Shangri-La, de Mathieu Bablet
Quatrième de couverture :
Dans un futur lointain de quelques centaines d’années, les hommes vivent dans une station spatiale loin de la Terre et régie par une multinationale à qui est voué un véritable culte. En apparence, tout le monde semble se satisfaire de cette « société parfaite ». Dans ce contexte, les hommes veulent repousser leurs propres limites et devenir les égaux des dieux. C’est en mettant en place un programme visant à créer la vie à partir de rien sur Shangri-La, une des régions les plus hospitalières de Titan, qu’ils comptent bien réécrire la « Genèse » à leur façon.
Drôle et instructif, le cocktail parfait !
« Shangri-La » de Mathieu Bablet pourrait faire penser à une énième dystopie, avec qui plus est un contexte déjà largement vu et revu. Pensez donc : la Terre est invivable, et ce qui reste de l’espèce humaine se retrouve entassée sur une gigantesque station spatiale en orbite, l’USS Tianzhu, gérée par le conglomérat Tianzhu, sorte de méga-entreprise tentaculaire qui a la mainmise sur tous les aspects de la vie quotidienne sur la station. Les emplois, les produits du quotidien, les loisirs, les logements (des boîtes de conserve…), tout passe par Tianzhu. Certains, comme Scott, le personnage principal de « Shangri-La », y voient l’avantage de ne guère avoir à se soucier de la vie puisque Tianzhu gère tout à leur place, d’autres, une minorité dont fait partie Virgile, le frère de Scott, se disent que leur liberté n’est qu’une façade. Rien de bien original jusqu’ici. Sauf que Mathieu Bablet ne s’arrête pas là, puisqu’en développant une intrigue qui trouve sa source dans d’étranges incidents ayant eu lieu dans différentes stations de recherche scientifique (incidents sur lesquels Scott, sur ordre de Tianzhu, va être chargé d’enquêter), la dystopie s’accompagne d’une vraie réflexion politico-sociale sur notre société du présent, celle que nous vivons tous les jours sur le plancher des vaches.
Et là, le jeune auteur grenoblois semble avoir voulu jouer au bingo spécial dystopie puisque tous les grands classiques du genre sont abordés : société de consommation, condition animale, minorités, racisme (savamment entretenu pour aveugler le peuple sur les vrais problèmes), spécisme, méthodes industrielles et esclavage moderne (ou esclavage tout court), publicités intrusives, sexualisées et dégradantes, soumission consentie, aveuglement par la consommation à outrance, science incontrôlée, projet démiurgique, rébellion au pragmatisme désespérant, tout y est. Mon allusion au bingo pourrait paraître un peu médisante, mais pourtant j’avoue avoir pris une jolie claque avec cette oeuvre. Car d’une part, même si le propos n’est pas toujours amené avec une grande subtilité, il fait mouche, avec un paquet de scènes très marquantes, parfois violentes, certaines même choquantes. Ça marque indéniablement le lecteur. Et car d’autre part, « Shangri-La » n’oublie pas qu’il appartient au genre de la science-fiction et joue donc avec certains thèmes certes classiques de ce courant mais qui ont toujours ce petit effet de « sense of wonder » quand ils sont bien utilisés, et c’est le cas ici.
