Quelques comics dans l’univers Batman, épisode 2

Posted on 24 mars 2022
Allez, on ne s’arrête pas en si bon chemin, et après une première très bonne fournée de volumes plutôt courts, on continue avec un trio d’une longueur plus conséquente. Et là encore, dans des styles bien différents, ça va du très bon au tout simplement excellent.

 

The dark prince charming, de Enrico Marini

On laisse un peu de côté les comics pour aller faire un tout vers la BD type « franco-belge ». Batman est traditionnellement édité par Urban Comics (dont la maison mère est Dargaud), mais le projet « The dark prince charming » relève bel et bien de la BD franco-belge, et à ce titre cette histoire en deux tomes de 70 pages (disponible également en coffret intégral) est directement éditée par Dargaud, côté BD donc.

Entièrement réalisé par l’artiste italien Enrico Marini (scénario, dessins et couleurs), « The dark prince charming » charme (haha) immédiatement par ses dessins. Le coup de pinceau inimitable de Marini sied finalement parfaitement bien à l’univers du justicier, à la fois sombre et coloré, avec des dominances de couleurs dépendant des scènes à illustrer.

Pour ce qui est de l’intrigue, elle est relativement simple (une femme, devant le refus de Bruce Wayne de reconnaître la paternité d’une petite fille, décide de médiatiser son histoire, ce qui s’évèrera être un moyen de pression pour le Joker pour tenter d’abattre Batman), mais son côté intimiste joue pour elle. Et même si elle fait apparaître quelques têtes bien connues, cela reste une simple histoire d’un justicier cherchant à sauver une petite fille des griffes d’un dangereux criminel (je ne spoile rien, c’est dans les trois premières pages de l’album). Le Joker retrouve d’ailleurs ici, même s’il reste toujours un fou incontrôlable, son côté clown dans une sorte de retour du personnage à d’anciennes versions.

Une belle réussite donc que ce Batman en franco-belge, dont l’histoire simple et agréable à suivre est magnifiée par de très jolis dessins. Mission parfaitement accomplie pour Enrico Marini.

 

Harleen, de Stjepan Šejić

« Harleen » revient sur les origines de Harley Quinn, avant qu’elle ne devienne ce personnage fantasque, alter ego féminin du Joker, engagé dans une relation toxique d’amour-haine avec ce dernier. Ici, la jeune fille, Harleen Quinzel, est une psychiatre qui travaille sur un projet qui permettrait de mettre en lumière le fait qu’une plongée durable dans un environnement de grand stress provoquerait, dans ce qui est au départ un réflexe de survie, la chute de l’empathie et la possible bascule vers la criminalité.

Elle-même quelque peu marquée par ses relations sociales difficiles durant ses études, sa rencontre initiale avec le Joker (mise en joue par ce dernier et donc à la merci d’un fou imprévisible) au cours d’une course-poursuite entre lui et Batman, la marquera au fer rouge. Tombant dans une sorte de dépression lente ponctuée de cauchemars mais incapable de prendre la distance nécessaire pour faire sa propre thérapie, elle va s’enfermer dans son travail à l’asile d’Arkham, là où est interné le Joker. La spirale infernale, pavée de bonnes intentions puisque Harleen Quinzel va s’autopersuader qu’elle est la seule à pouvoir sauver le Joker, ne va cesser de s’accélérer. Car le Joker est un fin manipulateur et n’hésitera pas à profiter de la faiblesse d’Harleen qu’elle-même n’avait pas vu venir, jusqu’au point de non-retour…

C’est donc une descente aux enfers que décrit « Harleen » tout au long des quasi 200 pages de l’histoire. Une descente lente, progressive mais inéluctable, que le lecteur voit venir mais qu’il ne peut pourtant pas arrêter alors que tous les petits indices, les petites failles, les petits compromis sont étalés là, sous ses yeux. L’envie de « réveiller » Harleen (elle-même narratrice « à rebours » de l’album) alors que l’intrigue insiste beaucoup sur l’importance des rêves de la jeune fille, ou du moins de lui exposer les faits (elle qui n’a personne à qui se confier) ne cesse de grandir, mais le sentiment d’inéluctabilité se fait de plus en plus terrible au fil des pages…

Remarquable dans son effrayante progression, « Harleen » joue finement de son scénario dans lequel s’entremêlent la théorie psychiatrique de la jeune médecin, l’environnement de Gotham et les discussions avec un Joker fin manipulateur séduisant et charismatique qui saura parfaitement faire en sorte d’être le sujet d’étude idéal pour une Harleen illusionnée par la fascination qu’elle éprouve envers lui.

