Dune, de Frank Herbert
Quatrième de couverture :
Édition du cinquantenaire.
Traduction revue et corrigée.
Il n’y a pas, dans tout l’Empire, de planète plus inhospitalière que Dune.
Partout du sable, à perte de vue.
Une seule richesse : l’épice de longue vie, née du désert et que l’univers tout entier convoite.
Un commencement est un moment d’une délicatesse extrême
Comment aborder une critique de « Dune » alors que tout ou presque a déjà été dit (ou est en passe de l’être tant l’actualité éditoriale tournant autour de la saga de Frank Herbert est chargée en raison de l’adaptation cinématographique toute prochaine pas trop lointaine de Denis Villeneuve, pour preuve la parution imminente d’un mook sur le roman chapeauté par Lloyd Chéry, d’un essai signé Nicolas Allard, d’un hors-série de la revue Rockyrama ou bien d’une étude plus axée sur les sciences aux éditions du Bélial’) sur ce célébrissime roman de SF, sans doute le plus vendu au monde ?
On va faire simple : comme un lecteur lambda (ça tombe bien, c’est ce que je suis) qui redécouvre un roman qu’il a lu adolescent et dont il ne garde en souvenir que les grandes lignes de l’intrigue et dont bon nombre de thématiques lui avaient alors échappé. Environ un quart de siècle après la première lecture, ça donne quoi « Dune » ?
Hé bien c’est encore et toujours vachement bien ! D’une manière différente de l’époque de ma première lecture (et c’est tant mieux), mais malgré tout avec toujours autant d’intérêt. Il faut dire que le roman, désolé de ne pas être original sur ce point, est d’une richesse impressionnante, abordant de nombreux thèmes d’importance (écologie, religion, politique, exercice du pouvoir, responsabilité et bien d’autres encore…), toujours d’actualité aujourd’hui (quelle clairvoyance de la part de Frank Herbert qui, plus de 50 ans après la parution du roman, semble nous parler de notre société d’aujourd’hui où politique et religion, en se mêlant, tendent au désastreux, où l’écologie est au centre de nos préoccupations (mais sans doute pas assez malheureusement…), où l’exercice du pouvoir par ceux qui nous gouvernent pose question, etc…), sans jamais oublier d’être également un roman d’aventures, un récit initiatique sur le passage à l’âge adulte en traversant de douloureuses épreuves, un livre-monde qui ne se dévoile pas forcément facilement (de nombreux néologismes ou mots importés/transformés depuis des langues « inhabituelles » (latin, arabe, hébreu, persan…) et un important lexique en fin de volume) mais qui donne au lecteur sa dose de dépaysement avec son riche contexte qui se dessine peu à peu.
Un contexte qui ne manque pas d’attraits, ne serait-ce que parce que ce lointain avenir (presque 25 000 ans après notre époque !), dépouillé de tout artifice technologique (tout au moins semble-t-il l’être) après un Jihad Butlérien qui a vu les machines pensantes disparaître au profit d’une sur-humanité (les Mentats, véritables ordinateurs-humains, le Bene Gesserit, sororité dont le conditionnement mental et physique donne à ses membres (tous féminins) des capacités hors du commun, ou bien les navigateurs de la Guilde Spatiale, sorte de super-mutants pilotes de vaisseaux spatiaux, le tout n’étant rien d’autre qu’une forme de transhumanisme avant l’heure), est un futur assez rare pour être signalé. Mais c’est évidemment loin d’être le seul attrait du récit. Car il y aurait encore beaucoup à dire sur la planète Arrakis en elle-même, sur l’épice et ses effets, sur les nombreuses factions présentes et les complexes rapports de force qui les lient, sur les plans dans les plans, les machinations à plusieurs niveaux, et bien sûr la destinée de Paul « Muad’Dib » Atréides, « héros » du roman (avec tous les guillemets qui s’imposent mais il faut avoir lu la suite, « Le Messie de Dune », pour en prendre pleinement conscience…). Tant de choses qui font de « Dune » un grand (et gros : plus de 600 pages) roman.
