Mémoire de métal, de Alastair Reynolds

Posted on 14 mars 2022
Malheureusement assez peu traduit au regard de sa bibliographie, Alastair Reynolds, dont on connait la capacité à écrire de gros pavés de space-opera, a toutefois les honneurs de quelques sorties en France. On se souvient les années passées de sa trilogie des « Enfants de Poséidon » (encore une série dont il me reste à lire le dernier volume, après « La Terre bleue de nos souvenirs » et « Sous le vent d’acier »…), et le voici qui revient avec une novella, lauréate du Prix Locus en 2016. Oui, 2016, ça n’est pas non plus ce qu’il a écrit de plus récent…

 

Quatrième de couverture :

Une aventure interstellaire autour de la guerre, de l’identité, de la trahison et de la préservation même de la civilisation humaine.

Un vaste conflit, qui a englobé des centaines de mondes et de systèmes solaires, semble enfin toucher à sa fin. La soldate Scur peut commencer à envisager sa vie après la guerre, et penser à la famille qu’elle a laissée derrière elle. Mais la paix ne sera pas.

À la veille du cessez-le-feu, Scur est capturée par un criminel de guerre renégat et laissée pour morte dans les ruines d’un bunker. Lorsqu’elle reprend connaissance, elle se trouve à bord d’un vaisseau de transport de prisonniers qui a subi une terrible avarie. Les passagers, issus des deux camps, se réveillent d’hibernation beaucoup trop tôt. Leurs souvenirs, gravés sur des balles, sont tous ce qui les lie à un monde qu’ils ne reconnaissent plus. Et Scur va renouer avec son vieil ennemi, mais cette fois, pour un enjeu qui dépasse de loin sa propre vie.

 

La novella qui aurait dû devenir roman…

Ecrire une novella c’est trouver un équilibre. Un équilibre entre la brièveté nécessaire à un récit court et le développement de certains personnages et/ou thèmes permettant d’offrir quelque chose de relativement complet. En bref, c’est plus long qu’une nouvelle (souvent porté par un seul concept) mais plus court qu’un roman (qui peut multiplier les personnages et les sous-intrigues), et c’est un exercice tout à fait particulier qui demande un savant dosage. Loin de moi l’idée de vouloir dire qu’Alastair Reynolds s’est planté ici, d’autant que sur le sujet ce n’est pas vraiment un perdreau de l’année (il a plusieurs recueils de textes courts à son actif, certains sont excellents et même traduits en français, comme « Diamond dogs, Turquoise days »), mais disons que le dosage ne me paraît pas vraiment optimal…

Le récit débute par une guerre, entre les « Centraux » et les « Périphériques ». Une guerre à laquelle participe Scur, une jeune soldate qui se fait surprendre par Orvin, criminel de guerre du camp adverse. L’armistice a pourtant été signé, mais on sait bien comment se passent les choses sur les lignes de front éloignées… Scur est donc torturée et laissée pour morte. Elle finit par se réveiller, sans comprendre comment elle a atterri ici, sur un vaisseau de transport de prisonniers des deux camps (un bon millier de passagers). Sauf que ce vaisseau semble avoir eu des problèmes, puisque ses passagers se réveillent sans comprendre dans quelle zone spatiale ils sont arrivés… Un vaisseau en péril, des prisonniers (et pas des tendres…) de deux camps précédemment en guerre, un équipage en très forte minorité, et bien sûr Orvin, qui apparaît à Scur au détour d’un écran de surveillance… Un cocktail forcément explosif !

« Mémoire de métal » (dont le titre français a choisi de mettre l’accent sur une des thématiques du récit, portée par l’accessoire technologique du titre VO « Slow bullets ») regorge de bonnes idées. Qu’elles soient déjà vues mais toujours appréciées, comme ce vaisseau victime d’un « saut » défectueux qui l’amène à se perdre dans l’espace et le temps, ou qu’elles soient novatrices comme les balles lentes du titre VO donc, petite capsule de métal injectée aux soldats qui est une sorte de mémoire des données personnelles.