Magnifié par les dessins de Stjepan Šejić (à condition de na pas être allergique à son style très « numérique »), à la fois très réalistes, colorés, et jouant finement sur une sorte de tension sexuelle sous-jacente (très sagement illustrée ceci dit, sans doute réfrénée par DC Comics), et remarquablement mis en scène via des cadrages/découpages originaux et audacieux mais toujours lisibles, « Harleen » se révèle donc être une oeuvre vraiment renversante, un graphic novel psychologique duquel il est difficile de ressortir indemne.

On pourra toujours avoir de la peine à faire le lien entre une personne « normale » et la criminelle frappadingue sans aucun sens moral que l’on connait dans les comics, mais ce volume n’était au départ qu’une première partie d’un arc narratif qui devait en contenir trois, la suite faisant réellement de Harleen la Harley Quinn bien connue, avec cette relation particulièrement toxique avec le Joker (illustrée par le comics « Mad love », sur un style graphique paradoxalement beaucoup plus enfantin). Les plans de Stjepan Šejić ont depuis bien changé, et il faudra probablement s’en tenir à ce seul volume. C’est bien dommage mais l’essentiel est là, cette terrible bascule psychologique discrète, furtive et progressive mais inéluctable car orientée par un manipulateur n’en est que plus terrible. Somptueux et à ne surtout pas rater !

 

Batman : white knight, de Sean Murphy et Matt Hollingsworth

Oeuvre de presque 220 pages scénarisée et illustrée par Sean Murphy (notamment connu pour le comics « The wake » en 2013-2014) et colorisée par Matt Hollingsworth, « White knight » inverse les rôles habituels : le Joker devient le gentil et Batman le méchant.

Dans le détail, Batman, cédant de plus en plus à son côté le plus sombre et violent, au mépris des habitants de Gotham, finit par arrêter le Joker dans une usine de médicaments. Gavant ce dernier (à la limite de l’étouffement) avec les pilules produites dans l’usine, le tout devant un parterre de policiers et autres témoins, Batman est de plus en plus sur le fil du rasoir. Conséquence inattendue (quoique…) des pilules ingérées, le folie du Joker semble disparaître, il redevient donc non seulement sain d’esprit mais aussi très intelligent. A tel point qu’il décide de porter plainte contre les services de police de Gotham. Avec un dossier en béton, au-delà de la remise sur de bons rails de la ville de Gotham en enrayant la criminalité, c’est Batman qui risque d’en faire les frais puisqu’il sera pointé du doigt comme étant le responsable de la violence qui ravage Gotham…

Tout cela n’est que la face émergée de l’iceberg, car il faudrait aussi parler du majordome Alfred, dont le petit rôle est pourtant majeur pour l’intrigue, mais aussi de Batgirl et Nightwing, les précieux alliés de Batman, de Freeze et de sa fiancée, et d’une réinterprétation d’une Harley Quinn tout à fait surprenante et surtout parfaitement dans le ton d’un Joker aux personnalités dédoublées…

Faisant du célèbre antagoniste clownesque de Batman un véritable politicien bien décidé à sauver Gotham de la criminalité qui la gangrène, Sean Murphy pose des questionnements très actuels sur la légitimité des actes de la police et des violences qui en découlent, sur la représentativité des minorités, sur l’opposition entre classes sociales et l’entre-soi largement utilisé par les plus riches (dont Batman/Bruce Wayne ?). Mêlant le tout avec la mythologie de l’univers Batman (notamment sur la dualité JokerBatman, en l’inversant mais aussi en renforçant les points communs entre les deux personnages, avec deux manières d’aborder les choses bien différentes pour un but commun, les deux « héros » ayant finalement viscéralement besoin l’un de l’autre), Sean Murphy fait de « White knight » un album très politique, même si on aurait souhaité que son propos aille encore plus loin, notamment alors qu’au final, la ville de Gotham et le classique univers de Batman ne sont pas si chamboulés que ça (un petit peu quand même…) alors que l’auteur avait toutes les cartes en main pour tout déconstruire. Une petite frilosité qu’on pourra trouver regrettable.

En revanche, côté dessins c’est du tout bon. Sean Murphy impressionne avec un style caractéristique et très anguleux, de belles compositions et des splash pages du plus bel effet. On sent tout l’amour de l’auteur pour la mythologie Batman, notamment avec une galerie de batmobiles qui donnera des frissons aux amateurs.

Très belle réussite donc, et on ne manquera pas, au vu des implications des quelques dernières pages, de poursuivre l’aventure avec la suite, « The curse of the white knight ». Rappelons que Sean Murphy continue de développer ce qui s’appelle maintenant le « Murphy-verse ». Si tous ses récits batmaniens sont du même niveau, je signe tout de suite !

 

  
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