La chose, de John W. Campbell

Posted on 10 mars 2021
« La chose », « The thing »… Ok, vous voyez tout de suite le rapport entre le texte de John W. Campbell, écrit en 1938, et le célébrissime film de John Carpenter, réalisé en 1982. Le deuxième a pourtant largement éclipsé le premier, et c’est pour remettre l’oeuvre d’origine au premier plan que les éditions du Bélial’ ont décidé de faire paraître le texte de Campbell dans la collection « Une heure-lumière », collection jusqu’ici proche du sans faute.

 

Quatrième de couverture :

En Antarctique, quelque part.
Enfoui sous la glace, aux abord d’un artefact aux allures de vaisseau spatial, des scientifiques découvrent un corps congelé — gisant là, sans doute, depuis des millions d’années. Un corps résolument inhumain. Résolument… autre. Le choix est alors fait de ramener la stupéfiante découverte à la station pour étude. Doucement, la gangue de glace autour de la créature commence à fondre, libérant peu à peu cette totale étrangeté à l’aspect terrifiant. Et les questions de traverser l’équipe de chercheurs : qu’est-ce que cette chose ? Comment est-elle arrivée là ? Et après tout, est-elle seulement morte ? N’ont-ils pas mis au jour la plus épouvantable des abominations — une horreur proprement cosmique ?
Récit haletant paru en 1938, proposé ici dans une nouvelle traduction, La Chose est un immense classique de la science-fiction mondiale. Porté à l’écran à trois reprises, ce court roman pose les bases du récit de SF horrifique.

 

Paranoïa en Antarctique

1938 ! Voilà un texte qui ne date pas d’hier… Situé dans un Antarctique mal connu à l’époque (ce qui pousserait à le comparer aux « Montagnes hallucinées » de Lovecraft, écrit en 1931 et paru en 1936, alors que les deux textes n’ont que très peu de choses en commun, si ce n’est une forme de vie « monstrueusement extraterrestre » et l’Antarctique, que Lovecraft décrit beaucoup mais que Campbell, au-delà de quelques éléments de contexte scientifiques, n’utilise que comme une solution permettant d’isoler ses personnages puisque le texte est essentiellement un huis-clos), « La chose », portée à l’écran à plusieurs reprises dont le célèbre « The thing » de John Carpenter, met en scène un groupe de scientifiques qui découvre un vaisseau extraterrestre et surtout une créature, congelée. Créature qu’ils s’avisent de décongeler. Pour leur plus grand malheur bien sûr.

Plusieurs points d’intérêt sur ce texte. La créature tout d’abord. Dangereuse. Mortelle même. Mais intrinsèquement mauvaise ? Certes non, en tout cas pas apparemment. Un élément éclairé très directement par la nouvelle de Peter Watts, « Les choses », dans le recueil « Au-delà du gouffre », qui prend le point de vue de la créature, là ou John Campbell entretient le flou par l’intermédiaire de ces scientifiques qui tentent de survivre face à une créature qui n’a pourtant que le seul, unique et vraisemblablement même but.

Cette créature, pour qu’elle soit considérée comme si dangereuse, se doit d’avoir un petit quelque chose en plus. Et en effet, ses capacités biologiques font d’elle une forme de vie bien à part. Capable de prendre possession du corps de n’importe quelle forme de vie tout en gardant la possibilité de se multiplier (et donc de « posséder » un groupe entier de formes de vie étrangères à elle) , elle peut de ce fait être totalement invisible et continuer ses « méfaits ». De là, en creux, de pose la question de la définition de l’humain si une telle créature est capable de prendre possession des corps humains, sans modifier leur comportement, physique comme psychologique. Une créature radicalement autre mais qui sait aussi se faire totalement humaine, biologiquement parlant. La créature parfaite ? D’un certain point de vue, peut-être…

D’un point de vue narratif, c’est plus délicat… « La chose » se déroule sans temps mort. C’est sans doute là son point faible. En effet, alors que le récit se centre sur quelques personnes isolées et menacées par une forme de vie qui peut potentiellement tous les contaminer (et les éliminer) sans qu’aucun d’eux ne s’en rende compte, le côté paranoïaque du récit, qui devrait être poussé à son paroxysme (imaginez que ces personnes « s’obligent » à rester en petits groupes pour que le moindre élément suspect soit immédiatement mis au jour, ils doivent donc tous se poser mille questions sur ceux qu’ils fréquentent, avoir des doutes, surveiller de près, suspecter, etc…) tombe un peu à plat car la brièveté du récit nécessite d’avancer sans trop s’attarder.

Et pourtant, quoi de mieux pour sombrer dans la paranoïa que de prendre son temps ? Comme au cinéma lorsqu’une scène s’allonge, le temps se suspend pour mieux entretenir le malaise, l’interrogation, le suspense… Pas de ça ici car le texte avance, inéluctablement, en restant très factuel, loin des atermoiements et des doutes, qu’on imagine pourtant nombreux, des scientifiques. Aucune plongée dans la tête des uns et des autres, aucune introspection. « La chose » ne joue pas assez sur le ressort psychologique pour mettre le lecteur mal à l’aise, pour le faire douter, pour le rendre paranoïaque à l’égal des personnages. Le récit ne prend pas le temps suffisant pour cela.

On peut ajouter à cela des personnages finalement assez nombreux et interchangeables (et qu’on confond assez rapidement) et quelques explications scientifiques (élément qu’appréciait John W. Campbell pour « élever » la SF) pas toujours très claires, et on obtient au bout du compte un récit sans aucun doute archétypal de la SF horrifique qui a, à raison, fait sensation en son temps, mais qui, du fait d’avoir été vu et revu des centaines de fois depuis, n’a plus suffisamment d’éléments en sa faveur pour emporter l’adhésion complète (de mon point de vue en tout cas, la plupart de mes collègues blogueurs n’allant pas dans le même sens que moi…). Il existe, en tout cas en VO, une version longue de ce texte, un roman en fait, qui aurait potentiellement pu pallier les problèmes que je soulève ici, mais de l’avis général il n’est pas d’aussi bonne qualité que cette version courte. Dommage…

En l’état, à mes yeux, « La chose » vaut plus pour l’aspect historique et patrimonial de la SF que pour ses qualités intrinsèques qui ont quelque peu pâli aujourd’hui, ou en tout cas qui m’ont laissé un goût de trop peu sur un aspect psychologique que j’attendais nettement plus soutenu. Je tiens malgré tout à souligner la qualité de la traduction de Pierre-Paul Durastanti qui a su donner au texte une telle jeunesse que son âge disparaît totalement (plus de 80 ans ! Pas l’âge de Pierre-Paul hein, celui du texte de Campbell ! 😀 ). « La chose » se lit donc encore très bien, même s’il manque un peu de substance psychologique. Mais pour qui attend un texte direct et sans temps mort posant quelques questions en creux « à la Dick » sur ce qui constitue un être humain, mais abordées, via l’altérité, de manière radicalement différente et sur un plan évidemment plus organique que technologique, la novella de Campbell a encore des atouts pour convaincre.

 

Lire aussi les avis de Feyd-Rautha, Lutin, Célindanaé, TmbM, Nicolas, Marquise, Nomic, Aelinel, Gepe, Philémont, RoadReader, Boudicca

Critique écrite dans le cadre du challenge « #ProjetOmbre » de OmbreBones.

 

  
FacebooktwitterpinterestmailFacebooktwitterpinterestmail