Trop semblable à l’éclair, Terra Ignota tome 1, de Ada Palmer

Allez, je me lance. J’ai longtemps repoussé la lecture de ce roman acheté et dédicacé aux dernières Utopiales, préférant attendre l’arrivée du deuxième volume, définit sur la quatrième de couverture comme étant « indissociable » de celui-ci. Mais ça y est, je m’y suis mis, la chronique de cet intimidant roman encensé par des nombreux lecteurs mais réputé comme clivant en est la preuve.

 

Quatrième de couverture :

Année 2454. Trois siècles après des évènements meurtriers ayant remodelé la société, les concepts d’État-nation et de religion organisée ont disparu. Dix milliards d’êtres humains se répartissent ainsi par affinités, au sein de sept Ruches aux ambitions distinctes. Paix, loisirs, prospérité et abondance définissent ce XXVe siècle radieux aux atours d’utopie. Qui repose toutefois sur un équilibre fragile. Et Mycroft Canner le sait mieux que personne… Coupable de crimes atroces, condamné à une servitude perpétuelle mais confident des puissants, il lui faut enquêter sur le vol d’un document crucial : la liste des dix principaux influenceurs mondiaux, dont la publication annuelle ajuste les rapports de force entre les Ruches. Surtout, Mycroft protège un secret propre à tout ébranler : un garçonnet aux pouvoirs uniques, quasi divins. Or, dans un monde ayant banni l’idée même de Dieu, comment accepter la survenue d’un miracle ?

Diplômée de Harvard, Ada Palmer enseigne au département d’histoire de l’université de Chicago. « Trop semblable à l’éclair » a été salué par le prix Compton Crook et a valu à son autrice le prestigieux John W. Campbell Award. Considéré d’emblée comme un livre majeur outre-Atlantique, il forme avec « Sept redditions », sa suite indissociable, le premier versant de « Terra Ignota », l’un des projets littéraires les plus ambitieux que la science-fiction moderne ait produit, quelque part entre « Dune » et « Hypérion », entre philosophie des Lumières et sidération radicale.

 

Ada Palmer convoque Voltaire et Diderot au 25e siècle

Comment aborder un tel pavé de 650 pages, précédé d’une telle aura et, soyons honnête, rempli d’intelligence et d’ambition ? La réponse est : je ne sais pas car je me sens bien petit face à ce roman…

Je pourrais parler de la Philosophie des Lumières tant le roman fait à de nombreuses reprises référence explicitement à Voltaire, Diderot, Rousseau ou Sade en n’hésitant à aucun moment à briser le quatrième mur (un concept, tiens donc, formulé pour la première fois par… Diderot, et ce n’est pas un hasard car il n’y a PAS de hasard dans un roman signé Ada Palmer… 😉 ) puisque le narrateur s’adresse au lecteur et ce dernier s’adressant parfois au narrateur en retour (!!), mais je n’en ai pas les connaissances nécessaires.

Je pourrais parler du monde inventé par l’autrice qui est une projection du nôtre en l’an 2454, avec de nombreux changements sociétaux assez radicaux qui rendent la société de cette époque à la fois familière et radicalement différente, telle que la disparition de la cellule familiale « nucléaire » (cette cellule familiale, appelée « bash », n’est plus dépendante des liens du sang et peut contenir plusieurs couples de tous types élevant leurs enfants en commun, tout ce petit monde étant lié autant par les sentiments que par simple affinité intellectuelle) tout autant que celle des nations (dorénavant ce sont les « ruches » qui font le monde, leur fonctionnement étant assez semblable à celle des bash, mais sur un monde plus global. Il y a sept ruches mais un citoyen peut fort bien décider de n’appartenir à aucune d’entre elles), l’importance du système de transport par voitures volantes qui semble être un des piliers les plus importants de cette société qui permet à tout un chacun d’aller en n’importe quel point du globe en deux petites heures, un système judiciaire radicalement inédit mais reposant sur des concepts très anciens, des enfants qu’on élève pour qu’ils deviennent peu ou prou des mentats ordinateurs humains,  la notion de genre qui est devenue tabou, etc… Soyez prévenus : je ne fais qu’effleurer les nombreux concepts du roman, il y a encore plein de choses à découvrir, rendant le contexte du récit absolument unique, extrêmement réfléchi et très solide. Fascinant. Mais tout cela ne fait pas un roman.