Il y a aussi des choses qui sont moins réussies dans « Dune » : le rôle des femmes, certes parfois fortes mais dont l’influence sur le récit n’est pas si importante que ça, et la place qu’elles occupent à certains moments (à la mort de leur conjoint chez les Fremen notamment) pose question. Le cycle de l’épice manque également de clarté. Mais aussi gênants qu’il puisse être, et à moins de mettre une priorité absolue sur ces détails (qui n’en sont donc pas forcément, notamment sur les femmes), ils ne pèsent pas tant que ça dans la balance. Tout juste font-ils lever les yeux au ciel de temps en temps, et font se rappeler que le roman date des années 60… Pour le reste, oui « Dune » résiste à l’épreuve du temps, et de quelle manière !
Joliment remis sur le devant des étals avec une belle édition collector au style métallo-rétro qui lui sied ma foi fort bien (avec un design de couverture signé du graphiste espagnol Alex Trochut, une traduction révisée par le bien nommé Feyd-Rautha, une préface inutilement alambiquée et très commerciale de Denis Villeneuve qui a toutefois le mérite d’être là, une deuxième préface autrement plus intéressante et personnelle de Pierre Bordage qui, en plus d’être joliment écrite, fait autant lieu d’hommage au roman d’Herbert que de grille de lecture et de réflexion touchante et personnelle sur ce qu’a apporté la lecture de l’oeuvre au romancier français, et une postface de l’inaltérable Gérard Klein qui fait du Gérard Klein, c’est à dire qu’elle est érudite, qu’il se la pète un peu et qu’il envoie aussi quelques piques ici ou là… 😀 ), « Dune » mérite son statut de roman culte.
Je n’ai pas parlé de l’intrigue du roman, bien connue et sur laquelle il n’est pas bien compliqué de trouver moult renseignements, mais à celui ou celle qui voudrait en savoir plus, si tant est que j’ai pu lui donner envie d’aller plus loin, je n’aurais qu’une chose à dire : lisez « Dune », arpentez le désert de la planète Arrakis, faites connaissance avec les Fremen, craignez les plans du Bene Gesserit, de l’Imperium ou des Harkonnen, volez en ornithoptère, observer les fameux vers des sables, rencontrez les inoubliables personnages que sont Dame Jessica, le duc Leto Atréides, Gurney Halleck, Duncan Idaho et bien évidemment Paul Atréides, et entrez dans un univers que vous n’oublierez pas de sitôt !
Tiens, je suis en train de le relire moi aussi. Je l’ai beaucoup relu à une lointaine époque et j’avais en peu peur de gâcher mes souvenirs mais, comme tu le dis, ça reste impressionnant.
Oui, le roman garde encore toute sa puissance et reste thématiquement d’actualité. Dune, un roman intemporel ? 😉
Une postface de Gérard Klein ? Une POSTface ? Quelqu’un a donc enfin compris où placer les textes du monsieur ? =P
Rendez-vous dans 20 ans pour une troisième lecture ?
😀
S’il s’agit d’une première lecture du roman, la bonne place du texte de Gérard Klein est en effet à la fin. Ceci dit, Pierre Bordage dévoile aussi quelques trucs dans sa PREface… 😀 Mais rien de bien méchant.
Une troisième lecture dans 20 ans ? Pourquoi pas. 😉
Je l’ai lu il y a quelques années. C’était un moment peu propice car je venais d’entrer en entreprise après plusieurs années en freelance et que le changement de rythme professionnel a complètement chamboulé mon rythme de lecture pendant quelques semaines, ce qui ne m’a pas aidée à l’apprécier. Mais il m’est tombé des mains. Je ne comprenais rien aux enjeux et à cette histoire d’épice, et dès le premier chapitre, je crois, j’ai trouvé le personnage féminin prétendument fort super geignard… (Pas de souvenir précis sur ce qu’elle exprimait comme plainte…) J’ai été tellement étonnée que ce soit un tel monument. Je me suis toujours dit que je devrais réessayer, surtout après m’être fait plus de culture ailleurs, mais bon c’est une sacrée brique, tout de même… Bref, je note ton avis super positif…
Elle se plaint parce qu’on lui annonce que son mari va être tué et qu’elle ne peut pas agir. Elle est au service d’un ordre millénaire auquel elle a déjà désobéi une fois. C’est un peu violent comme critique de personnage, je trouve. Elle n’est pas particulièrement geignarde, elle est juste au centre d’enjeux millénaires qu’elle ne peut pas bousculer. Et non, elle ne va pas prendre un arc pour courir dans la forêt pour montrer c’est quoi le Girl Power. C’est juste pour dire 🙂
Plus que de dire qu’elle se plaint, je trouve que Jessica, malgré tous les « pouvoirs » dont elle dispose, reste en retrait et l’influence qu’elle a sur l’intrigue n’est pas si importante que ça, en dehors du fait qu’elle a déjà désobéi et que TOUT découle de ça. Mais finalement son impact sur le roman « Dune » reste assez limité.
