Apprendre, si par bonheur, de Becky Chambers

Posted on 30 octobre 2020
Becky Chambers a le vent en poupe en ce moment, avec notamment le Prix Hugo 2019 de la meilleure série pour sa trilogie des « Voyageurs » (dont je n’ai, pour le moment, lu que le premier volume). La voici à nouveau sur les étals avec cette fois une novella indépendante. Nouveau format certes, mais toujours dans cette mouvance optimiste, diverse, ouverte, tolérante et bienveillante.

 

Quatrième de couverture :

« Nous n’avons rien trouvé que vous pourrez vendre. Nous n’avons rien trouvé d’utile. Nous n’avons trouvé aucune planète qu’on puisse coloniser facilement ou sans dilemme moral, si c’est un but important. Nous n’avons rien satisfait que la curiosité, rien gagné que du savoir. »
Un groupe de quatre astronautes partis explorer des planètes susceptibles d’abriter la vie : hommes et femmes, trans, asexuels, fragiles, déterminés, ouverts et humains, ils représentent la Terre dans sa complexité.

Le nouveau roman du sommet actuel de la SF positive.

Becky Chambers, après les trois volumes du cycle des « Voyageurs » (prix Hugo de la meilleure série en 2019), nous livre une méditation tendre et joyeuse sur l’appel de l’espace, le but ultime de la science et, au bout du compte, sur l’étincelle de vie qui nous anime tous.

« Écrire de la SF positive, c’est regarder les injustices dans les yeux et continuer de croire qu’on va les vaincre. » Élisa ThévenetLe Monde.

 

Love boat spaceship

« Apprendre, si par bonheur » est narré par une femme, Ariadne, faisant partie d’une équipe de quatre astronautes chargés d’étudier quatre exoplanètes susceptibles d’abriter la vie. Cette équipe a été envoyée au loin dans ce but purement scientifique par un organisme citoyen qui semble essentiellement être financé par ce qui ressemble à un genre de crowdfunding. Et c’est cette odyssée scientifique autant qu’humaine qui est au centre du récit.

Odyssée scientifique tout d’abord car là où on pouvait reprocher quelques facilités technico-scientifique dans « L’espace d’un an », on est ici en terrain beaucoup plus (apparemment) réaliste. Je ne me prononcerai certes pas sur ce qui est dans le champ du possible et ce qui ne l’est pas, toujours est-il que le ton est beaucoup plus « sérieux » (avec les guillemets qui s’imposent hein !), pour un récit qui se veut « possible ». Et au-delà du principe du voyage interstellaire qui repose sur la toujours bien pratique technique de stase (appelé ici « torpeur »), on a donc une équipe d’astronautes confrontée à des formes de vie très diverses, qu’elle soit microscopique dans un environnement glacé, très luxuriante sur une planète à la gravité élevée, ou du type mollusque sur une planète particulièrement tempétueuse… Becky Chambers en profite pour aborder de nombreux aspects scientifiques à travers la chimie, la génétique, la biologie, la géologie, etc… On pourrait presque admettre ce texte dans le genre hard-SF.

Et cette odyssée scientifique est donc aussi très humaine. Car l’humain est au coeur du texte, dans un style tout à fait Becky Chambers c’est à dire toujours bienveillant, très ouvert à la différence, la tolérance, la diversité. Alors oui, on a des relations très libres entre les astronautes mais ça va bien au-delà de cette seule solution de facilité. Car l’autrice a pensé à l’humain en écrivant son texte et en construisant son contexte. Sur le plan social, le programme spatial dont dépendent les astronautes est comme je le disais plus haut un programme citoyen, dénué de toute recherche de profit au-delà du seul financement de la mission. Sur le plan personnel, on trouve parmi les astronautes différentes orientations sexuelles, ce qui conduit à une certaine forme d’harmonie au sein de l’équipage (ce qui est tout sauf accessoire quand on part sur une mission spatiale particulièrement longue), sans systématiquement empêcher les tensions de monter quand le personnel de la mission est soumis à rude épreuve lors d’une exploration qui accumule les difficultés. Sur le plan technique, tout est fait pour que le bien-être des astronautes soit assuré, comme une certaine intimité qui leur est allouée lors de la sortie de la « torpeur ». Et là où le côté technico-scientifique rejoint le côté humain c’est que contrairement à de nombreux romans de SF qui ont tendance à jouer sur la terraformation pour adapter l’habitat aux humains, ici c’est l’humain qu’on adapte à l’habitat avec la « somaformation » (soma en grec ancien signifiant le corps). Jolie trouvaille jouant tout autant avec la science qu’avec une sorte de transhumanisme exoplanétaire écolo…

De nombreuses thémathiques sont donc abordées, le tout dans un volume de texte assez restreint. Il en ressort à la fois une sorte d’apaisement, dû au côté bienveillant du texte, mêlé à un vertige science-fictif bien présent. Un joli cocktail qui culmine dans une magnifique conclusion sonnant comme une déclaration d’amour à la science, avec un sens du sacrifice ultime pour que la science et l’humain avancent main dans la main. C’est juste beau. On pourrait certes, à l’instar de « L’espace d’un an », regretter une intrigue assez réduite (de fait, le texte ici présent ne s’intéresse qu’à la mission et aux personnages, il n’y a pas d’intrigue en tant que telle sauf à considérer que la mission en elle-même constitue l’intrigue, ce qui peut d’ailleurs tout à fait s’entendre), mais le reste fait du bien par où il passe et c’est un défaut qui finalement passe au second plan. Il n’empêche que le jour où Becky Chambers parviendra à marier sa bienveillance avec une intrigue digne de ce nom, ça vaudra certainement plus qu’un coup d’oeil…

En l’état, « Apprendre, si par bonheur » (titre dont l’explication est donnée à la toute fin) est un fix de positivité, mêlant science et bienveillance pour nous offrir un concentré d’optimisme. Et par les temps qui courent, ça fait un bien fou…

 

Lire aussi les avis de Yogo, Lune, Célindanaé, Ombrebones, Gepe., Anne-Laure, Yuyine, Le syndrome Quickson.

Critique écrite dans le cadre du challenge « Le Projet Maki » de Yogo.

 

  
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