Ca n’a l’air de rien, mais Reynolds se sert de ces balles d’une manière bien particulière, alors que le vaisseau ne cesse de se détériorer et de « perdre la mémoire » : plutôt que de laisser toute l’histoire culturelle d’une humanité maintenant en péril (comme va le découvrir l’équipage) s’évaporer, il va s’agir de sauvegarder cette histoire, en la stockant là où cela est possible. Alors tout y passe : les murs du vaisseau, la peau de ses occupants, et ces fameuses balles lentes, à condition de les effacer au préalable…

Dès lors se pose la question de la mémoire personnelle versus la mémoire collective, puisque concernant Scur par exemple, sa balle lente contenait le portrait de ses parents disparus… Et pourquoi devrait-elle faire ce sacrifice alors que d’autres personnes à bord du vaisseau (ceux qui ne sont pas soldats) n’ont pas été implantées avec ces balles lentes ? Pour d’autres en revanche, criminels notoires dont les atrocités sont enregistrées sur leur balle lente, cet archivage de la connaissance de l’humanité est une amnistie à peu de frais…

C’est un des thèmes traités dans ce texte, en plus de quelques autres, toujours intéressants mais parfois traités un peu rapidement (les conflits d’origine religieuse, la survie sur le temps long de ce petit monde enclavé dans le vaisseau, le pardon, etc…). Car encore une fois, « Mémoire de métal » est une novella (d’un peu moins de 200 pages quand même) et Alastair Reynolds donne l’impression d’avoir voulu y mettre trop de choses. Alors ça va parfois vite, certains faits surprennent par le fait que ça ne semble poser de problème à personne (l’autorité prise par Scur qui ne repose sur à peu près rien, la chasse à l’homme dès le réveil de l’équipage alors qu’il y aurait sans doute plus important à faire dans l’immédiat…), certains raccourcis ou facilités pris par l’auteur dérangent un peu (Prad semble être le seul membre d’équipage actif sur le vaisseau et savoir à peu près tout faire, et tant qu’à parler du stockage de la mémoire de l’humanité sur les murs, la peau et les balles lentes : quelqu’un a pensé à faire un index ? Non parce que trouver un renseignement précis sans savoir si c’est écrit sur la peau de Michel, le mur de la chambre de Monique ou sur la balle lente de Robert, ça va être compliqué…), alors que certains autres aspects du texte, qui avaient tout pour être extrêmement intéressants, se retrouvent assez rapidement abandonnés (le personnage de Murash dont l’intégration à l’équipage serait digne d’un récit à elle toute seule et que Reynolds abandonne avec une justification (scandaleuse !) qui n’en est pas une, ou la Pestilence sur laquelle je n’en dirai pas plus même si au fond il n’y a malheureusement pas grand chose à en dire du fait du manque d’informations, juste là pour justifier une sorte de changement d’état stellaire et technologique sur un temps relativement court…). En bref, il y a trop de choses dans ce texte, et donc c’est parfois survolé, et ça se ressent.

Et c’est bien dommage parce qu’en dehors de ça, le texte se lit très bien et aborde des sujets pertinents, le tout dans un contexte qui n’a certes rien de foncièrement original mais qui est tout à fait maitrisé par Alastair Reynolds, lui qui est ici quand même tout à fait dans sa zone de confort.

Et du coup je suis partagé. Parce que l’aventure est agréable, les thèmes intéressants, et le talent de Reynolds fait que ces « chroniques » d’une vie sur un vaisseau en perdition avec la nécessité de la survie et de la mémoire d’une civilisation (avec un côté également purement pratique à ne pas négliger), qui oscillent entre un optimisme certain et un réalisme fataliste (avec en prime quelques poussées d’horreur, un genre que Reynolds maîtrise également bien), entre un besoin de survie et un désir de vengeance, ne manquent pas d’attraits. Dommage que l’auteur gallois ait voulu approcher trop de choses à la fois : plus resserré, le récit aurait sans doute perdu une partie de sa « pulpe », mais il avait à l’évidence tous les atouts pour être allongé de 100 ou 200 pages et devenir un récit nettement moins bancal.

 

Lire aussi les avis de Feyd-Rautha, Yogo, Elessar, Herbefol, CollectifPolar.

 

  
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