Prise de tête, de John Scalzi

Posted on 4 mars 2019
Vous vous souvenez du roman « Les enfermés » de John Scalzi ? Non ? C’est bien dommage car il est vraiment excellent, mais ça ne m’étonne pas vraiment tant j’ai eu l’impression qu’il n’avait pas rencontré son public, malgré toutes ses qualités. Scalzi a remis le couvert avec « Prise de tête » puisqu’on retourne dans ce même univers légèrement futuriste dans lequel une partie de la population est victime du syndrome d’enfermement mais a la possibilité d’interagir avec l’extérieur via des robots dénommés « cispés ». On y découvre un sport étonnant, l’hilketa…

 

Quatrième de couverture :

Décapitez l’adversaire et courez marquer un but, sa tête sous le bras. Tel est sommairement le principe de l’« hilketa », le nouveau sport à la mode.
On se rassure : les joueurs sur le terrain ne sont que des cispés, des androïdes pilotés par la conscience des véritables opérateurs, eux-mêmes tous des « hadens », des victimes du syndrome du même nom, enfermés dans leur corps réduit à la plus terrible paralysie.
Haden moi-même, je n’existe socialement que par cispé interposé. Je suis aussi agent du FBI, et c’est par un pur concours de circonstances que j’assiste à la mort d’un joueur d’hilketa au cours d’une compétition ; je parle de l’homme derrière le robot, en principe à l’abri de tout danger.
Alors, accident ou meurtre ? C’est ce qu’il va nous falloir découvrir, mon acariâtre mais futée coéquipière et moi. Paré à plonger dans les coulisses d’un sport où athlètes et  financiers sont prêts à tout ?
 

Succédant aux Enfermés, Prise de tête raconte la deuxième enquête de Chris Shane et Leslie Vann. Un polar à suspense mené tambour battant par le lauréat du prix Hugo 2013 avec Redshirts.

 

L’enfer du dimanche

L’hilketa, ce sport « semi-virtuel » qui permet à des « hadens » (les personnes victimes du syndrome de l’enfermement, et ils sont nombreux dans ce futur où un virus a propagé ce syndrome comme une maladie) de pratiquer une activité physique. Enfin, disons plutôt que c’est leur « cispé » (le robot dans lequel ils transfèrent leur conscience et qui leur permet d’interagir avec l’extérieur) qui pratique cette activité, les hadens restant immobiles à leur domicile. L’hilketa gagne pourtant en popularité, à tel point que les meilleurs joueurs (hommes ou femmes, tous sont mélangés) deviennent des stars. Le but de l’hilketa ? Décapiter la « chèvre », un joueur désigné aléatoirement et aller poser sa tête derrière la ligne de but adverse (ou dans un panier type basketball). Un sport violent donc, mais pas vraiment puisque ce sont bien des robots qui se retrouvent sur le terrain, dirigés par des êtres humains. Précisons que « hilketa » signifie meurtre en langue basque…

C’est dans ce contexte de sport violent mais sans risque qu’un drame se noue : un haden, désigné chèvre trois fois dans le même match (un fait plutôt rare alors que les équipes sont composées de 11 joueurs), finit par décéder à la suite d’une décapitation de son cispé. Un élément que la toute jeune Ligue Nord-Américaine d’Hilketa (LNAH), à la recherche de financements pour poursuivre son développement, bien consciente de ne pas pouvoir le cacher, va tenter maladroitement de brouiller en supprimant le flux de données du joueur concerné. Les choses se compliquent encore un peu plus quand le donneur de cet ordre décède à sont tour dans sa chambre d’hôtel, à la suite de ce qui ressemble à un suicide.

On le pressent, « Prise de tête » va mêler sport et gros sous, deux éléments qui font rarement bon ménage et qui mènent souvent à des trucs louches, peu recommandables voire même dangereux. Et ce sont les deux personnages principaux du roman « Les enfermés », à savoir les agents du FBI Chris Shane (haden de son état) et sa supérieure Leslie Vann qui sont chargés de l’enquête.

Les lecteurs des « Enfermés » ne seront pas ici dépaysés : John Scalzi a écrit « Prise de tête » de la même manière, c’est à dire en mode thriller. Peu de temps mort, des chapitres à cliffhangers, une écriture dynamique, un peu d’humour, de l’action (et il y même un chat !), le tout à la sauce SF avec ces hadens capables de passer d’un cispé à l’autre en un claquement de doigt et donc également de faire certaines choses de manière plus ou moins dissimulées (ou pourrait également discuter de l’Agora, ce système virtuel qui permet aux hadens d’avoir un « chez-eux » et d’interagir les uns avec les autres, ou bien des intégrateurs, ces non-hadens capables de recevoir la conscience d’un haden, le physique d’un être humain étant plus avenant que celui d’un robot pour certaines interactions). La société dépeinte est la même que dans « Les enfermés », à ceci près que la loi AbramsKettering restreignant les aides de l’état pour les hadens a été votée, une loi qui aura son importance dans la résolution de l’enquête. Cette société du futur, comme c’était déjà le cas dans « Les enfermés », est crédible (bien que très américaine quand on y pense) et pose de vraies questions sociales, même si le coeur de l’intrigue est ici déplacée sur le terrain du sport et de ses à-côtés économiques pas toujours reluisants…

Ce thriller SF, sous des airs assez légers, soulève donc des questions importantes sur le handicap, sur ce que les handicapés peuvent faire pour s’émanciper, sur ce que la société peut (ou veut…) faire pour eux, sur le sexe, le cocktail sport-argent, etc… Jouant toujours habilement avec la question du genre (et d’une manière qui n’a pas dû être simple à gérer pour le traducteur Mikael Cabon, déjà à l’oeuvre sur « Les enfermés », mais que je trouve tellement plus pertinente (et lisible !) que d’autres qui ne s’adaptent que difficilement à une langue française (malheureusement) difficilement faite pour cela, même si le but n’est peut-être pas tout à fait le même…), il ne fait aucun doute que « Prise de tête » plaira à ceux qui ont apprécié « Les enfermés » (et l’inverse est sans doute tout aussi vrai…). Simple, efficace, pertinent, plus intelligent qu’il n’y parait, une lecture largement recommandable.

 

Lire aussi les avis de Yogo, Lianne, Le chien critique.

 

  
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