Les agents de Dreamland, de Caitlín R. Kiernan

« Une Heure-Lumière » à nouveau, avec une des dernières sorties en date, « Les agents de Dreamland » de Caitlín R. Kiernan. Il va falloir être fort pour passer après l’exceptionnel « Vigilance » de Robert Jackson Bennett. Mais avec un récit lovecraftien, tout est possible, même l’indicible…

 

Quatrième de couverture :

Winslow, Arizona. Deux agences du renseignement y ont dépêché leur meilleur élément. Il y a le Signaleur, un homme désabusé, brûlé aux secrets défense d’un nombre d’administrations qu’il ne peut même plus compter. Et il y a Immacolata Sexton, un mythe vivant, une femme à la réputation proprement terrifiante — si elle n’était pas humaine, le Signaleur n’en serait pas plus étonné que cela… Leur mission ? Enquêter sur une secte dont on vient de retrouver les membres à l’état de cadavres horriblement mutilés au cœur du désert. Une femme en a réchappé. Persuadée d’être investie d’une mission sacrée, elle représente peut-être une bombe à retardement pour l’humanité toute entière… Car dans les tréfonds ténébreux du Système solaire, la sonde New Horizons s’approche de Pluton. Or, nul ne sait ce qu’elle va vraiment trouver aux abords de la planète naine…

« Peut-être la meilleure autrice de weird de sa génération. » Ann et Jeff VanderMeer

« Les Agents de Dreamland » a été nommé aux prix Bram Stoker 2017 et Locus 2018

 

What do Yuggoth ?

Moonlight Ranch, Californie, début juillet 2015. Un massacre. Une horreur. Innommable. Indicible. Sans doute pas tout à fait humaine. Quelque chose s’est passé, il faut le comprendre et vite, avant que cela ne devienne une potentielle menace incontrôlable à plus grande échelle.

On fait donc la connaissance de deux agents issus de services de renseignement, le Signaleur d’un côté (Américain, un peu revenu de tout), Immacolata Sexton de l’autre (Britannique, humaine mais rien n’est moins sûr), qui vont devoir collaborer pour tenter de comprendre ce qui s’est passé dans ce ranch perdu au fin fond de nulle part, et dans lequel l’horreur a été découverte.

Caitlín R. Kiernan mêle dans son récit fiction et faits réels (la sonde New Horizons qui a survolé Yuggoth Pluton ce même mois de juillet 2015, subissant même un étrange problème technique au tout début du mois…), avec une pointe d’histoire secrète pour brouiller les pistes et donner par la même occasion une sorte de « validation historique » à ce qu’a écrit H.P. Lovecraft dans l’un de ses textes (que je nommerai pas mais dont les indices sont suffisamment gros pour que l’amateur de Lovecraft le découvre rapidement (j’ai d’ailleurs déjà plus ou moins vendu la mèche…), sans que cela ne soit un handicap pour ceux qui ne connaîtraient pas l’oeuvre de l’écrivain de Providence) dont « Les agents de Dreamland » n’est rien de moins qu’une suite. Un projet intéressant, d’autant qu’il est bien mené, particulièrement narrativement, avec une déconstruction chronologique qui ménage un certain suspense sans que celui-ci ne soit nécessairement le moteur du récit. Car en effet, Caitlín R. Kiernan n’hésite pas à donner au lecteur, à travers des « visions » (appelons ça comme ça à défaut d’avoir de plus amples renseignements sur le pourquoi du comment, ce qui est bien dommage d’ailleurs et ressemble furieusement à une certaine facilité narrative sur ce point précis…) d’Immacolata Sexton, ce qui ressemble au fin mot de l’histoire. Ou de l’Histoire. Car il y a bien l’Histoire, globale, celle de l’humanité, et l’histoire, celle de ce qui s’est passé dans le Moonlight Ranch, de Chloé qui y a (sur)vécu, et des deux agents.

Parsemé de références que les spécialistes se feront un plaisir de débusquer, « Les agents de Dreamland » est donc un texte malin et sombre à la fois, déconstruit chronologiquement sans que cela ne pose le moindre problème de compréhension (même si ce procédé me fait toujours m’interroger sur sa réelle utilité) et qui se lit avec un intérêt que je qualifierai de… mesuré, malheureusement. Non, je ne me suis à aucun moment ennuyé mais le manque d’enjeux m’a empêché d’être embarqué dans le récit, la faute à une inéluctabilité qui joue contre lui. Car tout est joué, et les personnages de Caitlín R. Kiernan ne font que se débattre dans quelque chose qui est perdu d’avance, ce que le texte ne manque d’ailleurs pas de souligner bien avant sa conclusion. Certes, dans les récits de Lovecraft, c’est un peu la même chose, mais ce cosmicisme lovecraftien, dans lequel l’humanité n’est que peu de choses au sein d’un univers bien plus vaste n’apparaît que peu, ou en tout cas pas suffisamment ici pour provoquer effroi (hormis une scène d’interrogatoire) ou sense of wonder, d’autant que les personnages ne sont finalement pas acteurs de grand chose mais plutôt spectateurs de ce qui se passe (et de ce qui adviendra) pour le montrer au lecteur. Dommage alors qu’il y avait un vrai potentiel, et que du côté de la « continuation » d’un récit lovecraftien, « Les agents de Dreamland » fait malgré tout bonne figure, grâce entre autres à la très bonne traduction de Mélanie Fazi. Absolument pas mauvais, ni même désagréable en fait, loin de là, simplement en demi-teinte.

 

Lire aussi les avis de Gromovar, Feyd Rautha, Artemus Dada, Célindanaé.

Critique écrite dans le cadre du challenge « Le Projet Maki » de Yogo.

 

  
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