J’ai réfléchi à la question et je pense que pour Herbert, le roman étant un récit messianique, les femmes sont témoins de l’histoire, dans le sens où elles sont là pour témoigner, comme dans les Évangiles. Jessica au cœur de l’action fait le passage d’un monde à l’autre, la Princesse fait le récit analytique a posteriori. Et le pouvoir féminin est décrit comme différent du pouvoir masculin – non pas basé sur le combat et la politique mais sur les gènes et la reproduction. Ce qui peut être plus en accord avec le discours féministe de l’époque qui pensait une vision du monde très différente du pouvoir masculin alors que le féminisme d’aujourd’hui revendique plus une égalité.
C’est une analyse intéressante. Qui montre que Herbert est, au moins sur ce point, assez fidèle à son époque.
Cette problématique a évolué, elle est plus difficile à avaler telle qu’elle est présentée dans le roman maintenant.
De nombreuses analyses sur « Dune » sortent ou vont sortir prochainement, cette question fait partie des points analysés, j’ai hâte d’en lire plus sur le sujet. 😉
Le monde a évolué mais les romans restent ce qu’ils sont. À sa sortie, il n’a pas été vu comme un roman féministe donc on ne peut pas dire que ça ait changé. Et la vision que l’on a aujourd’hui risque elle aussi de devenir obsolète un jour. Sans compter que le féminisme dans les romans est devenu largement un produit d’appel puisque l’on sait que les clients sont en grande majorité des clientes.
Je pense qu’effectivement tu as pris ce roman par le mauvais bout… Non pas que ce soit un roman qu’il faut aimer à tout prix mais j’ai effectivement l’impression qu’il est passé à un moment où tu avais la tête ailleurs.
Ceci dit, il n’est pas parfait non plus, surtout à l’aune de notre époque qui, sur un certain nombre de points, a évolué par rapport à celle de l’écriture du roman, mais il possède quand même un certain nombre de qualités qui n’ont pas vieilli.
Après, les goûts et les couleurs hein, mais je pense qu’il mériterait quand même un deuxième essai, surtout qu’avec le nombre d’études qui paraissent en ce moment sur le roman, il y a largement moyen d’éclairer de manière très approfondie. Et sait-on jamais, ce sera peut-être l’illumination ! Ou pas… 😀
Je me note que tu penses que ça mériterait un deuxième essai. (Blague éculée: tu es un de mes principaux prescripteurs, après tout… ;))
Relu il y a quelques semaines sans avoir vraiment de souvenirs de ma première lecture, je me rends compte que certains éléments de l’univers, comme tu le dis pour l’épice, manque un peu de clarté en ne lisant que ce premier volume ^^
Oui, je ne me souviens plus si ça s’éclaire dans le suivants, « Le Messie de Dune »… Parce qu’après, vu ce que devient la planète Arrakis, j’en doute un peu… 😀
L’arrivée du film me donne aussi des envies de relecture…
Je pense pas avoir saisi toutes les subtilités du cycle quand je l’ai lu, ça me tente bien de réessayer !
C’était la même chose pour moi, et là, avec la relecture et tous les essais qui sortent sur le roman, on le redécouvre d’une toute autre manière, c’est très appréciable. 😉
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