Je pourrais donc aussi vous parler de l’intrigue du récit. Mais il n’y en a pas. Mais elle est très clairement au second plan puisque « Trop semblable à l’éclair », disons-le tout net, est une introduction. De 650 pages. Ouais. Mais une belle introduction hein, tout y est : le monde, l’intrigue (qui ne fait donc que démarrer en n’évoluant guère dans ce premier volume, tout commençant par le vol d’une liste de célébrités avant sa publication officielle, le type de liste à même de faire basculer l’équilibre du monde, rien que ça, alors que d’autre part on découvre le personnage de Bridger, jeune enfant qui semble doté de « pouvoirs » ce qui, potentiellement, est un gros problème dans une société qui a totalement proscrit la religion), les personnages. A la fin du roman, le lecteur est paré, prêt à enclencher la seconde. Mais il faut avaler ce premier tome qui n’est certes pas un pensum mais peut-être pas tout à fait un roman non plus… J’exagère sans doute, d’autant que les deux premiers volumes de la série d’Ada Palmer (« Trop semblable à l’éclair » donc et sa suite « Sept redditions ») ne sont en fait qu’un seul et vaste roman, coupé en deux pour d’évidentes raisons éditoriales. Tout s’explique et voilà pourquoi la quatrième de couverture nous dit que « Sept redditions » est la « suite indissociable » du texte ici présent.

Je pourrais aussi vous parler des personnages, nombreux et très… particuliers. Tous liés, tous plus ou moins issus de la classe dirigeante (sauf, et c’est tant mieux tant l’absence des « petites gens » est regrettable au sens où la société est extrêmement décrite mais la vie quotidienne des citoyens de ce monde passe malheureusement totalement à l’as, le mystérieux narrateur, Mycroft Canner, coupable d’horribles crimes et puni comme il se doit dans ce monde si spécifique, mais très intégré au cercle des puissants pour une raison qui n’apparaît pas dans ce premier tome), tous hauts en couleurs pour différentes raisons (chacun ayant évidemment leur propre agenda, avec un impact sur l’intrigue du roman et l’orientation du monde), et finalement très « théâtraux » d’une certaine manière. D’ailleurs, certains passages du roman se font en mode théâtre, et ce n’est pas un hasard car il n’y a PAS de hasard dans un roman signé Ada Palmer. Oui je l’ai déjà dit. Et ça non plus ce n’est pas un hasard… 😀

Et donc voilà. « Trop semblable à l’éclair » est impressionnant. Fascinant. Intimidant. Complexe (il faut accepter de ne pas tout comprendre tout de suite). Époustouflant. Intelligent. Stimulant. Philosophique. Extrêmement riche. Enthousiasmant parfois. Parfois un peu moins. Un peu chiant aussi avec son intrigue qui se traîne désespérément. Mais il force le respect, quoi qu’on en pense au final.

En fait je crois que je suis plus admiratif et impressionné par ce qu’a imaginé Ada Palmer plutôt que réellement enthousiasmé et captivé par ce que j’ai lu. La faute sans doute à un roman qui n’est qu’une entrée en matière et qui, à ce titre, n’apporte aucune réponse aux questions qu’il ne manque pas de poser. « Trop semblable à l’éclair » est sans doute extrêmement intelligent et redoutablement construit, mais ces qualités risquent bien de n’apparaître clairement qu’avec la lecture de « Sept redditions », lecture sur laquelle je ne vais bien sûr pas manquer de me pencher. Cela peut objectivement être un vrai problème et provoquer un sentiment de lassitude ou d’exaspération à cause d’un goût à la fois de trop (de pages) et de trop peu (d’évolution de l’intrigue et de réponses). Mais je subodore que le meilleur est à venir… Et d’une certaine manière, mais là je m’avance un peu, il se pourrait que la série d’Ada Palmer fasse parti de celles dont le tout vaut mieux que la somme de leurs parties. On verra ça dans quelque temps…

 

Lire aussi les avis de Gromovar, Anudar, Feyd Rautha, Célindanaé, Lutin82, Yogo, Ombre Bones, Stéphanie Chaptal, L’Ours Inculte (éblouichiant, bravo, j’applaudis ! 😀 ), Lune, Anouchka, Cédric, Vert, Le Chroniqueur

 

  
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