Cantique pour les étoiles, de Simon Jimenez

Posted on 21 juin 2021
Inconnu au bataillon jusqu’à aujourd’hui, voici que Simon Jimenez débarque en France, et j’applaudis bien fort car c’est toujours un risque pour un éditeur de lancer un auteur étranger inconnu. Mais si risque il y a, c’est sans doute que l’éditeur y a vu un gros potentiel. Alors, ça valait le coup ? Citer David Mitchell en quatrième de couverture relève-t-il plus du coup marketing qu’autre chose ? Verdict.

 

Quatrième de couverture :

L’humanité a quitté la Terre, devenue inhabitable, voilà mille ans. Elle vit aujourd’hui dans d’immenses stations spatiales, conçues et gérées par des multinationales, et se déplace entre les étoiles par la Poche, une contraction de l’espace et du temps. Quelques semaines dans la Poche se traduisent par des années, voire des décennies en temps réel, condamnant ceux qui y transitent à une vie de solitude. C’est le cas de Nia Imani, capitaine d’un cargo assurant la liaison entre Umbai-V et la station Pélican. Un jour, une capsule d’origine inconnue s’écrase à la surface d’Umbai-V. À son bord, un enfant, indemne mais muet, que Nia accepte de ramener aux autorités compétentes. Au fil de leur voyage, et malgré le silence, un lien très fort se tisse entre la femme et le garçon. Pourtant, le mystère demeure : qui est-il ? D’où vient-il ? Ne risque-t-elle pas de commettre une terrible erreur en le livrant à ses employeurs ?

Simon Jimenez est américain, auteur de plusieurs nouvelles remarquées. « Cantique pour les étoiles », sur lequel planent les ombres de David Mitchell et de Gabriel García Márquez, est son premier roman.

 

Cartographie des étoiles

On comprend rapidement que « Cantique pour les étoiles » n’a rien d’un roman classique. Le magnifique premier chapitre nous raconte la vie de Kaeda sur la planète Umbai-V, rythmée par l’apparition tous les quinze ans d’un navire de transport chargé de ramener la production de la planète sur une station spatiale éloignée. Quinze ans pour Kaeda, mais seulement quelques mois pour le vaisseau qui navigue dans la « Poche » (disons que c’est l’hyperespace du roman, on est donc là en plein dans la relativité du temps chère à Einstein) et son équipage engagé pour effectuer plusieurs rotations. Et la capitaine, Nia Imani, qui entretient une liaison avec Kaeda, va donc voir vieillir ce dernier. Rapidement. Superbe premier chapitre, qui oscille entre poésie, mélancolie, désillusion et affection, entre Nia et Kaeda bien sûr mais aussi entre Kaeda et un jeune garçon qui a étrangement et sans explication atterri sur la planète, seul et nu.

Le second chapitre prend une toute autre direction, mais j’avoue que je n’ai pas envie d’en dire plus, le plaisir de la découverte de ce que le roman a à présenter étant essentiel, tout autant que la manière dont il le présente. Car de la même façon, le chapitre 3 rompt encore avec ce qui a été fait avant, en changeant totalement de personnage et d’époque. Cela peut paraître risqué, et ça l’est assurément mais force est de constater que Simon Jimenez n’a rien laissé au hasard. Ses chapitres, même apparemment détachés (même si ce n’est pas le cas à chaque fois, heureusement) forment un tout cohérent, qui s’exprime parfaitement de cette manière chorale et éclatée.

Sur le fond du roman, là encore vous me permettrez d’être discret pour ne pas déflorer le sujet. On note quand même qu’une fois que l’intrigue se met en place (assez doucement), l’auteur en profite, toujours en usant de chapitres presque indépendants (si ce n’est par les personnages, au moins pas leur contexte), pour approcher plusieurs thématiques (le tourisme de masse, le culte de la beauté, l’ultra capitalisme…) et développer les relations entre les personnages les plus importants de son récit, entre confiance, complicité, bienveillance, voire relation maternelle et/ou fusionnelle.

Avec cette manière de faire, entre récits détachés et narration chorale, il faut bien admettre que la référence à David Mitchell, que j’estimais au début, je l’avoue, plus commerciale qu’autre chose, se révèle donc justifiée, et on peut même aller plus loin en disant que « Cantique pour les étoiles » tient autant de David Mitchell que des soeurs Wachowski avec le film « Cloud atlas » (qui se révèle être une adaptation d’un roman de David Mitchell, ce n’est pas un hasard), notamment grâce à une certaine musicalité dans la narration (soutenue par une BO mémorable pour le film), surtout vers la fin (et ce magnifique chapitre 13 (sur 14) qui entremêle les destins de deux personnages dans une valse à travers l’espace, de plus en plus serrée jusqu’à la rencontre, comme deux astres gravitationnellement liés qui se tournent autour jusqu’à la collision), ou bien la série « Sense8 » et sa narration éclatée géographiquement qui pourtant relate une seule et même histoire.

Les choses se sont alors déjà singulièrement assombries depuis quelques chapitres, et la poésie et la bienveillance qui se dégageaient du roman jusqu’ici ont fait place à quelque chose de beaucoup plus dur, de plus cruel. Le changement de ton n’en est que plus marquant, et si toute la dernière partie du roman semble aller vers une inéluctable obscurité (et de manière assez osée, assez radicale, il faut le souligner), c’est peut-être pour mieux faire apparaître la lumière.

Le roman a donc pour lui d’offrir une sorte d’ascenseur émotionnel au lecteur, lui montrant les plus belles facettes de l’humanité comme les plus sombres. Une sorte de version raccourcie de la vie, tout simplement. C’est sans doute cliché de dire cela mais le roman est à la fois beau et terrible, et c’est ce qui fait sa force, en plus d’offrir de beaux personnages.

J’avoue que je ne m’attendais pas à autant aimer ce roman, la surprise n’en est que plus belle. Le plaisir de la lecture de « Cantique pour les étoiles » est sans cesse renouvelé grâce à cette narration que l’on ne pourra pas qualifier d’originale puisque d’autres sont passés par là d’une manière ou d’une autre mais au moins de rare et surtout très bien maîtrisée. Plus qu’une « simple » belle surprise, on est donc face à un roman qui à tous les atouts pour marquer son public, et il serait très dommage de passer à côté alors que j’ai malheureusement l’impression (mais j’espère me tromper…) qu’il fait assez peu de vagues. Monde cruel… Allez, faites un effort et laissez-vous tenter par ce cantique, il vous offrira un beau voyage dans l’espace, de belles rencontres, sans mettre d’œillères sur la nature humaine. Superbe !

 

Lire aussi les avis de Yogo, Cédric.

Critique écrite dans le cadre du challenge « Summer Star Wars – The Mandalorian » de Lhisbei.

 

  
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