La forêt des mythagos, de Robert Holdstock

Posted on 11 juillet 2018
Il y a bien longtemps que l’envie de me plonger dans ce célèbre cycle de Robert Holdstock, auteur qui nous a quitté trop rapidement à l’âge de 61 ans (en 2009), me démangeait. Et pourtant, toujours j’ai repoussé. Peur de lire quelque chose de trop complexe, trop abstrait, trop inaccessible peut-être. Quelle erreur ! Car ce premier tome, celui par qui tout commence, est un pur chef d’oeuvre, sans discussion possible.

 

Quatrième de couverture :

Dans un coin perdu du Herefordshire s’étend le bois de Ryhope, vestige d’une ancienne forêt remontant à la dernière glaciation ; un bois tellement dense qu’il paraît impossible d’y pénétrer au-delà d’une certaine limite.
George Huxley, qui s’est établi avec sa famille à l’orée de Ryhope, est pour d’obscures raisons obsédé par ce bois, par l’idée d’explorer ses profondeurs ; une obsession qui le conduit à négliger sa femme et ses enfants.
Après sa mort, en 1946, ses deux fils se retrouvent à Ryhope où, grâce aux carnets qu’il a laissés, l’étrange vérité sur la forêt leur est peu à peu révélée : dans ce coin de l’ancienne Angleterre, il semble que l’inconscient collectif humain soit capable de donner vie aux peuplades des mythes et des légendes. Et qu’au détour d’un sentier, ou bien derrière un arbre, se dissimulent Guiwenneth, la belle princesse celte, Jason et ses argonautes, le roi Arthur Pendragon et bien d’autres héros encore…

 

La fantasy mythique ultime ?

Oui, « La forêt des mythagos » est un chef d’oeuvre magistral. Un chef d’oeuvre pour lequel il va m’être bien difficile de parvenir à faire passer par écrit l’éblouissement qui m’a saisi lors de ma lecture. Faisons un bref retour sur la quatrième de couverture qui fait bien son boulot : cette fameuse forêt des mythagos est en fait le bois des Ryhope, situé en Angleterre dans le Herefordshire, une petite forêt qui ne paie pas de mine mais qui n’est rien de moins qu’un morceau de forêt primordiale, c’est à dire une forêt restée intacte depuis des millénaires et n’ayant jamais été exploitée. Elle est même bien plus que cela puisqu’en son sein se produisent des phénomènes étranges dont la résultante sont l’apparition de créatures qui sont des représentations bien vivantes de mythes ancestraux, issus de l’inconscient collectif de l’humanité.

Les mythes ont de tout temps évolué avec les civilisations, et se sont transformés au fil des siècles. Ainsi les figures mythiques de Arthur, de Robin des Bois ou de Boudicca sont présentes (au moins à la marge) mais ne sont que des versions « modernes » de mythes bien plus anciens. Et c’est ce que cette forêt met en lumière. C’est le personnage de George Huxley qui, le premier, va enquêter sur cette étrange forêt pour tenter d’en comprendre les phénomènes. Cet intérêt va devenir une véritable obsession, au détriment de sa famille. Le roman débute peu après sa mort, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, lorsque son deuxième fils, Steven, va rejoindre son frère aîné, Christian, qui vit dans la maison familiale de Oak Lodge, à l’orée du bois des Ryhope. La rencontre entre deux frères qui se sont éloignés va remettre pour Steven l’obsession de son père en avant, alors que Christian semble lui aussi reprendre l’étude inachevée de George Huxley. Et dès lors, mythes, amour et rivalité vont s’entremêler dans une plongée au coeur de cette forêt où le temps et l’espace ne sont pas tout à fait ce qu’il devraient être…

Époustouflant ! Ce roman dans lequel la réflexion sur les mythes et leur évolution est poussée très loin (faisant forcément penser à « Roi du matin, reine du jour » de Ian McDonald mais de façon beaucoup plus poussée et très différente), sans qu’il n’oublie jamais d’être un roman et non un essai et donc ne négligeant jamais ses personnages ni ne laissant de côté l’aspect aventure (notamment lors de la plongée au coeur de la forêt), se permet de mettre le fond et la forme au service d’un même sujet. Si je viens de parler, brièvement car il y a aurait beaucoup à en dire, du fond, je ne peux pas passer la forme sous silence, elle qui s’inspire directement d’un mythe gallois qui est lui-même (ou plutôt une de ses occurrences plus anciennes) raconté aux héros du roman, roman qui d’une certaine manière devient lui-même un mythe ancestral, ou disons s’inscrit dans l’évolution d’un mythe existant depuis des millénaires. Cette forme sert totalement le récit, là où la forêt se joue du temps et de l’espace (il faut des semaines pour en atteindre le coeur (quand la forêt la forêt le veut bien…), alors qu’on en fait le tour en quelques heures, un petit bateau lancé par des enfants sur la rivière qui la traverse en ressort six mois plus tard comme s’il venait tout juste d’y entrer, et s’enfoncer dans le bois est comme remonter le temps alors que les mythagos et les tribus rencontrés se font de plus en plus anciens, vers un passé mythique, vers un mythe à la fois ultime et primordial). Un tour de force magistral !

Et quand on s’intéresse aux mythes de manière générale, « La forêt des mythagos » est un bonheur de tous les instants. Il y a des pistes de réflexion à chaque page ou presque, et la lecture est sublimée par quelques passages à la puissance d’évocation surpuissante (aaaah, ce navire sortant de la forêt ! aaaah, ce passage entre les falaises, aaaah, l’apparition de la Jaguth, et j’en passe !…). Les personnages ne sont pas en reste, entre la figure paternelle et ambivalente de George Huxley qui plane sur tout le récit, la relation conflictuelle entre les frères Huxley envenimée par l’amour qu’ils portent à Guiwenneth, une mythago ancestrale, et des apparitions mythiques (parfois difficiles à resituer pour un lecteur qui n’aurait pas une connaissance profonde des mythes britanniques et celtiques, mais qu’importe, c’est de l’ordre du détail) particulièrement marquantes, ce roman fut pour moi une claque sensationnelle !

J’ai le sentiment, à l’issue de cette chronique, d’en avoir à la fois beaucoup dit et trop peu à la fois (soyons clair, ce roman est d’une richesse folle, d’une densité rare, et pourrait être le sujet d’articles s’étalant sur des dizaines de pages). Mais peu importe, ce qu’il faut retenir c’est que « La forêt des mythagos » est un chef d’oeuvre absolu, un roman fascinant qui m’a marqué comme peu l’ont fait avant lui (et peu le feront après, j’en suis persuadé), un roman envoûtant que tout amateur de mythes (mais pas seulement) devrait avoir lu, un roman qui certes demande un peu d’investissement de la part du lecteur mais qui lui rendra au centuple (d’autant que le style de l’auteur et la traduction de William Olivier Desmond sont remarquables, saluons ici également la belle illustration de couverture de Guillaume Sorel), un roman qui pousse à se cultiver un peu plus, un roman qui montre à qui ne le saurait pas encore que la fantasy est un genre qui peut pousser la réflexion à la hauteur des plus grands livres jamais écrits. Rien que ça. Un chef d’oeuvre, vous dis-je !

 

Lire aussi les avis de Julien, Antoine, Lire à la folie, Bruno19, Salvek.

 

  
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