen.

Critique écrite dans le cadre des challenges « Summer Star Wars – Solo » de Lhisbei et « Summer Short Stories of SFFF, saison 5 » de Lutin82.

  

 

  
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