Cet aspect SF me donne par ailleurs l’occasion d’aborder le travail graphique de Mathieu Bablet (qui, au passage est l’illustrateur de l’affiche des Utopiales 2019). Qui dit station spatiale dit scènes dans l’espace, et autant vous dire qu’ici on est servi, et de quelle manière ! Bablet dessine l’immensité et la beauté de l’espace comme peu savent le faire, certaines pages sont d’une beauté stupéfiante, des vertiges SF comme on en voit trop peu. Mais ce n’est pas tout, puisque l’auteur n’est pas seulement à l’aise dans l’espace, non l’USS Tianzhu lui offre aussi un terrain de jeu sur lequel il fait merveille. On le sent en effet dans son élément dès lors qu’il s’agit de mettre en scènes des architectures complexes. Le sens du détail de Mathieu Bablet est remarquable et on se retrouve à examiner les cases pour y découvrir ici ou là quelques détails qui ajoutent au plaisir visuel. On saluera aussi son jeu avec les couleurs, les scènes dans l’espace ayant une dominance de bleu, les scènes dans la station jouant avec différentes couleurs en fonction des situations. C’est immédiatement identifiable et donne une vraie personnalité à son dessin. Un bémol en revanche sur les visages, nettement moins réussis, pas suffisamment expressifs et trop ressemblants les uns aux autres…
« Shangri-La » est donc une oeuvre riche et belle, qui veut dire beaucoup (peut-être même parfois un peu trop pour son propre bien…) et qui le fait de manière particulièrement frappante, sans ménager ni le lecteur ni ses personnages. On le sait, la science-fiction est un moyen détourné pour parler de notre société, en replaçant son contexte dans un avenir plus ou moins lointain. « Shangri-La » en est l’illustration éclatante, dont on ressort secoué. Oscillant entre un graphisme ultra-détaillé et une volonté « d’apaisement spatial », de contemplation, l’oeuvre de Mathieu Bablet, au fond social très fort, est une vraie belle et grande réussite. Difficile de ne pas vouloir continuer à explorer l’oeuvre de cet auteur talentueux.
Lire aussi l’avis de Nicolas, Li-An, Elessar.
Article écrit dans le cadre du challenge « Summer Star Wars – Solo » de Lhisbei.
Il faut que j’essaye de m’y replonger. J’avais essayé une première lecture, mais je ne suis pas arrivé à me passionner pour cette histoire.
Ça vaut le coup de réessayer à mon avis. Après, si ça ne veut vraiment pas… 😉
Cette BD m’avait laissé tellement perplexe que je ne l’avais pas chroniquée. Il y a de bonnes choses assurément, mais sûrement trop de choses, à un point où je crois que ça m’a perdu et que j’en suis un peu sorti. Sans compter que la fin est particulière, je ne peux pas dire que je l’ai vraiment comprise. ^^’ Je te rejoins aussi goobalement sur le dessin : c’est beau dans les plans d’ensemble, dans les vues de loin, mais tout ce qui est plus proche et détaillé m’a moins convaincu.
Trop de choses oui, c’est bien possible. Beaucoup en tout cas, plein de thèmes abordés, mais j’ai trouvé que l’auteur parvenait malgré tout à tenir un bel équilibre entre les sujets abordés et son intrigue qui passe certes au second plan mais permet de tenir un fil conducteur. Ce n’était pas forcément évident à réaliser mais ça passe bien.
Et pour les détails du dessin, notamment les visages, je crois que tout le monde est d’accord, même Mathieu Bablet lui-même. 😉
Bon, je crois qu’il y a un consensus pour dire que c’est un peu bancal dans l’ensemble (je crois que j’ai été le plus méchant dans ma chronique).
Je ne relève que des détails relativement mineurs pour moi, j’ai la critique moins incisive que toi. 😀
Alors bancal, c’est possible, mais j’aurais peut-être employé un terme un peu moins péjoratif. Parce que quand même, j’ai vraiment aimé ce que j’ai lu et vu. 😉
Une bien belle bande dessinée. Je ne me souviens plus des détails mais j’avais adoré et je suis encore bouleversée par tu-sais-quel-passage sur la main d’œuvre.
Je crois que tout le monde se souvient de cette scène. Et elle pose bien sûr plein de questions sur notre société, sur le bien-être animal, sur notre consommation et ce qu’elle implique dans les pays dits « en voie de développement ». Ça frappe fort en tout cas.
Le monde concourt à ce que je lise cette bd. Pourquoi n’est-ce pas déjà fait ? Bonne question …… Peut être je l’achèterai aux Utos, tiens.
Voilà une bonne résolution. Je ne manquerai pas de te la rappeler en temps voulu. 😉
Encore un fan de cette BD ! Un jour, il va falloir que je m’y mette aussi. Un jour.
Tu sais ce qui te reste à faire. 😉
Je l’ai lu et j’en garde un souvenir flou, je crois que je n’ai pas tout compris. Il faudra que je lui redonne sa chance un jour ceci dit ^^
Ah oui, ça vaudrait peut-être le coup. En tout cas moi j’ai trouvé ça très marquant, malgré quelques maladresses.